Attention : ceci n'est pas canon, calmez vous.


Il t’a attendu Jasper. Des heures, des jours. De vos retrouvailles, il lui reste un goût amer et âpre sous la langue. On était frère hier. Aujourd’hui, on a la sensation de ne plus rien être. Des étrangers, des ennemis. Oh, à tourner comme un lion en cage, il se dit qu’il préférerait être ta Némésis qu’un anonyme. Après tout ce qu’on avait vécu, Clovis, n’être rien pour toi, c’était comme mourir une troisième fois.

Il n’avait ni espéré des chaleureuses retrouvailles, ni des mots tendres de ta part, Clovis. Jasper sait que les blessures étaient trop fraîches, les enjeux trop grands. On n’était plus les garçons d’autrefois, à grimper dans les arbres, pouffer sous les tentures, veiller jusqu’au petit matin et se sentir aussi grand et rebelle que le plus grand des criminels. On était déchus, diminués, écorchés. On avait été lancé dans la cours des grands sans protection aucune. Enfants hier, adulte aujourd’hui. Et personne, personne Clovis, ne vous avait préparé à encaisser, le deuil, la solitude, la peur d’être à la hauteur, le poids des espérances et des reproches d’une nation. Alors il avait essayé d’être compréhensif, Jasper. De te laisser le temps. Te laisser ton espace, car comme un cheval méfiant ta peur prenait toute la place. Mais seul, dans sa chambre, il tourne en rond, Jasper. Seul, dans sa chambre, il suffoque. S'entrechoquent dans son cœur des peurs et des frustrations qu’il a du mal à comprendre et à contenir. L’impression que tu as battit un mur entre toi et lui. L’envie acide de le briser de ses propres et de s’imposer à toi.

Alors il est venu à toi, Jasper. Il n’a aucune idée de ce qu’il va te dire, aucune idée de si c’est pour mieux se déchirer ou pour se rapprocher qu’il entre sans cérémonie.

— Il faut qu’on parle.

Le regard est dur, son ton ne souffre d’aucune hésitation.

— Tu comptes me fuir encore longtemps, Clovis ? Est-ce la préparation de ta stupide fête de la magie qui t’enferme ici ou bien la peur de me regarder en face ?

Bouscule-nous.
Déteste-nous si ça te chante.

Mais surtout, parle nous.

Roule des yeux dans un agacement qui lui aurait valu nombres coups de ceinture à une certaine époque. Mais père n’était plus, Jasper, le tien non plus, Clovis. Ne restait que vous, deux gamins dans des costumes trop larges. Alors on pouvait bien faire tomber les masques.

— Tu me regardes maintenant. L’honneur est trop grand votre Majesté. Allez-vous en plus me faire l’honneur de parler ?

Tu le regardes, mais il a fallu qu’il s’impose à toi pour capter ton regard Clovis. Combien de temps aurait-il attendu à pourrir dans ses quartiers avant que tu daignes l’appeler ? C’était toujours pareil, Clovis, au final, on n'avait pas tant grandi. C’était toujours lui qui courait dans ton ombre, le petit lord de la province en extase devant son prince. Plus beau que lui, plus savant que lui, plus fort que lui. Que n’a-t-il pas donné pour capter un dixième de Ta Grandeur, Clovis. Toujours persuadé d’être moins que rien face à toi. Mais le temps a passé. Jasper est plus grand que toi, plus imposant que toi désormais. Mais ça cherche toujours ton regard comme autrefois.

— Hector mis à part, j’ai bien vu la façon dont tu me regardais, Clovis.

Pose les paumes sur le bureau. Aucune envie de jouer de politesse et d’étiquette. Il a presque envie de vomir, Jasper, à devoir jouer le petit bouffon de cours face à l’homme qu’il avait choisi comme roi bien avant que la couronne ne vienne embellir ton visage.

— Qu’est-ce que tu me reproches, au juste ? D’avoir survécu ? De n’être pas mort en bon vassal face à Antigone à Brave ? Tu me regardes comme si j’avais pris les armes pour égorger ton peuple alors que je n’ai jamais été ton ennemi.

Ton regard. Ce regard.
L’envie de t’encastrer ton sale visage dans le bois du bureau.
L’envie de faire disparaître cette condescendance car elle tue, Clovis.

