un pas devant l’autre, il n’y a que comme ça qu’on avance
c’est la règle, tout ce que tu as entendu durant ces bientôt trente années d’existence
quand ton père disait un pas devant l’autre mais que tu ne comprenais que marche ou crève
un caractère et une vision du monde forgés par des genoux abîmés et des poignets fouettés
la ligne est droite
il suffit de la suivre, mais tu ne voulais pas suivre
tu voulais décider de la direction par toi-même

et c’est ce que tu as fait
tu as pris les rênes de cette vie qu’on voulait t’ordonner
tu as choisis la route et les étapes puisque personne ne pourra jamais mieux savoir ce qui est mieux pour toi
tu as grandi, appris, amassé toutes les connaissances qu’il te fallait amasser pour te hisser au plus haut de la chaîne alimentaire
tu es le maître à bord, guidé par ce besoin d’obéir à soi et à personne d’autres, furent-ils tes géniteurs ou tes supérieurs, furent-ils rois ou paysans, furent-ils riches ou pauvres
pourquoi laisser ceux qui sont inférieurs décider après tout, qu’ont-ils comme pouvoir contre toi?
du haut de ce piédestal durement acquis, tout le monde est inférieur à travers ton regard

pourtant, c’est au travers du regard des autres que tu survis
toi qui ne te sens vivant que lorsque tu attires l’attention de tes pairs, leurs louages, leurs insultes, les amours, leurs haines
si on parle de toi c’est que tu existes, c’est que ton importance existe
-c’est que tu n’es pas qu’un fils de-
toutes ces mélodies qui permettent à ton corps de vibrer et à ton cœur de battre
toutes ces mélodies que tu accueilles avec rire ou avec menace selon les humeurs de ton fil harmonique
qu’importe, finalement, ce que l’orchestre a décidé de jouer tant qu’il joue et tant que les notes dissonantes ne viennent pas souiller la partition
c’est que tu n’acceptes pas ce qui n’est pas parfait, ce qui ne file pas droit

tout est toujours mené d’une main de fer
car le moindre faux pas, le moindre écart peut amener à la fin de tout
à la fin de toi
et c’est ta propre survie qui dicte tous tes actes
alors tout est toujours mené d’une main fer, que le gant de velours protège sans jamais faillir
il ne faut pas salir tes mains après tout
jamais
que chaque tâche à accomplir soit accomplie par autrui
que chaque tâche de sang soit versée sur les chaussures d’autrui
c’est ainsi que vit un vrai monarque, et c’est la couronne que tu tiens à porter pour toujours quand bien même c’est un or noir qui habille le diadème
le roi du monde souterrain

et que tes loyaux sujets te soient toujours loyaux, c’est pour leur propre bien
car le roi est un roi tyrannique
car il sait comme le monde peut-être beau
et il sait surtout comment peindre en noir toute cette beauté
la trahison est une option qui n’amène qu’à l’enfer et l’enfer est un élément que tu as appris à maîtriser après toutes ces années
toujours avenant et souriant aux premiers contacts, le plus gentleman des gentlemans
-c’est qu’il faut être irréprochable en toute circonstance
cacher ce qu’il y a à cacher-
mais un regard de travers suffit à la volte-face

la mort, alors, serait un moindre mal
les oreilles partout, tels les rats qui glissent entre les murs
les vies sont détruites sans même avoir à blesser le corps
c’est à travers les informations, le savoir, les ragots, les dit-on que ton réel pouvoir prend sa source
tu te veux lion mais c’est du venin qui coule le long de ces lèvres perfides

comme si la vie était si terne, pourrie à même les racines, que la seule façon d'y ajouter de la couleur était de s'intéresser à celle des autres
ça te fait rire et le rire est ton principal moteur
l'une de tes motivations à te lever chaque main et à ne pas te laisser crever
tu vas rire des blagues, du malheur des autres, des situations compliquées, des situations grotesques, de tout tant que ça apporte des éclats
on voit, pourtant, toujours une tâche sur le tableau
comme un malaise inexpliqué et inexplicable lorsque tu souris
comme si tu savais que tu n’y avais pas le droit
comme si autoriser une pause légère à ton cœur ne pouvait te conduire qu’à la mort

parce que la vie n’est qu’une succession de pas
et si tu ne marches pas
tu crèves