Le sol craquelant de l'auberge, en dépit de ses couinements apeurés, peinait à percevoir mon pas feutré, aux frontières de l'audible—assez appuyé, cependant, pour assurer ma présence. Le silence se juxtaposait à la terreur que l'instant incarnait, plongeait l'immobile silhouette dans le regret de ses propres écarts ; son pacte, par l'affaiblissement coupable de son cœur, ouvert à la corruption : par sa faute, bien des morts semblaient réclamer justice, comme des ombres sporadiques, hurlant à la rétorsion. Pareille cacophonie n'avait pas sa place ici, sinon dans l'imagination tortionnée de son esprit aveugle—ainsi vaincue, par l'intervalle d'un assaut unique, son amorphe fierté cherchait accroche dans une culpabilité hypocrite. Partisan d'un mal dont la proximité évinçait tout espoir de rédemption, la torture mentale en avait aboli tout dessein ; son mal-être comme unique châtiment, il fut livré à lui-même, à la merci d'un purgatoire fictionnel. Sans plus d'inquiétude, je m'étais dispensé d'une aussi déplaisante compagnie au profit de l'alcool du rez-de-chaussée : au-deçà de mon esprit à l'affût, je me soulageais de l'inactivité de l'homme. D'expérience, un brin de réflexion précédait la triste résolution, me forgeant de patience—quelques verres suffisaient à noyer l'attente, dans une solitude à laquelle je refusais de couper court, tant que durerait la traque. Une brève commande, diluant le moment dans un brin d'alcoolémie, suffit à occuper son esprit, le détournant d'une soudaine interruption : une charmante silhouette, emmitouflée de mystères, prit place à ma table. De ses divagations soudaines, le sujet ne paraît pas si absurde, compte tenu des informations présentées : une assurance à même de balayer ses doutes, et toute trace d'une quelconque terreur—sans plus de présentations, sous couvert d'une menace doucereuse, la discussion s'imposa. Être au centre d'une attention ne m'avait jamais chambardé, principalement du fait qu'elle ne retardait pas mes traques ; et l'interruption, bien que vite apaisée par les bons soins de ma concentration, m'étonna quelque peu.
Un instant, je vous prie, Votre Altesse. Il ne va pas tarder.
Son patronyme, même pour un belorgien déserteur, ne sonnait pas anodin. Une telle rencontre ne me fit pas sourciller, conscient qu'elle s'imposerait en temps et en heure : mes actes, en dépit de leur noble raison, ne faisaient pas l’unanimité. Ainsi, dans la quiétude qui régissait l'attente, un cri, en provenance des étages, déchira le silence. Une servante, dévouée au nettoyage des chambres, balbutiait quelques propos épars, desquels le mot suicide se suffisait—et sans un sourire, mon visage se détourna.
Si les démons vous intéressent, voilà une rare occasion : levez les yeux vers le plafond et gardez-vous de les cligner ; vous risqueriez de manquer l'essentiel.
Une voix charmante, volontairement modérée. Un visage adouci, sérénité gagnée d'expérience ; nul démon ne me gorgeait d'angoisse, et leur élimination relevait du détail. Un cri déchirant, une agonie entamée par le meurtre de son hôte, la répugnante créature semblait faire surface : jusque là dissimulée dans l'ombre d'un être auquel elle songeait comme parfaite enveloppe, l'esprit avait fait défaut. Sa mort, si cruellement provoquée par mes douces tentations, ne relevaient pas de mon fait direct—et le forçait à sortir au grand jour. Sous mon œil inquisiteur, la créature rampait à même le plafond, silhouette déréglée par sa propre impuissance—et son allure, au fil des instincts, perdit toute trace d'humanité. Dans un dernier concert de cris aiguës, comme l'agaçant crissement d'une lame, le démon s'en était allé.
J'ignorais que la royauté s'intéressait aux traques. Pardonnez mon insolence, une démonstration me paraissait autrement plus utile qu'un pauvre séminaire—mais à présent, si vous le souhaitez, je suis disposé à répondre à toutes vos questions.