— Alors c’est quoi la suite, tu passes le restes de tes jours à me fixer comme-ci j’étais la pire des immondices ? C’est drôle, tu vois, ton conseil à orchestré le génocide de mon peuple, pourtant, je ne te regarde pas comme je les regarde eux. Est-ce que tu es aussi simple d’esprit pour me confondre avec Bathory ? Auquel cas, je suis déçu, parce que le roi que j’ai toujours aimé n’était pas un imbécile et je m’attendais pas à ce qu’il le devienne.

Alors on cherche ton regard Clovis. On fixe tes yeux, on veut en capturer la moindre nuance. On veut voir si tu vois en nous le barbare ou l’ami. Et presque l’envie de te demander, qu’est-ce qu’on est pour toi, aujourd’hui, Clovis ? L’envie de te demander, si on même ne serait-ce qu’un jour compté.

C’était donc ça.
Il se redresse, Jasper, les bras qui pendent désormais. Tu l’as craché, enfin, tu l’aimes aussi, n’est-ce pas ? On pleure les mêmes morts, mais dans le miroir c’est seulement nos reflets qu’on voit. On rêve des mêmes voix, mais ce n’est que notre propre souffle qu’on entend. Il imagine que ça t’a fait peur, Clovis, que ça t’a rendu fou, Clovis.

Soudainement épuisé, Jasper, qui se laisse tomber dans le premier siège à sa portée. Plus rien de nobles biens éduqués, justes deux hommes endeuillés. C’est qu’ils avaient tous oublié que cette pression, on ne l’avait pas choisi. Que ce rôle qu’on porte sur les épaules est un caprice de nos ancêtres qu’on se doit d’assumer. Roi et Gouverneur pour le meilleur. Mais surtout pour le pire.

— Tu es allé juste là où il fallait.

Épargne-lui tes excuses. Il n’est pas ton conseil antipathique qui te demande d’endosser des responsabilités pour lesquelles tu n’as pas été formé, ni de tes sujets égoïstes qui voient en toi une fonction plutôt qu’une personne.

Il soupire, Jasper, passe une main fatiguée sur son visage. C’est vrai. C’est que nos horizons ont tellement été embrumés qu’on a cessé d’avancer. On vit constamment avec nos morts, alors qu’on doit les enterrer.

— Je me le reproche aussi. Un silence. Un aveu. Qu’est-ce que je n’aurai pas donné pour qu’elle puisse passer cette porte à ma place.

Rien, absolument rien. Il aurait tout sacrifié sans l’ombre d’un remords. Son devoir, ses promesses, son avenir, tout le reste. Il aurait vendu son nom au plus grand des diables si ça avait pu la ramener parmi nous. Il aurait été heureux de se vider de son sang si ça avait pu la garder chez les vivants.

Mais on ne revient pas en arrière. Un sourire amer sur ses lèvres Jasper.

— Tu n’as rien à te faire pardonner. Ils ne t’ont pas laissé la possibilité de faire ton deuil, à la place, ils t’ont donné des responsabilités. Je sais ce que c’est, nos parcours ont le mauvais goût d’être similaires.

Trouver un équilibre entre la rancœur qu’on exprime et l’amour qu’on doit donner. Lui, il doit représenter et défendre un peuple qui l’a trahi et qui le voit comme un traître, auprès d’un pays qui le juge en traître. Comme on aurait été plus heureux, Clovis, de naître idiots et pauvres. Un rire, plus amer encore.

— J’ai envie de te dire que c’est normal, on vit dans la peur et dans la haine depuis trois ans. Mais paraît-il qu’une autre voie nous est possible. C’est ce qu’Hector a dit. C’est ce que j’ai eu la bêtise de croire et peut-être à raison puisque tu es vivant. Au point où nous en sommes, je me dis que ça ne coûte rien d’essayer.

Tu ne nous déteste pas. Il assimile les mots. Encaisse le soulagement qui va avec. Mais surtout, il relève le regard Jasper. Le cœur qui bat un peu plus vite, parce qu’on a tellement passé de temps à être l’ennemi de tout un tas de gens, qu’on a la gourmandise d’espérer plus que de la neutralité entre nous.

— C’est ta façon de me dire que tu m’aimes ?

Comme un ami, un frère, un souvenir, une lumière dans l’obscurité, une bouée à laquelle se raccrocher. On a mené tellement de guerres en solitaire, Clovis. Il pense que toi aussi. Et que là, tout de suite, maintenant, ce dont on a besoin, c’est de ne plus être seul. D’avoir quelqu’un à suivre, à étreindre. Quelqu’un sur qui compter. Parce que nos parents n’ont jamais eu la gentillesse de nous apprendre à vivre seuls.

