Éveillé à la magie ? Non
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Mais qu’ai-je donc fait au destin
Pour qu’il s’acharne ainsi sur moi?
—Son rêve c’était d’être bon à rien
Pas chevalier encore moins roi.
❅Pomme de pin.Un vacarme insupportable accompagne sa traversée sous le toit, de poutre en poutre, les pots tombent et se cassent les uns derrière les autres.
Pomme de pin, tu descends.Je dois avoir l'autorité d'un enfant de 5 ans car Pomme de pin ne m'écoute pas.
Non, Pomme de pin, pas par là...Pomme de pin s'en tape, c'est un chat.
C'est aussi la seule interaction sociale qui rythme mes journées, alors quand je finis par l'attraper, je le jette sur la couchette rebondie garnie de couvertures en laine, d'un duvet et de coussins en plume. Le chat noir me lance un regard courroucé. Je fais rouler une pomme de pin vers lui pour travailler plus tranquillement; ça fonctionne.
J'habite dans cette maison au fond de la forêt. Vous la reconnaîtrez aisément, elle est bâtie en forme de triangle. Il y a des marches et un auvent devant, un petit potager à l'arrière, les fenêtres sont bordées de plantes aromatiques en pot. C'est chez moi. Officiellement, c'était à ma mère, mais cela fait dix ans qu'elle n'a plus donné signe de vie, alors c'est chez moi maintenant. Elle est peut-être tombée dans un trou, qui sait... Ou dans le Gouffre, comme mon père.
Enfin, je vous dis ça, mais on sait tous que c'est la maison de Pomme de pin, en fait.
J'ai grandi à Zephyr. Mon père était chercheur pour la Sphère, c'est lui qui m'a élevé, jusqu'à ce que j'aie 7 ou 8 ans peut-être. Il a disparu du jour au lendemain et on n'a jamais vraiment su ce qui lui était arrivé. On m'a confié à Etham, pardon,
maître Etham, en attendant que ma mère rentre de voyage. Elle était guérisseuse itinérante, Etham était son apothicaire préféré en ville. Au point de me laisser officiellement sous sa garde quand elle vit que j'étais nourri, logé et susceptible d'apprendre le métier. Vous me direz que ma mère aurait pu m'emmener avec elle... mais c'était
trop compliqué. Ma mère n'a jamais eu la fibre maternelle. Je ne lui en veux pas. Je ne l'ai pas assez bien connue pour qu'elle me manque, et je crois que c'était réciproque, sans quoi elle serait rentrée plus souvent à la maison.
J'ai donc commencé mon apprentissage sous la tutelle de l'apothicaire Etham. J'étais un enfant calme mais un adolescent turbulent, il faut le savoir, et c'est à partir de 12 ou 13 ans que les ennuis commencèrent. Je n'étais pas le seul apprenti chez le maître, mais j'étais le premier qu'il menaçait de flanquer à la porte. J'étais excessivement paresseux à l'époque, mais surtout, j'étais stupide, irresponsable, arrogant même. J'aimais l'herboristerie et je trouvais ça facile. J'ai probablement hérité du don de guérison de ma mère, même si je n'ai jamais cherché à exploiter tout son potentiel. Ça m'importait peu. Je pensais que tout m'était acquis, que je ferais un meilleur guérisseur qu'Etham, parce que, clairement, j'étais plus progressiste que lui, j'avais des idées révolutionnaires. J'étais surtout très con. Et laissez-moi vous dire qu'Etham n'était pas le genre de maître à accepter les conneries. Il ne se laissait pas faire, moi non plus, à un moment il devint évident que ça ne fonctionnait plus entre nous. J'en ai eu assez, alors je suis parti. C'est la version officielle. En réalité, ça c'est plutôt passé comme ça:
❅ LE MAÎTRE— combien de fois devrais-je encore te dire de ne pas fouiller dans ma réserve de potions?
❅ MOI— une fois de plus!
❅ LE MAÎTRE— une fois de plus, maître.
❅ MOI— pas besoin de m'appeler maître...
❅ LE MAÎTRE— okay cette fois tu dégages
❅ MOI— c'est pas vous qui me virez c'est moi qui me casse!
❅ LE MAÎTRE— pourtant je viens de le faire!