C'est ainsi que meurt un démon. Tapis dans l'ombre,
Un désespoir solitaire, submergé par pléthore de regrets.
C'est ainsi que meurt un démon, qu'il s'estompe à jamais,
Plus loin que le Gouffre dont il s'est esbigné.
C'est ainsi que meurent tous les hommes, sous les ténèbres qui obstruent la vue et l'esprit auquel la moindre pensée est soustraite. C'est ainsi que meurt tout être, misérablement esquinté de ce qui le définissait. C'est ainsi—une choppe en main, les idées noires et insubmersibles à toute boisson nocive—que la traque prenait un virage, un énième cri étouffé par le vent ; c'est ainsi qu'il mourrait, dans un acte mené de toute élégance, par le parfait contrôle des circonstances. C'est ainsi, découvert par cet esprit simple et servile, sous un cri d'une horreur attendu ; c'est ainsi, sous l’œil inquisiteur des gérants aveugles, et à laquelle deux êtres faisaient défauts : un garde, lorgnant des alentours sans grande conviction, dans un lieu si étrique. Informateur dépêché aux bons soins d'un esprit lucide, dont l'origine me semblait bien intime ; une femme, de haute stature, et dont noblesse se voyait. Mon iris s'évade, retient des coups d’œil sporadique au garde dont il ne se pensait pas exposé. Mon iris s'évade, voue le dû respect à l'Altesse dont je reconnais maigre forme de hiérarchie : si, d'ordinaire, ma docilité se limite à Aiden, il me semble bien imprudent de décrédibiliser la royauté—d'autant qu'elle concernait mon pays d'origine. Un hochement de tête, mitoyen du silence et d'une réponse, suffit à marquer mon approbation, toutefois nébuleuse : toute autoritaire qu'une princesse se devait d'être, les exigences commençaient à peser pour un être supposé extérieur au Royaume.
Je ne suis pas un être avide, Votre Altesse, aussi répondrais-je à toutes vos questions sans nulle compensation. Je reste scepticisme, toutefois, quant aux raisons de cet interrogatoire, car la purge de ces êtres relève de la mission de l'Ordre.
Quel intérêt y-avait-il, à ce visage si curieux ?
Quel intérêt, au regard de tant d'exigences et d'un anonymat imposé ?
Sans me dépaître de l'impassibilité dont j'étais passé maître, mon esprit se laissait tortionner sous nombre d'idées farfelues : l'engagement de quelques mercenaires, pour protéger la population des démons, semblait être une mesure adéquate—encore qu'insuffisante. Mais qu'y pouvait-elle ? Qu'y pouvait la reine, noble femme à l'esprit étriqué par son propre environnement ? Comme un oiseau en cage dont le monde s'enivrait de la beauté ; comme une autorité vacante qui résonnait sur des parois opaques—et s'il n'en tenait qu'à moi, je me garderais de ces secrets. S'il n'en tenait qu'à moi, nous ferions front commun ; allouant tout soldat à l'encontre de la malveillance : cette mesure, à la frontière de l'utopie, était bien l'unique futur estimé plus profitable que la situation actuelle. Hubris, que mon cœur ne pouvait que cajoler ; solitude, dont ce premier se voulait associé. Le monde tenait à ma main, car cette dernière représentait une justice inflexible dont je faisais grand cas.
J’œuvre pour le bien commun, de fait, il me paraît imprudent de révéler de telles informations sans connaître les raisons de mon aveu. Mais soyez assurée, quelles que soient vos motivations, que le secret de votre visite restera bien gardé.