— Parce que dans ce cas-là, je ne te déteste pas non plus.

Il ne cherche même pas à essayer.
Il sait qu’il ne peut pas.
Et ça le rassure dans un sens, tu vois.
Parce que ça aussi, ça ne change pas.

Elle n’aurait pas supporté. Le regard qui vacille l’espace d’une seconde avant de remonter vers toi. Tu vois, lui non plus, il ne supporte pas. Un monde sans elle, sans ses sourires, sans sa douceur. Il se demande s'il pourra encaisser ça, si un jour, il pourra dire que tout va bien. Est-ce qu’on peut seulement se guérir de ce genre de maux, Clovis ? Dans un sens, il se sent terrible, tu vois, de réaliser que le deuil des Riegel a été plus simple à accepter que le deuil de vous. De toi.

— Elle me manque.

Il n’avait jamais verbalisé ça à voix haute. Un manque qu’il n’a jamais pu exprimer, parce qu’il fallait se cacher, parce qu'il n’en avait pas le droit. L’impression que si on le disait à voix haute, on se laisserait sombrer comme la dernière fois. Mais on ne pouvait pas, combien même le bain de sang était tenté, quand bien même l’envie d’en finir faisait envie. Parce que quoi qu’il arrive, il fallait qu’on vive Clovis. On ne s’est jamais appartenu. On n’a jamais existé autrement que comme des outils.

Alors on t'observe. Ta couronne soudain trop lourde, tes habits trop voyants. Et on trouve ça injuste, tu vois. L’envie d’y retourner à cette époque faite de rire et d’insouciance. L’impression d’être vieux avant l’âge, d’être adulte avant l’âge. Mais un sentiment de solidarité, une affection particulière, de la tendresse, beaucoup de tendresse, aussi. Fier de toi, Clovis. Fier que tu sois en vie.

— Je plaide coupable, je faisais déjà campagne pour toi à l’époque où je n’avais le droit qu’au lait de chèvre à table.

Un léger sourire. La nostalgie. On se revoit à table, n’avoir que ton nom à la bouche, contrarié d’apprendre que ce sera Uriel le roi et pas toi, parce que Uriel était grand et pas marrant, quand tu étais un soleil qui sublimait tout ce qu’il touchait.

— J’ai un aveu un peu honteux à te faire.

Soupir, croise les mains et fixe le sol.

— Quand mon père m’a ordonné de fuir pendant la révolte, il n’a pas une seule fois évoqué son allégeance au roi. Il ne voulait pas que je survivre pour reprendre Briserune, il voulait que je survive pour que je puisse le venger, pour qu’il puisse avoir la satisfaction que c’est son propre fils qui irait égorger ses sujets ingrats. Mais je ne l’ai pas fait. Pas tout de suite. Parce qu’après la révolte la seule chose dont j’avais envie, c’était de vous retrouver. Et tu as raison, j’ai échoué. Je suis arrivé trop tard.

Il n’a pas envie que tu le contredises ou que tu allèges son fardeau. Il le sait. Il n’a pas été à la hauteur. Il aurait dû être à tes côtés ce jour-là. À la place, il était alité à Blanchefeuille. Il ne se détestera jamais assez pour ça.

— C’est en apprenant ta mort que j’ai commencé à traquer les briseruniens ayant pris une part importante à la conquête. À chacune des personnes que j’ai tuées, j’ai dit que je rendais la justice des Gouverneurs du Nord. C’était un demi-mensonge. Ta mort… Puis la sienne, m’a plus fait réagir que celle de mes propres parents.

Et on est presque heureux de savoir nos parents dans la tombe en cet instant. Un tel aveu aurait poussé son père à lui arracher les membres un part un. La famille était sacrée. Seulement Jasper avait échoué à choisir celle que tous à Briserune espéraient.

— Un monde sans eux était déjà quelque chose d'insupportable. Mais un monde sans toi ? Sans elle ? Je ne pouvais pas. Alors pour ce que ça vaux, je suis sincèrement heureux de te savoir vivant.

Il se laisse aller contre le dossier fixe le plafond. Il a presque envie de rire, Jasper, parce qu’il ne sait pas où trouver sa place entre l’amour interdit qu’il exprime pour deux familles et peuples ennemis.

