Cela faisait bien des mois qu’Hermès n’avait pas foulé du pied le sol de Malronce –presque toute une année à bien y compter. Si la promesse de l’argent pouvait parfois l’y ramener à l’occasion d’un de ces nombreux travaux variés qu’il acceptait sans rechigner, le jeune préférait généralement éviter sa terre natale où il se sentait comme à la maison, dans le mauvais sens du terme ; comme si une centaine de paires d’yeux l’épiaient, le regard fixé sur sa nuque, à l’observer se débattre et trébucher une fois encore.
Plus rien ne semblait lier Hermès à Malronce, si ce n’étaient de mauvais souvenirs, car tous ceux qu’il y avait un jour aimé semblaient être partis.

Le soleil qui se levait de plus en plus tard, perçait à peine les nuages de ses timides rayons matinaux lorsque le garçon déchu se faufila en douce hors de la chambre de celle qui avait fait appel à ses services pour la nuit, peu enclin à se fendre en bavardages sur l’oreiller lors de son réveil alors qu’une mauvaise migraine pulsait déjà à ses tempes.
Les rues d’Aubépine étaient calmes à cette heure, et peut-être était-ce là sa lucidité abîmée par les excès de la veille et la douleur dans son crâne, mais il lui semblait presque arpenter les rues d’une ville fantôme, restes silencieux d’une cité autrefois abondante en activité et en bruits.
Alors naturellement, Hermès ne réagit pas tout de suite lorsqu’il lui sembla croiser un spectre familier dans la brume matinale.
Il lui fallut un petit moment pour réaliser ; et un autre pour agir.

Mu par une impulsion qu’il n’expliquait pas, Hermès se retourna et avala rapidement la distance qui le séparait de la silhouette encapuchonnée qui était passée devant lui sans le voir, avant de l’attraper par le bras et le tirer brutalement dans une ruelle adjacente où il serait plus discret de converser.
On avait certainement fait plus délicat comme approche mais Hermès n’était pas vraiment connu pour l’être.

Dans l’obscurité, de la ruelle, ses pouvoirs de l’ombre devenaient utiles pour immobiliser l’autre et ainsi s’éviter une riposte tandis qu’il relevait le capuchon qui lui dissimulait le visage.
Une seconde passa, puis deux, puis trois ; le temps semblait flotter tandis qu’Hermès redécouvrait, les yeux écarquillés, les traits de celui qu’il avait appelé son meilleur ami dans ce qui semblait être une autre vie.
Il lâcha le morceau de tissu, qui retomba sur la tête de Clovis, et sa magie s’évanouit aussi vite qu’il l’avait utilisée, de toute manière incapable de la maintenir trop longtemps dans un tel état, avant d’aller s’adosser contre le mur. Hermès passa une main sur son visage et soupira dans un ricanement un peu étranglé.

« Est-ce que c’est une putain de blague ? »

Sa voix s'était faite sourde ; il était en colère—
au moins autant qu'il était soulagé de voir son ami en vie.

Hermès n’expliquait pas cette colère qui s’était emparé de lui ; depuis tout petit, il était capable d’éclats brusques et imprévisibles de rage et de frustration, et parce qu’on ne lui avait jamais appris à maîtriser ces émotions explosives, il s’était, jusqu’ici, toujours contenté de les laisser enfler en lui jusqu’à éruption.
Sa colère n’était peut-être même pas dirigée vers Clovis –il n’en devenait le réceptacle que parce qu’il se trouvait là sous ses yeux, vivant– et peut-être qu’une fois de plus c’était au visage du destin qu’Hermès voulait cracher sa haine d’avoir en son cœur porté un deuil pour rien.
Car dans l’histoire de sa propre déchéance, on pouvait voir une nette progression vers les abysses à partir du jour où il a cru son ancien meilleur ami mort dans les affres de la guerre.

Un rire nerveux le prit en réponse aux acidités de Clovis.

« Je peux te renvoyer le compliment de ce que je vois. »

Plus tenace que la crasse, c’était une assez bonne façon de le décrire ; qu’il s’agisse des efforts de sa famille, des maîtres de Sombrelune ou de la Maison-Dieu elle-même, rien ne semblait assez pour laver le déshonneur qu’il portait –et pas même sa propension à l’auto-destruction n’était suffisante à réduire à néant ce qu’il était devenu.
Depuis qu’il avait fuit, il n’était plus qu’Hermès, sans but ni dignité.
La crasse des siens.