L'éventualité d'une oaristys avec la royauté m'arracha un délicat sourire, en vif témoin de mes déraisonnables désirs ; si j'éprouvais une légitime proximité avec la régente, autant pour mon origine que l'attention qu'elle me vouait, je n'en avais jamais espéré une telle issue. Pour elle, dont la figure embellirait les fresques du monde futur, contée dans une postérité dont nous ne connaîtrons les enjeux, la mienne disparaîtrait : vétille obscur d'un monde immense, dont toute trace serait légitimement effritée. Mes crimes, baignés d'horreur, ne méritaient davantage que l'oubli : si leur issue m'était exquise, elle ne suffisait à en éluder le mal. Un mort était un mort. Tout nocif qu'il soit, un humain était l'égal de ses pairs face à son inéluctable fin : de ses innombrables convictions qu'il espérait conclure, de nombre de sentiments dont certains n'avaient cure, il n'en restait rien. La mort, ultime et destructrice, ne laissait que des cendres—et avec elle, le souvenir amer, parfois mélancolique, de quelques instants, effacés par le temps. Un mort était un mort, et nul n'y restait impassible, pas plus les civils que mon esprit noirci, contractant cette doucereuse folie dont l'arrivée doucereuse me condamnerait à la nuit.
Votre Altesse, vous êtes une piètre menteuse.
Soufflée aussi délicatement que l'histoire qu'elle m'avait dépeint, ma voix adopta une inflexion plus amusée, mais presque imperceptible : si j'aimais à partager la légèreté d'un tel échange, avec une princesse à l'inégalable beauté, il était hors de question qu'elle y voit de la moquerie, mais un désir d'effacer la tension. Sans plus d'élucubrations, et en gage de mon intégrité, je me raclais la gorge, rassemblant son attention sur mon visage stoïque.
Ce démon est mort, car son humain s'est suicidé. Puisque je n'en suis pas coupable, mes pouvoirs survivent à cette mission—c'est ainsi que je procède. Si révulsant que vous trouviez ces méthodes, la résolution de mes victimes a le mérite de leur assurer une fin paisible... et, dans le même temps, ma continuité.
Un premier détail—auquel j'avais songé sur l'instant—qui n'y changeait rien, car là n'était pas ma principale préoccupation. Au nom d'une paix que la durabilité construit, je m'attelais sans fin à ces escapades, purgeant la surface de ses démoniaques intrus. Au nom du bien, je me rendais coupable de son antipode, sans nul regret. Si mon sourire survivait à de si effroyables écarts, la princesse ne semblait aussi flexible : le refus transforma son regard, troquant un masque chaleureux pour celui d'une capricieuse impératrice. Une telle expression—bien qu'elle ne s'attarda sur mon refus—aiguisa ma méfiance quant à son équilibre ; si l'idée d'un échange équivalent la faisait grincer des dents, sa politique ne me rassurait en rien.
Un démon n'est pas intouchable, car il serait aisé de l'appâter en usant de l'humain dont il s'est entiché. Toutefois, j'ai peine à croire que vous privilégiez l'intégrité d'une femme au chambre au point d'en accepter cette... chose au sein de votre palais, et ainsi compromettre votre sécurité.
Elle mentait. J'ignorais les détails de l'affaire, mais les circonstances me semblaient assez étranges pour être totalement vrais. Tout chevalier intègre, pour autant qu'il eut connaissance des faits, isolerait l'employée—et la princesse, si tant est qu'elle se souciait de sa famille, appliquerait cette même mesure. Par ailleurs, confier de telles informations à un traqueur relevait d'une terrible imprudence car, rendue publique, elle fragiliserait l'autorité royale. Cette impasse ne signifiait qu'une chose : l'humain pactisé, qui qu'il soit, ne pouvait se soustraire à un tel traitement, et valait la prise de si effroyables risques.
Je n'ai nul besoin d'explication pour répondre de vos ordres, et si telle est votre volonté, je resterai dans l'ignorance. En conséquence, Altesse, je vous prie de ne pas me mentir.
Mais à présent, la voix se fit plus profonde ; froide et descriptive des circonstances dont j'avais présumé de la véracité, elle ne portait nul jugement. Le traqueur traquait, et le démon, à terme, finirait par mourir. Mes missions ne relevaient pas de ma volonté, mais de ce que la nature m'opposait : tout autre démon, si malveillant qu'il s'avère être, n'était digne de ma considération.
Je vous le répète : votre visite restera un secret. Quant à ce démon, je n'en ferai rien, car il ne relève pas de ma responsabilité, mais bien d'un autre traqueur. Si toutefois vous désirez mon aide, il vous faudra me faire confiance.

