Éveillé à la magie ? briserunien et farouchement opposé non pas à la magie mais à son potentiel mortifère.


briserune,
une église non loin de vertige

voilà, le monde a fait son vilain travail.

l'espace de cinq minutes a été suffisant pour le séparer à jamais de tous les autres espaces.

cinq minutes auparavant, il était encore ce garçon gentil et extraverti que tous dans la forteresse avaient plaisir à voir cavaler, qui prenait règle en main la mesure des pavés, notait les envergures, étudiait les pilastres et les soutènements.

désormais plus un pilastre et plus un soutènement ne le porteraient. son corps pèserait plus lourd que les marbres ouvragés des murs.

à présent que tout le monde est mort, le temps peut s'arrêter. il l'y autorise. il se nichera à l'intérieur de l'une de ces cinq minutes et y disparaîtra.

il sent ses jambes s'appesantir, et s'effondrer, et sous l'action non pas de la tristesse ou du désespoir, mais de la fatigue, ses genoux touchent le sol avec lequel ils fusionnent.

voilà, il n'est plus que cet amas tellurique, ou cette gargouille, ou ce mutant, ou quoi que ce soit qui puisse être à la fois pierre et vivant.

le messager l'observe avec tout le dénuement, toute la détresse et le ridicule de sa tenue officielle, incapable de se figurer l'envergure des choses qui dépassent la raison.

celui qu'il surplombe ne le peut davantage. il faut croire qu'il manque encore aux humains l'unité de mesure du sang.

- je suis désolé, lia.
- ne m'appelez pas comme ça. sa voix est calme.

désormais il n'y avait plus de lia. lia n'était qu'une itération de toutes les formes qu'aurait pu prendre son existence. lia a connu sa fin avec les autres ce soir-là, et angus est apparu seul dans le relief de ses entrailles, enfanté par la nuit.

- fuyez au sud. trouvez une escorte, trouvez protection. vous n'êtes pas-
- seul.

ses mains griffent le pavement. son visage se ferme comme celui des statues.

- je suis seul, feule t-il. c'est un fait qui se passe de vos appréciations.

longtemps après que le messager ne soit parti, il reste ainsi jeté sur le sol, dans la constance inerte de ceux qui tombent des toits. il hésite longuement à se suicider mais se dit que ceux qui sautent du haut de leur courage finissent au mieux légumes.

la pénombre accompagne ses convulsions et ses crachats, mais il ne pleure pas, car ce n'est pas la peine. la véritable peine se trouve dans ce qui suit.



grandvent,
quelque part dans la forêt

on ne peut se nourrir que de ce que l'on tue soi-même, lui a un jour dit son père en brisant le cou d'une biche. le craquement de son aorte lui revient en mémoire, comme l'image des étranges yeux enflés de la créature, leur gentillesse.

il se rappelle que ce soir-là il n'a pas mangé, concentré sur le regard de cette biche dont on n'avait pas coupé la tête, et présentée en plat de résistance, les orbites en avant, considérant l'enfant avec la douceur des morts.

il grimpe à son arbre. arrivé au sommet de l'échelle de cordes il ouvre la porte rongée par les charançons. les frondaisons qui entrent par les fenêtres et le lierre qui court musèlent la lumière. une pesante odeur de mousse couve la pièce close, couve son dos, infuse sa peau.

par-dessus cette mousse il sait qu'il n'a jamais senti aussi mauvais. il pue comme jamais. il renifle sa tunique poinçonnée par les mites. désormais sa vie s'apparente à ce geste : sentir le vêtement pour savoir s'il est trop sale pour être porté ou pas assez sale pour aller à la rivière. il devrait se laver mais il n'a pas le temps. il a du travail.

sur la table en bois brut attendent une corde, une dague et un filet. angus considère l'ingénieux mécanisme caché sous son maillage, principalement constitué de chevaux de frise, de crochets et de pointes, puis jette le filet sur son épaule.

il sort, ferme la porte, et sitôt qu'il est dehors, prend pour lui le silence du faîte, le silence sylvestre et profond qui rigidifie son corps ; un corps d'homme que les autres hommes ont oublié. il descend l'échelle de cordes.

angus part chasser.

le pétrichor gonfle dans ses poumons et il en discerne la trace du sanglier qu'il a entendu se musser sous son arbre.

dans un moment, il le trouvera. et il le tuera. et il sentira se briser son aorte, et dans son cerveau pâlira le souvenir de la biche ravalé en lui, et il sera remplacé par un autre souvenir, plus dense, plus mûr.

angus qui ne croit pas en les arcanes se met pourtant à prier.

pour l'animal qui n'agit que par instinct, guidé par l'émotion primaire de la faim ou de la soif, de la peur ou de l'excitation, pour l'animal qui du fond de l'œil, du fond de la cervelle observe autour de lui s'agiter les formes et les couleurs, essayant de savoir si ce qu'il voit est immobile ou vivant, pour l'animal qui se meut tapi et se fraie une route dans le sang, égaré dans le carnage et la mise à mort de ses semblables - il demande le silence du monde.



chronologie

─ né dans une branche de la famille riegel davantage portée sur la culture et les arts que sur la guerre, il est l'enfant unique de la sœur du gouverneur. sa mère est diplomate et son père maître d'œuvre.

─ il ne se reconnaît pas dans l'identité qui lui est assignée à la naissance. il n'en fait aucun cas auprès de ses parents, mais grandit et s'épanouit selon ses propres termes.

─ son père l'emmène sur les nombreux chantiers qu'il supervise et il découvre la construction. les maçons qu'il observe à l'ouvrage le fascinent. il passe son enfance fourré dans les pattes des artisans.

─ lorsqu'il est en âge il fait son apprentissage militaire sans rechigner et sans même qu'on ne l'y presse. il en revient résolu à ne pas s'engager et se spécialise dans l'architecture. pendant son adolescence il se claquemure dans les bibliothèques ou passe son temps dehors à explorer les bâtiments briseruniens.

─ plus il en comprend les enjeux, plus il est réticent face à la politique menée par les différents représentants de sa famille. il passe le moins de temps possible dans la forteresse riegel et s'isole aussi bien des siens que des hautes sphères du pouvoir. pour la régence, il ne représente qu'un figurant ou un hurluberlu.

─ son besoin de mouvement social le rapproche du peuple briserunien. c'est auprès d'eux qu'il prend pour la première fois le nom d'angus afin de ne pas se faire reconnaître comme lia riegel. il fréquente surtout les ouvriers, chez qui la gronde s'intensifie, et sent cette animosité de la multitude qui le met mal à l'aise autant qu'il peut l'entendre.

─ achevée sa formation d'architecte, il engage des travaux dans la forteresse riegel. tout son temps est consacré à l'élaboration de plans fastueux. il n'a pas l'occasion d'entamer le gros œuvre que la révolte éclate alors qu'il visite une église de l'arrière-pays. sa dynastie est écrasée dans le sang et il est déclaré fugitif.

─ il part bride abattue pour grandvent sans aucun statut ni bagage sinon le prénom d'angus. il disparaît au cœur de la forêt luxuriante où il s'établit seul, construisant maladivement cabane après cabane. il ne voit personne et vit en misanthrope.

─ le bagne qu'il s'inflige à lui-même le pèse.