Éveillé à la magie ? Non
Ne les laisse pas te prendre vivante. La voix de son père tournait en boucle dans l'océan tempétueux qu'étaient devenues ses pensées. Ses pas s'enfoncent difficilement dans la poudreuse alors que les épaisses fourrures et les bijoux constituaient un poids supplémentaire à son supplice. Rien n'importait plus désormais, sinon fuir. Mais vers où ? Et surtout, pour quoi faire ? Elle ne connaissait rien de la vie sauvage.
Ne les laisse pas te prendre vivante, Alani. Au moins, elle ne leur ferait pas ce plaisir. L'ordre de son père la guidait comme une litanie lumineuse dans la brume. D'un accès de rage, elle se débarrasse de ses épais apparats, les répandant dans la neige inhospitalière. Force était de constater qu'ils ne lui seraient d'aucune aide dans les steppes glacées qui constituaient sa destination. Elle ravale furieusement les larmes qui menacent de percer l'étroite limite de son courage. Elle repousse d'une main ferme les souvenirs sanglants qui tournaient autour d'elle comme des corbeaux affamés depuis son départ précipité de la demeure familiale, en vain.
Elle se souvenait pourtant des cris, des éclats de voix et des lames qui criaient, de leurs pas furieux alors que, sauvages, ils assaillaient les jardins que sa mère aimait tant. Elle se souvenait du regard hanté de cette dernière, des larmes qui déformaient son visage, de son étreinte pressante comme un adieu. Elle se souvenait du regard froid de son père, de la glace de sa voix et de l'hiver que son ordre avait provoqué en elle.
Ne les laisse pas te- Dans un moment suspendu dans le temps, elle revient à la réalité. Elle voit le sol tourner et les étoiles se renverser. Elle n'a pas le temps de hurler que ses fourrures s'accrochent et s'emmêlent dans ses jambes. La chute est inévitable. Une douleur cuisante lui strie le dos alors qu'un élément pointue s'enfonce dans sa peau. Le croissant de lune semble s'étirer dans un sourire moqueur alors que des mains vicieuses la tirent vers l'inconscience.
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Le soleil darde ses rayons sur la serre aux mille couleurs, en faisant briller l'eau de la petite fontaine qui agrémentait le silence d'une cascade régulière. Les couleurs sont vives. Trop vives, peut-être. Comme dans un rêve, ou un souvenir. La vision d'Alani semble presque flou dans cette myriade de fleurs, plantes et oiseaux étrangers. Les sons lui reviennent par à-coup, les piaillements des perroquets bleus, le grésillement des insectes. Le jardin de sa mère avait-il toujours été aussi peuplé ?
Elle se frotte les joues, comme en souvenir des larmes versées. Elle ne se souvenait plus son chagrin et tout ce qui l'entourait la poussait à une joie sauvage et innocente. Ancienne. L'éclat roux des cheveux de la reine attrape son regard alors qu'elle s'élance vers elle et l'enlace avec tendresse.
─ Eh bien, fit-elle en riant et en serrant l'enfant dans ses bras,
quel empressement ! Je ne vais pas disparaître, Alani.La petite fille renifle. Elle lui avait pourtant tant manqué ! Elle enfouit son visage dans la robe de la reine, s'accrochant à l'onéreuse étoffe avec l'énergie d'un désespoir pourtant déjà lointain. Que faisait-elle, déjà ? Son esprit lui semblait tout embrumé. Elle ouvrit la bouche pour poser des mots sur sa tristesse, mais rien ne lui vint. Elle avait oublié. Elle fronça son petit nez de contrariété en relevant la tête, ce qui fit éclater un sourire attendri sur le visage de sa mère.
─ Ne fais donc pas cette tête. Profite du beau temps. Les jasmins sont en fleur, lui souffle-t-elle en lui tendant une fleur blanche.
Il n'y avait pas de jasmin à Briserune. Ils ne poussaient pas ici, le climat était trop rude. La petite fille se recule, hésitante. Sa mère avait déjà essayé d'en planter, sans succès. Une épine se planta dans son cœur.
─ Où est père ? Moment d'hésitation.
Et mes frères ?La reine l'observe en silence, un sourire aux lèvres.
─ Ne souhaites-tu pas rester avec moi ? Alani cligne les yeux, interdite. Quelque chose n'allait pas. Il fallait qu'elle se souvienne. Il fallait qu'elle s'en aille. Son regard bleuté est capté par le reflet d'une fourrure écarlate au coin de son œil. Un renard l'observe, la tête légèrement penchée sur le côté. Elle ne sait pas pourquoi, mais elle a l'impression qu'elle le connait depuis toujours.
─ Je dois y aller, murmure-t-elle autant pour elle-même que pour la reine qui commence à la regarder avec regret.
Les fleurs se flânent autour d'elle. Le renard saute sur ses pattes et disparaît derrière un arbre aux couleurs irréelles. Elle n'est plus enfant désormais.
