Il lui paraissait invraisemblable d'exister les yeux clos.
Circé avait eu, dès son plus jeune âge, la folie des grandeurs ; il réclamait qu'on le nourrît plus encore, noyait les plantes chaque fois qu'il les arrosait, et s'éprenait de tous ceux qui lui montraient les prémices d'un intérêt curieux. Débordant d'émotions, toutes plantées en étendard dans le brun calciné de ses iris, il exsudait de la bonté naturelle des belorgiens, si ce n'était qu'exacerbée, si intense qu'elle en résultait intimidante.

Il était dans son monde une lueur holographique, camaïeu arc-en-ciel qui de sa véhémence calfater la moindre nuance anthracite ; Circé vivait des teintes du ciel lorsque poignait les premiers et derniers rais de soleil, gorgeait ses yeux des paysages propres à chaque royaume et dévorait, vorace, les caractères uniques des visages qui lui faisaient face. Même la cécité, si inattendue fût-elle, n'avait su altérer cette pérenne passion, cette insatiabilité de vivre en dépit de ce qu'on lui arrachait.

Le positivisme paraissait bien pâle pour en décrire son allégresse - plus qu'assuré, il se pâmait dans un quotidien épicurien, insouciance taillée à même les os ; plus tard, c'était dans le bois du masque qu'on la retrouvait, plus radieuse que jamais. Ce qu'on eût vu triste, Circé le façonnait beau - il s'abreuvait des sentiments par millier, l'empathie mirage dans son exécution toxique. Nulle mélancolie ne savait strier ses joues de sels et de cinabres, qu'en importait la brutalité ; on avait injecté dans son cerveau la maladresse d'un bonheur aveugle, alimenté par la crédulité de son hôte puérile.

La gaieté avait mue flegme, et lui serpentait dans les décombres poisseuses d'un myocarde aux pulsations frêles, désillusionnées. Ce trépas qui au bord de ses yeux fauves faisait luire de larmoyants phénix se heurtait à des impostures bien plus vénales que l'ébène en couvrant l'éclat, et dans une valse mortuaire l'entraînait Erèbe lui-même ; en sourires encore si tendres, et sous le couvert de mimiques adolescentes, l'enfant perdurait. Il n'était rien d'autre qu'aujourd'hui, et aujourd'hui seul - à cela s'opposait la coulée sirupeuse du temps, pâtes d'oie glissées aux coins mouillés de paupières voilées.

De cette dualité était né le paradoxe qui, à ce jour encore, ronge l'Ovidius. Dans un narcissisme aux échos incarnats, il raie, tapi entre deux jours, le derme encore résolu de ses bras rachitiques ; il y lit l'infini débit de sa vie et de nouveau s'incarne jeune garçon, bouffi de rêves et de chimères. Cette toile qu'il a tissé tout autour de son coeur l'enchante, et lui s'arme d'une flûte de Pan et souffle d'autres fables à qui voudra l'entendre. Mû par l'ennui et l'inextinguible soif d'excès, Circé vit et rit à en aliéner l'existence elle-même.