Quelque chose se serra dans sa poitrine quand Clovis baissa les yeux.

« Je t’ai cru mort aussi, fit-il la gorge nouée. »

Il avait longtemps songé que les choses étaient mal faites ; que le Prince de Malronce aurait mieux mérité de vivre que lui, le Traqueur raté.

« Comment— »

Il buta sur ses mots ; renouer ainsi le contact et lui demander de ses nouvelles en de telles circonstances avait quelque chose de presque risible, mais Hermès n’était plu à ça près.

« Qu’est-ce qu’il t’es arrivé ? »

Hermès écouta en silence les explications et les reproches à peine voilés, le poing serré de frustration. Il n’avait pas besoin que Clovis l’accable pour se sentir coupable, il l’avait déjà suffisamment fait chaque jour qui passe depuis qu’il s’était enfuit –même sa liberté avait un arrière goût d’amertume et de cendres qui empiétait au fur et à mesure sur la douceur mitigée de son demi-affranchissement.
Hermès n’avait pas pleuré Clovis, mais il avait noyé sa peine dans tant d’alcool qu’il avait fallut qu’un guérisseur l’aide à se réveiller ; deux jours plus tard, il avait recommencé.

« Je le sais tout ça, fit-il plein de dépit –et si sa voix avait tremblé rien qu’un peu c’était sur les excès de la veille qu’il préférait miser que sur une faille de son cœur. »

Les bardes avaient conté maintes fois dans les tavernes le récit tragique de la bataille des Rosiers et la chute de la famille Vaudreuil.
Il le savait et et il s'en était trop soucié pour son propre bien ; ce qu’il avait fini de l’ensevelir sous la culpabilité c’était de n’avoir pas été là, avec ses pouvoirs démesurés, pour faire quelque chose pour les aider,
mettre enfin ses dons au profit de quelque chose de bien,
n’importe quoi.

La question qu’il avait voulu poser à Clovis lui fut retournée avant qu’il ne puisse préciser le fond de sa pensée, et il soupira. Lui si arrogant autrefois n’aimait plus parler de lui ni de ses piètres exploits, et il avait pris l’habitude d’ignorer tout ceux qui le questionnaient, ou de les envoyer paître sans grande délicatesse.
Mais Clovis n’était pas un de ces gens sans importance.

« J’ai été partout, Clovis. »

Des déserts obscurs de Sombrelune aux collines chatoyantes de Grandvent ; des plaines fertiles de Belorge aux rives du Lac aux Joyaux –Hermès avait traqué des fantômes dans le monde entier sans jamais se convaincre de toucher son but un jour.
Même à Briserune, il s’était rendu ; guidé par l’idée ridicule qu’il y trouvait des survivants du nom de Weiss pour tirer Bonibell des griffes des Darragh à sa place –en vain.

« J’ai traqué et j’ai perdu. Maintenant c’est sans importance. »

De son premier démon, il avait été débarrassé par l’intervention d’un autre mais sans jamais se voir libéré de la malédiction de la Traque ; et quand la Maison-dieu lui avait assigné une autre cible à pourchasser sans relâche il avait déjà baissé les bras pour la dernière fois.

« Et toi ? Qu’est-ce que tu fais depuis que tu as disparu ? »

L’incompréhension de Clovis trahissait des impatiences frustrées qui n’aidaient pas non plus Hermès à s’apaiser ; s’il se fichait de vendre le secret que les mages tentaient encore de tenir secret auprès de la population si c’était pour en parler à Clovis, il redoutait d’en parler pour au final ne se confronter qu’à un déni, un refus d’accepter la vérité tant elle pouvait sembler absurde. Mais une lueur alluma soudainement le regard du jeune homme qui mentionna les rumeurs, et Hermès poussa un soupir discret de soulagement.
Il hocha la tête, puis vint passer une main fatiguée dans ses cheveux, sur son visage –comment aborder ce que les mages comme sa propre famille lui avaient strictement interdit de mentionner ?