─ Je dois obéir aux ordres de père. Ils ne doivent pas me retrouver, même si pour ça je dois rester seule pour toujours.Et elle sut en revenant à elle qu'elle ne trouverait jamais le repos.
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Froid. Elle n'avait jamais eu aussi froid. Était-ce ainsi que les Arcanes voyaient la fin de sa triste histoire ? Engloutie par la neige et le froid de ses propres terres ? Un sentiment de lassitude sans fond s'installe dans son cœur alors qu'à ses oreilles revenaient l'écho des pas pressants des assaillants. Ils les avaient exécutés sans sommation. Elle n'avait plus rien. Elle était seule. Elle ouvre les yeux alors qu'une étrange chaleur se love contre elle. Il faisait sombre, mais la lueur de la lune brillait sur la fourrure écarlate de l'animal qui se presse contre son ventre. Un renard à l'air étrangement familier lui rend son regard avec amusement. Alani aurait pu jurer voir un rictus soulever ses babines claires.
« Plus jamais seule. »Elle n'aurait su dire pourquoi, mais elle savait que c'était vrai. Les Arcanes ne l'avaient finalement peut-être pas abandonné.
« Bouger, maintenant. Toi écouter. Et toi apprendre. Jamais retrouvée. »Les propos du canidé sont hésitants mais limpides dans son esprit. Alani n'a pas le temps de se questionner. Elle sait qu'elle doit l'écouter, sa survie est en jeu.
« Brave petite » ronronne l'animal avant de s'élancer dans la neige, s'arrêtant un peu plus loin pour s'assurer qu'elle lui emboîtait le pas.
Elle n'avait guère le choix.
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Il avait le nom de la rosée du matin caressée par les rayons de l'aube, de l'odeur musquée de l'herbe après une averse, du chant des oiseaux annonçant l'orage. Alani le surnomma
Lonan, pour des raison de simplicité. C'était le surnom que lui donnait autrefois sa mère. Petit merle.
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Résumé─ Alani est la troisième et dernière enfant de la lignée des Riegel de Briserune. Elle grandit choyée par sa mère et ses deux grands frères. Elle ne connu pas la faim, la pauvreté ou l'inconfort. Elle ne s'est jamais préoccupée du peuple ou de leur mauvais traitement : on l'éleva dans une cage dorée sur mesure, loin de toutes ces préoccupations. La régence ne lui a jamais été destinée, mais on lui enseigna depuis toute petite déjà que Briserune appartenait aux Riegel, et à personne d'autre. Pas même au peuple.
─ Elle ne s'est jamais sentie particulièrement proche de son père, qui était un homme dur et qui ne montrait que peu de sentiments. Il ne savait comment se comporter avec elle, laissant cette tâche à sa femme, avec laquelle la petite fille était très fusionnelle. Elles passèrent beaucoup de temps ensemble dans le jardin de la reine.
─ Aventureuse et curieuse, ses escapades de la demeure familiale devinrent rapidement habitudes. Elle aimait observer le monde au delà du voile doré, sans pourtant s'y mêler. Elle s'est très vite attachée à ses deux frères, bien qu'elle jugeait le premier trop coincé et le second trop docile.
─ Elle se découvrit rapidement un don pour la musique et le chant, ce qui ravit sa mère et bien moins son père, que ne voyait guère d'utilité à une fille musicienne. Alani n'y prêta aucune attention et se consacra à cet art pendant de nombreuses années.
─ Lorsque son père aborda l'idée de la fiancer à un noble ou un prince d'un pays voisin, elle fut balayée par sa mère sous prétexte de son trop jeune âge. Son père était inébranlable sur beaucoup de points. Il ne le fut pas face à sa femme.
─ La petite vie dorée d'Alani prit fin lors du coup d'état et de la rébellion du peuple, mené par une certaine Antigone Bathory. La petite princesse fut contrainte de s'enfuir en laissant derrière elle tout ce qu'elle connaissait, sous ordre de son père, pressé par l'arrivée iminante des assaillants. Ses souvenirs sont flous, mais elle se suspecte de conserver celui de l'exécution de sa mère dans un recoin verrouillé de sa mémoire.
─ Elle fut sauvée par Lonan, son précieux compagnon renard, qu'elle rencontra pendant sa fuite. Il l'aida à disparaître sans laisser de traces, chassa pour la nourrir et la guida jusqu'à des terres moins dangereuses. Sa présence allégea un peu sa détresse. Jamais sa haine. Elle fit le vœu d'un jour reprendre le trône de Briserune et de venger sa famille.
─ Elle apprit à chasser et à esquiver les villes, se mouvoir en pleine nature et s'éclipser habilement. Elle découvrit le monde aux côtés de Lonan, à qui elle enseigna les complexités du langage humain. Elle voyage désormais, rôdeuse en quête, chasseresse vengeresse, attendant son heure, mais n'oubliant jamais.