— Ton conseil va être fier de toi, tu as fait ce qu’aucun de tes prédécesseurs n’a réussi à faire. Tu as dressé un Riegel.

Pourtant, tu vois, une partie de lui ne peut s’empêcher d’en ressentir une forte culpabilité. Te pleurer plus que son père, ça revenait à dire qu’il avait un choix. Celui de ne pas être que briserunien, qu’un Riegel. Celui, d’une certaine façon, d’être exactement ce qu’Antigone combattait. Un traître. Le symbole d’une soumission. Pourtant, il n’avait jamais vécu son allégeance comme un fardeau, Jasper. Au contraire, il vous avait envié. Envié votre été, cette façon de vivre qu’il ressentait comme plus libre, plus belle.

Alors quand tu imposes ta main, qu’il t’entend pouffer pour la première fois, il ne peut s’empêcher de sourire aussi.

— Que veux-tu que je te dise, c’est mon grand défaut.

Être un bon petit garçon, fidèle, obéissant, le toutou du roi. Il ne se fait pas d’illusion, c’est comme ça qu’ils le verront, tous, sans exception. Confondre tendresse et soumission, comme s'il ne pouvait qu’être question que de cela, de roi à vassal. Pourtant, il n’avait pas été soumis dans la violence, Jasper. Il avait choisi. Ça avait été simple, le plus simple des choix. Il vous aimait. Il t’aimait. Te suivre jusqu’au bout du monde n’avait jamais été quelque chose qu’il avait remis en question.

— Tu parles d’un futur meilleur.

Il ose puisque tu as établi le premier contact. Il ose, il prend ta main. Il se redresse parce qu’il veut te voir.

— Est-ce que tu y crois vraiment ?

Est-ce que c’est encore possible. Sans elle ? Après autant de temps passé dans le crime et le sang ? Il te demande du regard, Jasper. Est-ce une chimère qu’on doit faire semblant de poursuivre ou  est-ce un réel objectif. Est-ce qu’on pourra seulement un jour, ressortir grandi de tout ça ? Presse ta main un peu plus fort.

— Est-il aussi pour nous, ce futur ?

C’est qu’on a la hantise d’avouer que si le peuple doit être notre priorité, le chemin nous paraît bien long et pénible si on doit le faire sans devoir goûter à aucune saveur. Construire le meilleur sans jamais pouvoir y goûter parce qu’on est trop brisé, on ne sait pas si on saura le faire, Clovis. Et ta main dans la sienne, il s’en veut, mais il a besoin que tu lui dises, Clovis. Qu’on peut encore se battre, parce qu'être brisé n’était pas une finalité.

Le rictus arrogant, l’habituel, celui qu’on avait vu tant de fois se peindre sur ton visage, tellement qu’on avait cessé de compter. Et, dans un sens, c’est peut-être la réponse la plus rassurante que tu pouvais lui apporter. Tu n’avais pas changé. Même si le costume était encore trop grand, l’homme à l’intérieur était toujours le même. On vous avait arraché nombre de choses, nombre de raisons d’exister. Mais un soleil reste un soleil, Clovis. On a une certaine fierté, on l’avoue, à voir que même Antigone n’avait pas réussie à t’enlever cette force. Finalement, peut-être qu’Hector avait raison. Peut-être qu’on avait tant touché le fond, qu’on ne pouvait plus que remonter. Et c’est peut-être ce qu’elle souhaiterait, elle, de là où elle est. Qu’on ne laisse pas Antigone gagner, malgré les coups, les trahisons et les déceptions. Continuer la route, bâtir ce qu’on avait promis de bâtir. Le plus beau moyen, sûrement, de montrer qu’on était plus fort que ça.

— Je n’en doute pas.

Et on revoit le petit garçon d’autrefois. Toujours cette même envie de se faire grand. Ça aussi ça ne change pas. Un sourire. Et il se retourne avant de franchir la porte.

— Une dernière chose, votre majesté. Non. Vraiment, tu n’avais pas changé. Vous avez de l’encre sur le nez.