« Je— bon panique pas ok, c’est pour te montrer ce sera plus simple à expliquer après, fit-il, visiblement agacé par le genre de situation dans lesquelles sa condition le poussait à s’empêtrer. »

Dans la ruelle soudain, l’obscurité se mit à danser autour d’eux, les ombres léchant les murs dans des arabesques saccadées qu’Hermès aurait pu trouver intéressant à regarder si seulement ça ne venait pas de lui –et de ce pouvoir qu’il haïssait.

« Quand je suis parti faire mon éveil, j’ai reçu la magie de l’ombre. Celle des démons. Et maintenant je suis censé leur courir après et les tuer pour être enfin libéré. »

Il soupira encore un peu et ferma son poing ; les ombres cessèrent leur valse obscure.

« J’aurais préféré le feu. Et rester à Roseraie, avec Bonnie, Selena et toi. »

Il était sincère en prononçant ces mots là ; sans cet énième fardeau sur les épaules, il aurait pu supporter les attentes familiales –au moins un peu plus longtemps. Assez peut-être pour épouser Bonnibell, et s’émanciper de l’atmosphère poisseuse des Darragh sans avoir à laisser tomber l’entièreté de sa vie pour courir après des chimères inaccessibles.
Assez pour être là où il aurait dû être pour soutenir ceux qui lui étaient chers quand il le fallait.
Un rire sans joie –mais sincère, on y ressentait aisément la lassitude qui l’accablait– lui échappa quand Clovis avoua, comme lui, n’être plus qu’un vagabond et Hermès ne remit pas ses paroles une seule fois en question.

« Merde Clovis, fit-il, une ironie doucereuse et écœurée au bord des lèvres, regarde nous. »

Sans se départir de son sourire –il ne savait plus pleurer à moins d’avoir la tête dans un pot de chambre à rendre ses tripes et ses regrets tout à la fois, alors à la place il souriait comme un diable– Hermès baissa la tête, puis courba le dos pour finalement s’accroupir au sol, se pinçant d’une main l’arrête du nez comme pour apaiser la migraine qui l’assaillait par vagues, les yeux rivés par terre.

« T’es pas fatigué toi ? »

Moi si –si tu savais.

Tout le temps.
Dissimulé dans l’ombre de ses cheveux noirs, le sourire d’Hermès se fit plus large encore mais aucune joie ne s’en dégageait –c’était un sourire cynique et hargneux, le genre qu’on ponctue lorsqu’on se dit « je le savais » et qui trahissait une lassitude profonde et vicieuse.
Hermès était fatigué de courir après des ombres qu’il n’avait pas la moindre envie d’assassiner pour accomplir une soit-disant destinée dont il n’avait pas voulu ; il était fatigué de ne plus savoir exister sans qu’une partie de sa conscience soit suffisamment anesthésiée par l’alcool pour rendre la vie supportable et il était fatigué de porter le poids de toute cette culpabilité qui pesait sur ses épaules –celle qu’il méritait comme celle qui n’aurait pas dû être sienne.
Alors dans l’honnêteté de la réponse de Clovis, il trouva du réconfort, et un peu de désespoir aussi.

Il fallut un peu de temps au jeune homme pour réaliser l’étreinte, et quand ce fut fait il ne sut comment réagir ; cela faisait des années maintenant qu’Hermès n’avait plus comme contact physique que les embrassades de ses conquêtes –parfois de ses clients– et les coups donnés et reçus lors de bagarres alcoolisées, et il en savait plus comment réagir face à des démonstrations d’affections aussi pures et sincères que celle que Clovis était en train de lui offrir.
Il évita de trop songer aux embrassades fraternelles qu’ils avaient pu échanger sans honte auparavant de peur de raviver des blessures qui n’avaient pas cicatrisé.
Et puis finalement, Hermès leva un bras et posa une main presque timide à l’arrière de la nuque de son ami où il tapota maladroitement.
C’est bon de te revoir –et son cœur se serra dans sa poitrine car à s’être lui même exilé il avait fini par oublier que ce n’était pas le monde entier qui ne voulait pas de lui.

« …Merci, fit-il d’un ton sourd, presque dans un murmure, toi aussi. »

Hermès pouvait dire ce qu’il voulait de Malronce, des rues de Roseraie et de la demeure Darragh –dans les bras de Clovis il se sentait un peu comme de retour à la maison et c’était plus doux-amer que ce qu’il aurait cru.