Ô ma reine, si vous saviez
Comme je vous aime, vous, ce pays,
Cette paix que j'aspire à dessiner,
Grimpant sur les cadavres jetés dans les ombres que j'aspire
Inspirant, ce bonheur piétiné, expirant des horreurs assumées
Profanant le quotidien des uns, de ceux qui ont pactisé
Au nom du bien, du mal dont j'emprunte le pouvoir
Ô ma reine, si vous saviez
Comme je déteste ce pays, ces conflits
Comme ces actes me détruisent un peu plus à chaque bouffée
D'un air pollué, corrompu par les démones entités
Vous n'avez pas de problème de démon, ma reine
Non non non, si vous saviez
C'est le monde qui a ce problème—le monde que j'essaie de purger
Pensiez-vous que mentir vous aiderait seulement ?
Pensiez-vous qu'un traqueur ne saurait déceler vériter ?
Ma reine, ma reine, pensez-vous seulement
Ma reine, comment pourriez-vous espérer
La paix, de ce pays que j'ai déserté
La paix, lorsque vous n'êtes pas même digne de la vérité
Vous me faites confiance, dites-vous ?
Ah, est-ce bien rassurant, après mille et un mensonges !
Comme c'est rassurant, après unique question
La peur en dictatrice, étrangère à toute imposture
Je ne saurai vous répondre, ma reine
Et de peur ma voix est exempte, car ma vérité n'en nécessite
Ni la moindre, ni une once de toute hypocrisie polie
Et d'usage, je devrais m'incliner, honneur d'une telle révélation
M'incliner devant la royauté, un visage impassible, oubliant
Cet affront d'une effrontée ingrate dont je ne peux défaire la vision
J'appartiens aux ombres—encore davantage qu'à l'Ordre
Ainsi ma reine, je ne peux vous louer.
Tuer l'humain s'avère autrement plus aisé. Le démon peut survivre quelques instants à son humain, assez pour s'en lier à un autre—il y a fort à penser que l'humain soit dans un cas similaire.
Quant à une purge, véritable et sèche du moindre sang
Qui diable penserait à épargner ceux que les ténèbres engloutissent ?
Qui diable se fierait à une paix basée de tolérance et de repentis ?
La confiance ne règne que si elle ne fut jamais abolie
La confiance dont vous semblez avez perdu l'essence
Ai-je seulement besoin d'en apprécier le goût ?
Si vous le désirez, je peux mener mes recherches et trouver le traqueur lié à votre affaire. Je ne peux nullement garantir sa tolérance, mais devrais pouvoir vous assurer un rendez-vous.

Tel le matin de l'apocalypse, la voix qui ordonne
Une fin du monde dont je me sais cavalier
La mort qui frappe, insouciant châtiment, impartiale fatalité
La vérité qui frappe, sombre jugement, irrémédiable culpabilité
Puéril égocentrisme
Abominable mentalité
Tel le matin de l'apocalypse, je me suis ainsi réveillé
Épris de magie sombre, de quelques certitudes biaisées
Traqueur de ces démons pour en noyer les miens.
Tout semble si clair, à côté
Tout semble si facile, mais si désordonné
Ma reine, dont la proximité me blesse ; caprices dont la contemplation me tue. Une fidélité que je dois à mon sang, une folie à celui que je fais tant couler. La colère me semble illégitime, irrémédiable conséquence de cette panique dont j'ai saisi la racine. La reine s'impose, de cette couronne brillante dont elle ne peut faire valoir tout l'éclat ; sa voix contenue, dans la discrétion qu'elle s'évertue à maintenir ici. Une colère sourde et mes oreilles teintent de milliers d'éclats, les cris des hommes comme de ces créatures maudites ; la colère qui irradie comme un soleil brûlant, la chaleur qui vibre dans l'air comme un logique châtiment. 
Une reine, mais qui n'est pas la mienne, un problème, mais dont je ne devrais me mêler : mes yeux se détournent sciemment, cantonnés à la réflexion de ce qu'il convient de répondre.
Tel le matin de l'apocalypse, la chaleur pourtant étouffante
Loin de la douce fraîcheur de mes nuits de crime.
Ainsi soit-il. Je tuerai le démon et vous apporterai le corps de son humain, quel que soit son état, que vous jugiez des conséquences de vos propres yeux.
La voix sèche et claire, n'admettait nulle hésitation ; mon regard s'assombrit un bref instant, à la simple pensée de ces futures horreurs, sans que mes chaleureuses humeurs n'en soient éludées : sourire sur mes fines lèvres, ma crainte des caprices royaux s'était muée en une silencieuse fierté. Elle n'était pas immature—bien que sa diplomatie laisse à désirer—mais consciente de sa propre condition : puissante et autoritaire, calme et dévastatrice. En deçà de cette claire peau, j'eus l'insouciante vision de son sang céruléen : royal et précieux, comme l'attention qu'elle me prêtait ce soir.
Toutefois, Votre Majesté, dans le maigre temps qui m'est accordé avant ma prochaine assignation, permettez-moi de vous offrir un verre. L'instant ne s'y prête pas du mieux, mais votre beauté n'est pas des choses dont je puisse silencieusement m’accommoder.