(on drop des concepts de semi-alternatif parce qu’on est des gens étranges, mais du coup à partir de là c’est de l'alternatif. DU COUP : ceci n’est pas canon, calmez vous²)


Tu ne sais pas. Et en cet instant, Jasper le comprend de la plus innocente des façons. Tu ne sais pas. Oui, ça fait sens. On ne peut pas prétendre au même bonheur que les honnêtes gens. Nous ne décidons pas, notre vie n’est que devoir. Pourtant, le poids qu’il traîne Jasper, le pèse tant. Il aurait voulu t’entendre dire que ça irait, qu’on se soulagerait de ces pierres dans le cœur avec le temps. Peut-être un peu égoïste d’attendre de toi que tu le soulages de ses propres doutes, de ses propres faiblesses. Un peu égoïste d'attendre de toi que tu lui dises qu’on était plus seul, que ce n’était plus seulement lui face au monde. Toi aussi, tu avais sûrement tes propres doutes, Clovis. Et Jasper était le serviteur, pas le maître. Dans le fond, c’était à lui de t’épauler pas le contraire.

Passe une main sur sa nuque, légèrement honteux. Ces dernières années avaient été si terribles, ces derniers si intenses. Mais te demander de retrouver la complicité d’avant était peut-être de trop. Il prend tes silences comme une preuve de maladresse et il s’en veut, Jasper. Toujours faible quand il s’agit de tes yeux et de ton approbation. Il n’avait pas l’habitude d’être capricieux, Jasper, pourtant, il a l’impression de l’être. Alors quand tu parles, il lève le regard, surpris.

— Non, je l’ai pris co-

Comme une confirmation que tu n’allais pas le faire croupir au fond d’un cachot ? Comme la certitude que sa tête n’irait pas trôner au sommet d’une pique avant la nuit ? Comme l’aveu que tu avais seulement besoin de temps avant de travailler ensemble ?

Tu ne sauras jamais, Clovis. Parce que d’un coup c’est tes lèvres contre les siennes et c’est merveilleux. Jasper qui suffoque, surpris, autant par toi que par lui. Des centaines de sensations et de penser qui se bousculent. Puis l’envie d’un caprice. Le besoin d’une bêtise. Parce qu’on a trop souffert, Clovis, parce que l'obéissance est notre fardeau Clovis, parce que loin des yeux des autres on n’était plus que l’ombre de nous-mêmes. Le besoin d’exister, dans tes bras, comme tu le veux, autant que tu le veux. Parce que tu offres le souffle qui manque. Parce que si c’est comme ça que tu veux régner et bien règne Clovis, règne tout ton soûl.

Un caprice. Une envie. Un besoin. Et le monde pouvait bien aller se faire voir. Parce que tu es le seul qu’il nous reste et qu’on meurt d’être aussi seul. Alors d’accord, Clovis. Pour toi, on sombre.

Alors ça appuie le baiser comme un fou. Alors ça encadre ton visage de ses mains et ça se donne, Clovis, ça imprime sa loyauté au plus profond de la plus passionnelle des façons. Et ça hurle dans le fond du crâne qu’il faut que tu le sauves, que si c’est comme alors ça sera comme ça. Longue vie au roi.

Quand le souffle manque et qu’il s’arrache à tes lèvres, c’est toujours ton visage qu’il a entre les mains. Le regard incertain, mais reconnaissant. Comme-ci tu venais de lui dire qu’importent les difficultés qu’on trouvera au-delà de cette porte, on n'aura pas à tout encaisser en silence. Et ça lui suffit. Si c’est de ça dont tu as besoin, il accepte la mission et son rôle, Clovis.

— Je ne le prends plus au pied de la lettre.

Un sourire. L’envie d’y retourner, de s’y perdre. Mais l’éducation militaire qui empêche de faire passer ses propres pulsions sans avoir entendu des ordres.

— Qu’est-ce que tu attends de moi ?

Quémande de lâcher prise. C’est comme ça qu’il le comprend, Jasper. Tu veux tout envoyer en l’air. Tu veux tout jeter à terre. Le passé, la pression, la frustration, la culpabilité, les doutes. Petit roi qui veut se faire homme, un homme à la hauteur de sa couronne, à la hauteur des espoirs qu’ils placent tous en toi. Il a peut-être sa part de responsabilité, Jasper, car il est le premier à revenir car tu es là. De ton gouvernement, il n’a que peu d’estime pour ne pas dire aucune, son respect se tourne vers des gens comme Selena, Asteria ou encore Lezaleth. Mais si ce n’était pour toi, par toi, Jasper aurait préféré mener sa campagne seul. Peut-être as-tu besoins qu’on te fasse sentir roi... Benjamin parmi les plus grands. Peut-être que tu as besoin qu’on te ravages et qu’on se fasse ravager pour consolider ton autorité. C’est ce qu’il entend dans ton souffle, ce qu’il devine dans tes baisers.