« Et désolé… »

D’être parti, de ne pas avoir été là quand c’était important, de ne pas être l’homme solide et fiable qu’il avait cru être plus jeune –il ne précisa pas pourquoi il s’excusait car s’il commençait à faire la liste il n’aurait pas fini avant que la nuit ne soit tombée.

« Depuis que je suis parti je sais plus ce que je fais, il avoua dans un ricanement amer. »

Avait-il jamais su ?

Taire les rancœurs du passé –autant la chose était plus qu’aisé envers Clovis puisqu’Hermès n’avait pas retenu la moindre amertume contre lui, autant il se sentait encore incapable de tirer un trait sur la rancune qu’il éprouvait contre sa famille et un peu indirectement, contre Malronce et les sentiments contradictoires et douloureux que le royaume lui évoquait.
Mais il n’était question que de Clovis pour le moment –alors Hermès releva la tête, un sourcil arqué, la mine interrogatrice quand son ami avoua ne pas avoir été honnête.
Le blond semblait mal à l’aise, comme s’il ne savait trop sur quel pied danser, et malgré l’esprit ralenti par les excès de la veille et la migraine, Hermès pouvait deviner qu’il avait quelque chose d’important à lui annoncer.
Une ébauche d’idée lui vint en tête mais s’évapora aussitôt.
Il ricana.

« Trouver la voie, hein ? fit-il d’un ton presque moqueur sans être malveillant. »

Il peinait à y croire puisqu’à ses yeux sa voie était toute tracée pour lui par la volonté de la Maison-Dieu ; il fallait juste qu’il trouve comment répondre aux attentes de Sombrelune. Mais il avait beau se savoir détestable et perturbé, Hermès n’avait jamais été traître au point de divulguer des secrets, et ça, il savait que ça n’était pas une invention des Darragh mais que ça venait de lui-même.
Alors il hocha la tête, et osa presque se montrer confiant.

« Je suis pas une balance, Clovis. C’est peut-être un des seuls trucs qui a pas changé. »

Et le sourire un peu narquois qui se logea au coin de ses lèvres avait des airs de bon vieux temps.

Hermès avait attendu patiemment que Clovis se décide à parler, mais s’impatientait un peu de le voir hésiter un peu –il n’en fit rien cependant, et quand le secret fut révélé, Hermès ne réagit pas tout de suite.
Il fallait que l’information monte, qu’elle se fraye un chemin dans les méandres tortueuses de sa conscience.
Et quand il percuta enfin, sans savoir s’en empêcher, il laissa échapper un ricanement pouffé qui se fit éclat de rire.
Et Hermès continua à rire, de bon cœur, faisant fi de la douleur qui martelait son crâne et de celle plus douce de la nostalgie qui lui tiraillait dans la poitrine –il riait comme un gosse pouvait rire suite à une blague de son meilleur ami, et s’il y pensait trop peut-être qu’il aurait un peu envie d’en pleurer.

«  Ow, putain, il soupira quand l’hilarité redescendit en se tenant les tempes des deux mains comme si la migraine s’en irait plus vite s’il appuyait dessus. Mauvaise idée la liqueur maison du vieux hier… »

Il secoua la tête comme pour se réveiller et posa sur Clovis un regard encore un peu amusé, et presque dépité tout à la fois.

« Magnus III, hein… T’es pas sorti de l’auberge, toi. »

Il souffla un dernier ricanement qui, quoiqu’encore un peu railleur, sonna bien plus doux que les précédents.

« Je dirais rien, c’est promis. Compte pas trop sur moi pour te donner du Votre Majesté par contre, on va pas abuser. »

« Tu m’étonnes, ouais. »

Hermès comprenait la peur et l’angoisse ; il les avait encaissées seul après son Éveil, masquant les doutes et les inquiétudes derrière le masque de l’arrogance typique de quiconque porte le nom Darragh, et à force de feindre les autres et refouler le reste il avait fini par se convaincre un peu plus lui aussi de sa force –ça n’avait fait que rendre la chute plus rude des mois plus tard.

