Dans un petit village au nord de Grandvent, vivait une famille des plus secrètes. Un grand manoir se dressait dans le silence le plus totale. Qui pourrait croire à la vie de six enfants entre ces si grands murs ? Hors de ces lieux, on ne voyait qu’un homme, qu’on ne savait pas père ; un riche marchand qui ne quittait la demeure qu’à de rares occasions. Tout aussi silencieux que sa bâtisse, personne n’imaginait qu’en sa demeure si secrète se cachait six enfants.

Brunehilde, Aliénor, Hildegarde, Iseult, Morgane, et Guenièvre.

Six enfants dont les rires étaient retenus par les murs. Car c’était uniquement dans  cette cage qu’elles existaient. Détachées du monde, c’était là leur place, un univers hors du temps les verrait grandir.
Quel mystère cette maisonnée qui elle-même revêt bien trop de secrets ! Six enfants, un père et pas une mère à l’horizon. La première énigme de la vie cloîtrée des six fillettes.
Il n’y avait que ce père pour guider la vie des six enfants. Un père bien particulier mais comment le sauraient-elles, ces enfants, elles qui n’avaient connue que cet être ?
Brunehilde, Aliénor, Hildegarde, Iseult, Morgane, Guenièvre, toutes avaient appris l’amour par cette figure de tortionnaire, cet homme qui avait tantôt le visage du père, tantôt le visage du monstre. Cloisonnées entre les murs de pierre, fouet et coups apprenaient l’amour aux enfants. Un amour d’obéissance et de modestie. Car ces fillettes ne connaîtraient du monde que ce que le monstre déciderait. Maître, Dieu de leur monde, il se réjouissait de ce pouvoir, se réjouissait de l’obéissance de ces êtres si purs !

Brunehilde, Aliénor, Hildegarde, Iseult, Morgane et Guenièvre. Les années passaient et toutes jouaient comme des enfants éternellement naïves à cache cache entre les leçons du Dieu de leur monde. Car ce Dieu s’offrait les muses en leur offrant le savoir. Peinture, musique, poésie et tant de sujets qui ne révélaient du monde que ce qu’il autorisait.

Brunehilde, Aliénor, Hildegarde, Iseult.. Et deux manquent à l’appel.
Déréliction dirigeait la vie, déréliction dirigeait les pas mais oh, que faire de cette curiosité, qui grandissait encore et encore chaque jour qui passait ! Morgane ne le savait point et c’était avec la main de sa plus jeune soeur dans la sienne qu’elle grimpait à l’arbre du savoir, celui qui offrait la vue sur le monde, celui qui leur était interdit.
(il n’y a que dieu qui peut voir le monde de chaos à l’extérieur des murs)
Et les yeux avaient brillés, ils avaient brillé comme jamais et Morgane avait franchi le mur, sauté de branches en branches pour mieux bondir sur la faille de leur prison. Elle avait appelé Guenièvre, l’avait encouragée à la suivre. Mais la pauvre cadette ne pouvait se résoudre, elle ne pouvait trahir les lois, elle n’en avait pas le courage, la peur était trop grande. Alors elle laissait sa soeur fuir, observait depuis les hauteurs, ce monde qui leur était interdit.

Guenièvre toujours s’inquiétait des absences de sa soeur. Et toujours, Morgane revenait avant que le maître de leur vie ne s’aperçoive de l’absence. Les jours s’étiraient, les aînées grandissaient… Et disparaissaient.  

Brunehilde, Aliénor, Hildegarde, Iseult… Les saisons passaient et soudain, les enfants ne jouaient plus. Où étaient donc passées les soeurs ? La question mourrait sur les lèvres. Comment la demander ? La résolution de cette énigme qui venait s’ajouter à leur vie ? Elles n’étaient que les marionnettes d’un père macabre. Sans un mot, sans un geste qui ne soit sa création. Si ce n’était le secret des escapades. Ce secret qui chaque jour, un peu plus, éveillait l’esprit de la nouvelle aînée, ce secret qui lourd, si lourd, créait la méfiance.
Car le Dieu était déchu depuis la découverte du monde et chaque soir, sous les draps, c’était à demi-mot que Morgane contait la réalité du monde à sa chère petite soeur, l’unique qu’il restait dans le dortoir bien vide des enfants désormais esseulées.

Il ne fallait pas croire aveuglément, non, Guenièvre, il fallait ouvrir les yeux sur cette sinistre vie ! Elle voulait le crier, le dire, révéler cette vérité ! Mais sans preuve de la vilenie, l’aînée se taisait. Et quand le sommeil enlevait Guenièvre, elle se glissait hors des draps, hors du mensonge pour chercher l’accablant, trouver la preuve, celle qui tuerait la suprématie de ce faux dieu.