Un râle sous les assauts de tes lèvres. Tends le cou, devine sous sa vision trouble le plafond et l’espace d’une seconde, il se demande ce qu’il fait. Il ne t’aimera jamais comme il aime Diane et, il le sait, ce n’est pas ce que tu lui demandes. Non. Tu veux jouer. Tu veux vibrer. Tu veux te sentir vivant. Alors jouons, vibrons, vivons. Il ne peut que se donner qu’à toi, alors pourquoi pas. Tout envoyer en l’air, comme toi. Se laisser aller, comme toi. Il n’a plus ressenti de désir depuis Brave. Assouvir celui-ci, ici, maintenant, voilà un caprice qu’on partage et qu’on peut bien mener à son terme, hein ?

Alors on lâche prise.

Profite de cette position de force que tu lui octroies pour s’appuyer tout contre toi. Te rendre prisonnier, son corps en guise de geôlier il doit avouer qu’il aime ça. Sa main qui capture ce menton que tu lèves, ton sourire insupportable, ton regard plein de défis. Son sourire qui se fait provocant, son regard qui brûle.

— Je sers ceux qui le mérite.

De l’autre main, il vient caresser du bout de l’ongle ta nuque. Trace une ligne imaginaire sur ta peau jusqu’à arriver à l'insupportable couche de tissu qui couvre le reste du chef-d’oeuvre.

— Mérites-tu seulement ma servitude, Clovis ?

Bassin contre bassin, murmure au creux de tes lèvres des provocations. Et il aime ça. Si sage Jasper. Si droit Jasper. Pourtant, il aime cette position tout contre toi. Il aime l’idée de te chercher, de te trouver. Il aime la lueur outragée de tes yeux.

— Je n’accepte de servir que le plus grand des rois.

Plus grand que toi, plus fort que toi. Il aime l’idée de te bousculer. Alors ça capture tes lèvres, ça mordille avidement ta bouche puis ta peau avant de remonter jusqu'à ton oreille.

— Es-tu le plus grand des rois ?

Libère ton menton insolent, sourire provocant, Jasper. Se découvre rebelle comme il ne l’est jamais. Comme si le désir et l’intimité libéraient les hommes de leurs armures d’apparats.

— Prouve-le-moi.

Un défi. Un caprice. Alors qu’il vient respirer ton parfum et savourer le goût de ta peau. Alors que ses mains glissent sur tes hanches. La sensation du tissu presque comme une insulte sous ses mains.

La confiance qui vacille dans ton regard est un délice qu’il ne se serait jamais pensé capable d’apprécier. Il a visé juste. Il a percé l’armure. L’espace d’une seconde, d’une simple seconde, il t’a vu toi, dépouillé, nu, sans tes armes de prédilection, arrogance et suffisance, pour te défendre. Il n’y avait plus que toi. Juste toi. Et Jasper ne sait pas quoi faire de cet élan de fierté, de ce plaisir coupable d’être cette fois-ci le premier.

Il aime la surprise dans ton regard, Clovis, il aime l’idée de déconstruire l’image trop chaste et pure que tu peux avoir de lui. Parce qu’il n’est plus le petit lord d’autrefois. Il n’est plus le jeune naïf idéaliste qui ne rêvait que de ses épousailles. Il est là, dans toute sa laideur, sous les vêtements des dizaines de cicatrices qui portent vos noms. Il est là, devant toi. Hector l’avait dit, Clovis. Il fallait tuer le gamin pour faire vivre l’homme. Et le voilà, l’homme. Celui qui s’est égaré, qui a appris la haine, la cruauté et le désespoir. Celui qui te trouve irrésistible quand c’est ta faiblesse qu’il voit.

— Difficile de jeter les jouets qui ont une utilité, n’est-ce pas ?

Il a du pouvoir. Il le sent. Il aime ça. Lui qui n’avait jamais rêvé de conquête et de gloire, maintenant ivre de l’idée de pouvoir se battre à armes égales. Tu n’es plus le plus grand. Il n’est plus le plus faible. Il a une vie de frustration et d’envie à exprimer Jasper. Presque désolé que tu sois celui qui en fasse les frais. Mais c’est toi qui as ordonné, Clovis.