« En revanche je pense pas que ce soit un truc de raté d’aller voir le monde, il ajouta dans un sourire qui se voulait sincère mais qui ne manquait pas, comme à chaque fois, d’avoir un rien d’insolent. »

Si Hermès regrettait la façon dont il avait fuit, il n’avait pas le moindre remord quant aux voyages qu’il avait entreprit et au monde qu’il avait découvert ; sortir de la bulle qu’était l’aristocratie Malronçoise, que ce soit en crachant sur son ancien statut de noble ou en quittant la ville, avait été la plus grande aventure de sa vie.
Pas nécessairement la plus belle, mais au moins la plus remplie –et c’était de sa propre initiative qu’il l’avait accomplie. Quand bien même les nuits trop arrosées, bout à bout, rendaient certains pans de sa mémoire bien flous.

« Les gens de la haute bien nés qui sortent jamais de chez eux et se croient mieux que tout le monde parce que c’est ce qu’ils ont toujours entendu on sait comment ça fini, pas besoin de ça pour gouverner, hein. »

Il songea que si son père avait porté une couronne sur sa tête –comme il l’aurait certainement voulu– un peuple révolté aurait eu tôt fait de la lui couper.

« Attends d’essayer pour de vrai avant de te considérer comme un raté, non ? »

De son côté, c’était déjà fait ; l’insulte était méritée.

Si Hermès avait désormais un semblant d’idée de ce que pouvait être le poids des responsabilité, il n’imaginait pas celui que Clovis portait désormais sur ses épaules ; être traqueur avait au moins l’avantage d’être simple dans le principe : traquer sa proie, et la tuer. Porter la couronne en revanche, c’était un enchevêtrement de règles et de responsabilités, de choses à penser et de choix à faire en pesant constamment le pour et le contre, et Hermès, pour rien au monde, n’aimerait se trouver à la place où se tenait son ami désormais.
Il imita Clovis en se redressant, et c’était peut-être uniquement dû à la brume matinale qui se levait doucement et chassait l’obscurité de quelques timides rayons de soleils, mais le monde lui sembla un peu moins sombre lorsqu’il releva la tête.
Clovis voulait bien de lui ; il comptait sur lui –et loin de lui rajouter du poids sur les épaules il avait l’impression de pouvoir se tenir un peu plus droit maintenant qu’il se sentait
un tant soit peu pardonné.

« Pff, tu fais chier Clovis, il souffla en se passant une main embarrassée dans le cou. C’est d’accord. »

Hermès, compliqué malgré tout, avait espéré quitter Aubépine au plus vite et la demande de son ami allait à l’encontre de ses plans –mais impossible de refuser, il le savait.

« Mais c’est pas parce que t’es le Roi. »

C’est parce que c’est toi.

« Dis…t’es bien entouré au palais, au moins ? Selena est toujours dans le coin avec toi ? »

Une lueur de soulagement pu se lire sur le visage d’Hermès à la réponse de Clovis –Selena était son amie au même titre que lui et il culpabilisait de n’avoir jamais fait autre chose que tendre l’oreille de-ci et de-là pour avoir de ses nouvelles depuis la guerre, et la savoir aux côté du jeune homme le rassurait ; il savait qu’ils faisaient bonne équipe.

« D’accord, fit-il, conscient de la douleur que ce genre de sujets pouvaient éveiller chez son ami. C’est bien que vous soyez tous les deux. »

Lui avait abandonné son autre inséparable il y a maintenant des années, et il avait ouït dire qu’elle s’était envolée dès que la cage qu’était la demeure des Darragh avait été mal refermé. Hermès ne savait si ça le rendait heureux, fier ou inquiet que Bonnie soit partie –après tout, lui-même l’avait encouragée à le faire, un peu pour soulager sa propre conscience, et un peu aussi parce qu’elle méritait mieux de rester pourrir là-bas.
C’était sûrement un peu des trois.

« Le premier octobre, il répéta, comme pour confirmer la tangibilité de la promesse. Oui. »

Hermès n’était pas doué pour les adieux, et peut-être encore moins pour les au revoir ; devant la gêne apparente de Clovis il ne trouva qu’à lui donner un léger coup de poing sur l’épaule, comme autrefois, pour transmettre tacitement toute la joie qu’il éprouvait de l’avoir retrouvé, sans savoir comment le dire autrement.

« Allez, à plus Ton Altesse, fit-il dans un ricanement narquois et arrogant qui, comme souvent, dissimulait tous les malaises qu’il pouvait ressentir en dedans. »

Et dans un éclat de lumière circulaire, sans plus de cérémonies, Hermès disparut.
Ne laissant flotter derrière lui que la promesse de revenir, cette fois.