Si j'eus été capable de ressentir de la culpabilité, l'ouragan de rage qui tonnait à mes oreilles aurait submergé mon cœur en lieu et place de cette incapable justice dont la reine était partiellement émissaire, mais mon indifférence s'érigeait comme l'insubmersible rivage contre lequel s'échouait ce qui fut autrefois une intempestive colère, maintenant évincée de tout privilège pour que n'en demeure qu'une si douce marée qu'on l'en aurait qualifiée d'accalmie. De belles paroles colportées par l'imminent besoin de couper court à la racine du mal, arrachant luxueux désir sobrement exprimé à leur sauvage circonstance pour nous pousser à une mutuelle et ennuyeuse empathie. Dans ce dangereux oxymore que représentait notre proximité, s'en tenir à de sages échanges civiques relevait du soporifique, tandis que la seule idée d'un flirt amorcé emplissait mes sens d'une immuable exaltation : la reine de Belorge, sous un couvert dont témérité s'était bien vite défait, se tenait assise à ma table, non insensible à mes avances.

Quelques malicieux lumignons germèrent au creux de ses iris d'ordinaire claquemurés dans le bagne de l'impassibilité au nom de nobiliaires obligations, déployant sa tolérance aux immenses panorama d'un monde affublé de merveilles : d'innocentes interrogations broyèrent l'agnostique rempart d'un esprit dont royauté se voulait ergastule, le cantonnant à d’étriquées conclusions dont nulle finalité ne semblait convenir à qui se voulait bienveillante. Quelques charmantes inclusions au sein d'une concorde que notre pacifiste mutuel avait enclenché, mes belles paroles tenaient moins d'une sédition que du sincère désir de contempler la beauté d'une charmante compagnie—et auquel ses iniques caprices ne sauraient soustraire le moindre plaisir :

Les champs d'or de Belorge sont d'une beauté que seule leur reine seraient à même d'égaler. J'ai pu apprécier les jardins suspendus de Souffleroc et rien ne saurait davantage me conforter en la certitude que ce royaume est le plus charmant d'entre tous.

Insubmersible sans doute, mais ma conscience s'humidifiait promptement de quelques délices régionaux en incorrigible vice de ma personne. La sagesse hachée par un désir frivole, le silence bafoué d'aveux inconscients dont abondance d'alcool se chargeait de la profusion ; quelques teintures écarlates en bon témoin de ma désabusée imprudence avant que vestiges de réflexion ne se laissent emporter au large de ce qui jadis fut le cœur de mes pensées. Fort heureusement, je n'en étais pas encore là : l'affliction d'une gorge asséchée par le dialogue m'avait poussé à combler notre solitude d'une commande, et deux choppes furent posées à même nos deux visages enivrés par le parfum qui s'en dégageait.