Ton ongle en maigre tentative de le faire saigner et il sourit. Ton genou par contre le fait reculer, surpris. C’est que le petit roi montre les crocs. Et il rit, Jasper. Le premier rire depuis bien trop longtemps.

— Tu sais donc faire autre chose que juger et parler.

La provocation, l’amusement dans ses yeux. Se laisse volontiers tomber, toi qui as une fierté bien supérieure à la sienne. On ne t’a jamais appris à endormir tes instincts, Clovis. Parce que tu n’es pas que Lord, tu es prince, tu es roi. De ce fait, tu n’apprendrais jamais, la jouissance que c’est de faire se réveiller le monstre en sommeil. Toi sur lui, triomphant, comme-ci si tu venais de mettre à terre un colosse. Alors que c’est lui qui jubile, Clovis. Sa main sur ta joue, une caresse presque tendre, mais c’est de sa bouche que vient la gifle.

— Remercie tes talonnettes.

Il ne s’excusera jamais de ces heures avec toi, tu sais ? Un roi, il le pense, doit assumer la portée de ses ordres. Alors qu’importe si ça te vexe, roi de Roseraie, montre lui que tu mérites ton titre, montre lui que tu mérites le genou qu’il a posé à terre.

— À toi de me le dire, te sens-tu plus grand maintenant que tu es au sol ?

Redresse sur ses coudes subitement pour s’emparer de ta bouche. Agrippe ta nuque pour t’entraîner vers lui. La main dans tes cheveux, l’autre qui explore la moindre parcelle de ton dos. On pourrait croire à une guerre de loin et ce n’est pas tout à fait faux. Mais c’est un genre de guerre auquel il prend goût Jasper. Le genre de guerre qu’il n’aurait jamais imaginé pouvoir mener.

C’est parce qu’il ne te craint pas. Pas en cet instant. Il craint beaucoup de choses, tu sais ? Ce que tu pourrais devenir, ce que tu pourrais ne pas devenir, ce que le pouvoir fera de toi, ce que ton conseil fera de toi. Il craint de voir la couronne te transformer en un simulacre de toi-même, de ce toi pour lequel il a ployé les genoux, de ce toi pour lequel il est revenu. Il craint que la politique fasse de vous des hommes du même acabit que vos pères respectifs. Des hommes forts, imposants, mais égoïstes et aveugles. Des hommes qui ont finit par payer dans le sang la haine de leurs vassaux et qui n’ont laissé que pour seule consigne la vengeance à tout prix.

Mais toi, Clovis, toi, il ne te craint pas. Son prince, son soleil, son roi. Il ne te craint pas parce qu’il croit en toi, parce qu’il voit dans tes yeux les promesses de cet avenir meilleur dont on lui a parlé tant de fois au milieu des cadavres et des deuils. Un avenir où on pourrait mettre les gens en paix. Un avenir où on aurait plus à saigner comme on saigne maintenant. Il a envie d’y croire. Maintenant que Diane n’est plus là. Maintenant que les Riegel ne sont plus là. C’est la seule chose qui lui reste, tu sais. Un retour à la normale. Briserune et Malronce de nouveau en paix, on travaille ensemble, pas les uns contre les autres. Il a envie d’y croire, tu vois. Alors quand il se laisse faire, quand il te regarde, il n’a pas peur, non. Au contraire, même. Il admire, il aime et il se dit que tu es sûrement la plus belle chose qui pouvait arriver à ce pays. Il reconnaît ta valeur et le sublime. Il va la faire reconnaître au reste de son univers parce que tu le mérites, Clovis.

Mais aimer ne l’empêche pas de jouer. Autrement que le roi, tu es toi. Alors quand ça s’est laissé faire, c’était pour mieux te contempler. Maintenant que tu es debout, bien trop fier, bien trop loin à son goût, Jasper sourit attrape ta cheville pour te faire perdre l’équilibre. Se redresse vite, en meilleure condition physique depuis la dernière voit que tu l’as vu, pour te rattraper. Trop fier d’avoir fait tomber le roi de son piédestal.

— J’aurais pu laisser ton visage rencontrer le sol.

Un sourire.

— Mais j’ai accompli mon devoir. J’ai rattrapé Sa Majesté lorsqu’elle perdait l’équilibre.

Aux creux des bras, Clovis, alors qu’il vient capturer ton menton.

— Dois-je me tasser pour qu’elle ne soit pas plus blessée dans sa fierté ?