Et la preuve fut accablante. Là, dans les tréfonds des murs qui les ont vues grandir, Morgane a trouvé la réponse à toutes les énigmes de leur monde.

Brunehilde, Aliénor, Hildegarde, Iseult, Morgane et Guenièvre. Les six enfants d’un monde miniature, les six poupées d’une maison lugubre.
Brunehilde, Aliénor, Hildegarde,Iseult… Les yeux ne peuvent que s’écarquiller face à la réponse à toutes les questions.
Brunehilde, Aliénor, Hildegarde, Iseult. Là, putrides, les corps gisaient. Et il ne manquait plus que Morgane et Guenièvre pour se joindre aux corps étendues, là, sur les lits souillés par la mort.
Alors Morgane a fui. Elle a fermé cette porte qu’elle n’aurait jamais dû ouvrir, jamais dû même trouver.
(oh, l’ignorance était plus douce)
Adieu, dieu de pacotille, les frissons, le dégoût envahit l’âme et Morgane se hâtait de retrouver Guenièvre pour enfin le dire ! enfin les révéler, ces secrets accablants !
Guenièvre ne comprenait pas, elle ne comprenait pas comment telle réponse pouvait exister. Mais tout s’écroula. Le dieu n’est plus, les jours sont morts. On suivra Morgane jusqu’au bout du monde.

Si seulement il ne les trouvait pas, si seulement Morgane n’avait pas laissée cette clef, là, sur le sol entre ces cadavres qui pèsent lourds, si lourds sur le coeur.
Car cette clef avait signé la mort pour les survivantes. Morgane le savait.
Brunehilde, Aliénor, Hildegarde, Iseult.
Toutes avaient connues le même sort. Alors Morgane, dans son malheur, arracha sa mort aux mains de ce dieu factice. Si elle devait mourir ce soir, ce serait de ses mains. Ô douce mort, tu fus la seule chose qu’elle vola au père. Et dans sa mort, ce fut les dernières croyances de Guenièvre qu’elle arracha au monde.

Ô la douleur, forte, si forte ! Le coeur brûlait d’une rage, d’une peur sans nom. Car qu’est ce qu’un monde sans Morgane ? Qu’est ce qu’un monde entre ces murs qui n’étaient plus qu’un cimetière macabre ?  Guenièvre n’avait plus de dieu, plus de soeurs à aimer et cette peur, immense, tellement immense !
Elle savait, elle savait très bien que, dès qu’il la trouverait, avec ce corps mort, elle ne serait plus, il la tuerait, la cacherait, comme il a brisé la vie de chacune des enfants ! Et elle ne le pouvait pas. Comment pourrait-elle ne pas s’accrocher à la vie, ô ce dernier petit être, comment le pourrait-elle ?  
Brunehilde, Aliénor, Hildegarde, Iseult, Morgane.. Et Guenièvre ne les rejoindrait pas.
La dague se planta dans la chair. Un, deux, trois, quatre, cinq, six fois, une fois pour chaque soeur et elle continuait, elle continuait jusqu’à ce qu’aucune résistance ne soit plus. Qu’importe les coups que le corps encaissait, qu’importe la douleur, le sang, Guenièvre vaincrait.

Et c’est elle, c’est la plus jeune qui vaincu par le sacrifice des cinq soeurs.
Brunehilde, Aliénor, Hildegarde, Iseult, Morgane. Sur les corps, Guenièvre récupéra les trésors de chacune pour ne jamais oublier, leur douleurs et les méfaits. Guenièvre porteuse de leurs maux, survivante des terreurs, tueuse du mal, survivrait en leur honneurs.

Brunehilde, Aliénor, Hildegarde, Iseult, Morgane.
Guenièvre les laissa toutes dans ce mausolée qu’était devenue leur monde. Et les lèvres, jamais, ne révéleraient la vie passée. Silence, drapée dans une cape, Silence, Guenièvre cachait la mort gravée sur sa peau, silence, ce serait une énigme pour le village, la mort des Bradwyr. Et Guenièvre, serait la clef secrète qui jamais ne serait trouvée. Elle était la gardienne de cette vérité trop troublante, là, alors qu’elle parcourait le monde de Grandvent à la place de Morgane. Et même quand les bagages se posèrent à Zéphyr puis à Saintecure, jamais le secret ne franchit les lèvres.

Résumé: