Éveillé à la magie ? Non.
-Papa, tu sors?

L’enfant était là dans toute sa fraîcheur. Ses grands yeux n’étaient façonnés par aucun préjugé ni aucune indécence. Il le contemplait avec toute cette forme d’amour que les enfants ne peuvent pas dire, simplement transmettre.

Les mains sont rouges, pourpres du sang de celle qui a créé l’enfant. Mais Alphonse ne les couvre pas, sa senestre main s’appuyant contre sa lèvre. Le voilà peint de macabres et le crime n’accable pas ses traits. Son sourire se fait large devant ce petit être qu’il peut appeler sien. Sa bouche s'entrouvre dans une déchirure mince et :

-Tu es trop grand pour faire des caprices, désormais.

Il est assis.Ses mains ne sont plus écarlates mais emplis de la petite graisse des bébés. Les ombres ne sont pas encore emplies de lumière et ses yeux se posent sur les pans de la robe de taffetas de celle dont le visage ne semble n’avoir jamais existé. Elle bouge, elle vole dans cette pièce les mains sur sa taille fine et sa voix frôle le plafond. Ses yeux chimériques ne sont pas doux, et il se cache, personne ne fait attention à la table sous laquelle il éponge ses cris. Le bâton de sucreries n’a plus de goût à force de le mâcher, mais il continue car on lui a dit que si il y croyait assez fort les voeux allaient se réaliser.

Alphonse est l’enfant, la femme est la Mère et la comédie continue. Mère aimait les choses vites, les rêves comme les amours. Mère haïssait les contraintes des choses rapides, les enfants et la déception. Croyait-elle que ce garçon qui a été extrait de ses entrailles fourbes allait être un ange, une petite poupée à prendre et à déposer sans bruit ,dans les plus adorables parures?

-Tu es un déchet

La scène change, mais pas les enjeux. La femme change, mais pas les yeux. Les yeux sont toujours les mêmes, toujours ses yeux immatériels. L’enfant braille au fond, ce n’était pas lui mais c’était celui qui était moitié lui. Appuyé contre le battant de la porte, Alphonse laissait sortir ce son sale qu’il appelait rire. Elle hurlait, frappait le sol, la Femme. Si pleine de vie, si délicieuse. Quel choix judicieux qu’était d’être venu la suivre, elle la Veuve et lui le Meurtrier. Elle lui a donné tant et elle lui a apprit tant. Alphonse en était ravi, c’était une vraie femme désormais. Sa bave coule et la colère monte dans cette scène d’un ridicule consommé. Il s’amuse, Alphonse ne voit que ça d’un détachement certain, un spectateur d’un musée grotesque qu’on appelait Existence.

La femme n’était pas si pure, elle lui dictait comment la vie allait se passer. Il allait lui offrir une magnifique ridicule sur ses longs boudoirs délicats qu’on appelle doigt, il allait lui dire oui pour toute une vie. Il allait être là pour les temps perplexes de ce bâtard qui était le leur. C’était la moindre des choses, après le déshonneur qu’elle subit. Elle, la veuve. Elle, la martyr. Celle qui a cédé à lui.  Lui, le Mercenaire. Lui, le Créateur. Il se contente de rire plus fort, ses longs bras s’enroulant autour de la nuque de l'Amante. Alphonse la berce, comme pour lui dire oui.Mais le mot oui a déjà perdu son sens dans son esprit volatil, plus intéressé par cette réalité construite . Cette femme qui est devenu une Femme. Puis, le soir venu, il va se dissoudre encore une fois. Il n’a plus rien à lui donner, cette femme du pays ardent qu’est Malronce.


Fin de l'acte, la réalité de sa souillure le poursuit à la fin de ses souvenirs. Ses lèvres s’appuient sur la joue de ce fils qui l’aime. Cette joue éthérée d'enfance retrouve un peu du sang de son origine, tandis qu’Alphonse se relève. Il est l’heure, les premiers cris d’horreur se soulèvent en arrière plan :

-Retrouve moi mon fils.

Et le temps se fige, il est temps de continuer cette vie mise en pause par cette femme agaçante qui fut la sienne.

—Né à Malronce d'une mère noble dont il ne connait pas le nom et d'un esclave d'Ambrive.
—Sa mère l'envoie à Belorge à ses 5 ans quand elle se marie de façon légitime avec la couronne royale de Malronce. Du moins, c'est que sa nourrice lui a dit.
—Est dorloté par sa nourrice, mais terrifié par cet enfant, elle  tente de donner la responsabilité à plusieurs autres nourrices.
—Grandi entouré de femmes et plus particulièrement de femmes enceinte, il développe une fascination pour cet état de corps. Vrai homme à femme, il se fait adorer dans ce monde rempli de chairs et de lait.  
—Il claque la porte à ses 15 ans quand il est surpris entrain de caresser une des filles d'une nourrice.
—Se fait enrôler comme soldat pour Belorge quand ivre, il sort d'une taverne. Accepte avec philosophie en pensant pouvoir séduire avec son uniforme.
—Réussit à passer 5 autres ans dans l'armée avant de partir. Multiples conquêtes au compteur, il devient mercenaire pour l’appât d'un plus gros gain.
— Le meurtre devient une habitude, et il se surprend à penser à ces femmes qui attendent ces hommes. Alors, il décide de retrouver la femme d'une de ses victimes. C'était une femme de Malronce.
—L'obsession pour Malronce débute. Il voit son premier enfant naître, quelque chose remue en lui. Il ne sait pas quoi mais il le sent.
—Devient de plus en plus dégoûté de devoir tuer car, ça l'ennuie profondément. Durant son temps libre, il séduit une noble de Belorge. Elle tombe enceinte et le voilà, promu noble.
—Joue le rôle d'un bon père de famille avec sa tribu galopante et sa femme rayonnante, mais il continue de séduire. Plus de chairs, plus de vie à distribuer, plus de vie à rendre. Apprends les us et coutumes nobles. Pendant 30 ans, le manège dure et lasse Alphonse. Il supporte pas cette vie rangée et fade.
—Sa femme le confronte sur son infidélité. Ennuyé d'être dévoilé et fatigué de cette femme imposée, il se défend et la blesse sérieusement. Persuadé de l'avoir tué, il s'enfuit en embrassant le front de son dernier fils né.
—Se cache en dressant des chevaux, dissimulé dans l'ombre de son ancien nom. Maintenant qu'il est libre, il veut revoir Malronce. Il veut comprendre. Mais Belorge le retient dans ses bras fertiles.