Vous ne devez avoir beaucoup l'occasion de sortir. Plutôt que d'envieuses descriptions, si je vous disais qu'en la faveur d'une dizaine de minutes, je saurais vous amener dans le lieu de votre choix et vous ramener ici, saisiriez-vous pareille occasion ?

Une fois levé de la modeste chaise qui me soutenait depuis bien trop longtemps pour que je n'en éprouve d'inconfort, un geste galant invita ma royale compagnie à me suivre sur le sentier de cette témérité sans bornes : une main tendue en direction de ce doux visage dont je n'espérais avoir à témoigner de la rare colère, tant pour les bienfaits de ses traits que pour mon destin que je craignais captif de ses moindres caprices. D'un geste circulaire, et en la faveur d'un instant de concentration dont j'avais toutefois pris le goût, l'espace se fendit pour illuminer les lieux d'une diffraction lunaire familière, et dont qui de mieux que la reine pouvait témoigner de l'authenticité : sans lui laisser le temps de questionner ce miracle que tout mage compétent était capable de mener à terme, je tirais délicatement la noble dame à l'intérieur d'un portail dont je ne garantissais qu'il survive éternellement aux effets du temps. L'acte s'était fait naturellement, de l'impatience d'un charmeur sans éthique à la curiosité—sans doute légitime—d'une femme à qui toute liberté avait été, par naissance, entièrement ôtée ; la contraignant à ce rôle apprêté d'une figure dont toute une population tirait fierté comme soulagement.

Sans éprouver d'animosité ni d'irrespect eut égard d'une reine envers qui j'avais silencieusement juré fidélité, dans la mesure de mes propres convictions, je peinais à comprendre les bouffonneries que tout un pays attendait de son dirigeant, comme un troupeau incapable de survivre sans la volonté de son berger. L'Histoire contait pléthore de pays soumis à l'oppression d'un tyran ; mais à mon sens, le peuple opprimait tout autant ses bons dirigeants par les attentes démesurées qu'il éprouvait à son égard.

Voyez comme le monde est vaste, Votre Majesté. J'aimerais vous faire découvrir tous mes lieux préférés mais j'ai peur que, si nous nous attardions trop, votre garde ne me le fasse regretter.

Un frivole coup d’œil vers un visage parfait, ma main s'écarta de la sienne et mon corps de sa vue panoramique, lui laissant le soin d'apprécier la beauté de Vertige. Une immense falaise qui ne laissait place qu'à l'immensité d'un inconnu tant effrayant que malsain pour qui en connaissait les résidents : ce n'est qu'en présence de ma proie que je me sentais aussi à cran qu'ici, car ces lieux était comme le portail des enfers où je me chargeais de renvoyer les damnés. Nul doute que si dans un élan suicidaire, j'éprouvais l'envie de visiter les lieux, je n'y serais pas le bienvenue.

Quelques rumeurs disent que les condamnés à mort sont jetés ici bas ; d'autres, qu'il existe un peuple vénérant cet immense gouffre. Bien des bruits courent en notre monde, mais si je puis vous donner un conseil, c'est de rester à l'écart de ce monde.

Comme marque des infinies tragédies dont cette âme peinée avait été témoin, un faible sourire se hissa à même un visage attristé par la proximité réclamée d'un monde aux mille terreurs, et dont ma seule main ne suffisait à nullifier l'autorité. Armé d'une lame et de quelques bribes d'un courage que les ténèbres se chargeaient aisément de ternir, ma dévotion n'était pas assez téméraire pour que je ne daigne m'élancer dans le creux de ce que nombre de personnes considéraient comme l'incarnation de la Mort, un lieu capable de broyer toute trace de lucidité pour n'en laisser qu'une malveillance écrasant tout restant d'humanité. Sobrement relégué hors du champ de vision d'une femme sans nul doute merveilleuse, mes yeux s'attardèrent sur la vue mélancolique d'une lune si lointaine, comme l'espoir d'en goûter à la quiétude.

Il me faut vous raccompagner à présent. Toutefois, si vous éprouviez à nouveau quelques envies d'évasion, je serai ravi de venir vous tenir compagnie à nouveau.