❅ MOI— je mE CASSE J'AI DIT
...je suis donc parti, disais-je! J'avais 18 ans, avec du recul je ne sais pas comment j'ai fait pour tenir aussi longtemps. J'ai mis le cap sur le nord et après un détour par le royaume de Belorge, j'ai rencontré Faure. Faure était ménestrelle. Elle faisait partie d'une troupe de saltimbanques itinérants. Nous nous sommes mariés chez elle, sur les côtes d'Ambrive. Nous étions jeunes et peut-être nos sentiments nous rendaient-ils naïfs, mais j'aime à dire que c'était un choix aussi logique qu'irréfléchi. Je ne l'ai jamais regretté et je crois que Faure partageait ce sentiment. Les engagements et les responsabilités m'avaient toujours effrayé avant cela, mais ensemble nous n'avions pas peur de l'avenir.
Nous avons continué de voyager, avec la troupe, avant de s'en émanciper. Faure avait une petite roulotte qu'elle avait hérité de ses parents. Mes meilleurs souvenirs sont empreints de rires sur des routes chaotiques, de roues embourbées sous la pluie, de chansons au coin du feu et de discussions infinies sous les étoiles.
Je n'ai pas pu sauver Faure quand elle est tombée malade. Bien conscient de mes limites, je l'ai emmenée voir un guérisseur expérimenté, qui m'a renvoyé vers un magicien. Le genre de personnes que l'on ne croise pas à tous les chemins, surtout lorsque l'on vit un peu loin de tout. La santé de Faure se dégrada rapidement et elle sentit qu'elle ne supporterait pas un dernier voyage.
Elle refusait que l'on enterre son corps. Le guérisseur et moi avons dispersé ses cendres aux vents de l'est.
Je ne me rappelle plus de son nom, si ce n'est qu'il avait fait de son mieux et que j'étais rassuré, avec du recul, qu'il soit là. Pour la première fois de ma vie, ma solitude me pesait. Faure était mon guide, mon soleil, la lune qui éclairait mes pas... je suis sérieux, elle avait un sens de l'orientation infaillible, et compensait pour deux. C'est un miracle que j'aie retrouvé mon chemin vers Grandvent sans son aide.
C'était il y a deux ans. J'ai vendu la roulotte et son cheval en chemin, récupéré le peu de souvenirs qu'elle abritait; Faure et moi n'étions pas matérialistes. Le plus dur, ce n'était pas de rentrer seul, c'était de revenir comme une fleur après six ans d'absence et un départ mouvementé... Le Maître m'avait maudit sur trois générations (aucun risque) et je ne tenais pas à rester en ville. Je m'exilai près de Saintecure, dans une forêt où ma mère possédait son pied-à-terre: une jolie petite cabane en bois au toit pointu. Ce serait parfait pour travailler en paix. La bicoque était encore en bon état malgré son abandon et je m'y installai sans me gêner. Si ma mère revenait, elle serait contente de savoir que quelqu'un faisait le ménage, ressucitait ses plantes et donnait à manger à ce chat pot-de-colle qui squattait le toit en son absence. Si elle ne revenait pas... J'étais bien, là.
❅
À l'aventure, compagnons
Je suis parti vers l'horizon
J'aurais mieux fait de rester au lit
Ce donjon, il est pourri.
❅Résumé❅ Merle naît à Zephyr. Père chercheur, mère guérisseuse itinérante. Sa mère étant toujours en vadrouille, c'est son père qui l'élève les premières années.
❅ Ce dernier fait partie de la Sphère et disparaît lors de ses recherches sur le Gouffre. Merle a alors 8 ans. Il est confié à un apothicaire, Etham, et apprend son métier.
❅ Vers 18 ans il se fait virer avant la fin de son apprentissage et part à l'aventure. La balade durera six ans, sur les terres de Grandvent, Belorge et Ambrive.
❅ Il rencontrera Faure, une ménestrelle faisant partie d'une troupe de saltimbanques itinérants. Ils se marieront à 20 ans, puis voyageront plusieurs années avec la roulotte de Faure. Merle se forme auprès de guérisseurs itinérants.
❅ Deux ans plus tôt, Faure tombe malade, malheureusement Merle ne peut pas la sauver. Il rentre à Grandvent et s'installe dans l'ancienne cabane de sa mère, dans les bois, près de Saintecure.