Alors que le soleil entamait son déclin entre les rues d'une ville encore bien animée, mon indéfectible curiosité m'avait poussé en les sombres bras d'une curieuse taverne, tant pour sa charmante devanture que le calme dont bien trop peu d'établissements paraissaient pourvus : la capitale ne semblait prête à s'émanciper de la cacophonie interminable qui durait depuis quelques heures déjà, témoin de l'engouement que Malronce suscitait chez nombre de personnes. Bien qu'il m'eut été désagréable en des circonstances plus macabres, le boucan laissait fleurir en moi un sentiment de familiarité presque rassurant, éludant la solitude dont ma table vide—si ce n'était pour cette choppe au goût du Léthé—m'imposait le sentiment : quelques rues plus loin, sans doute, les percussions de quelques troubadours se laissaient retentir, assistés du chant communié d'une foule alentour, gagnée par l'euphorie. Le maigre sourire d'une âme festive se laissa échouer sous l'ombre du verre porté à mes lèvres, les yeux sereinement clos par la quiétude d'une alacrité environnante.

Dans le tableau utopiste que de rares occasions seulement me permettaient d'apprécier, une ombre familière vint troubler cette silencieuse contemplation en la personne de Lancelot. Sous une bouffée de nostalgie que son visage ravivait en moi, un instant ne me suffit à réaliser la vacuité de mon récipient et mon corps se figea, d'une incompréhension amarrée par la longue observation du charmant homme que feu mon camarade était devenu : de longues années de silence suivaient le passé commun de deux charmants jeunes hommes, toutefois séparés par les inflexibles restrictions que l'Ordre réservait aux traqueurs. De cette jeunesse dont je ne gardais pour toute connaissance qu'un silencieux Aeren et son antipode ci-présent, je me plongeais parfois dans les rares souvenirs que mes traques ne s'étaient pas attelé à effacer : une personnalité aussi chaleureuse qu'avenante, à présent troublée par le mystère nébuleux qui entourait Lancelot Maoilriain.

Mon cher Lancelot, c'est toujours un plaisir que de te retrouver. Nul besoin de feindre la surprise, cependant, un homme comme toi a des oreilles partout—tu es certainement au courant, si ce n'est au fait de ma présence ici, j'en suis bien conscient.

Une fois encore, et sans la moindre pudicité cette fois, mon visage trouva les bienfaits d'un sourire sincère, tant d'amusement que de la joie nullement contenue d'une rencontre, si calculée soit-elle. Parmi l'entourage dont je remettais souvent en cause la légitimé, pour qui s'attelait à des assassinats de sang-froid, un homme tel que Lancelot n'avait rien à m'envier : ses manigances le rendaient aussi éligibles que moi à l'incrimination, bien que lui fasse montre d'une habileté toute autre à la discrétion. À l'inverse, il connaissait assez bien la ville pour que nul secret n'échappe à son service subrepticement disséminé en son sein, nullifiant tout l'intérêt d'un mensonge à son égard lors de ma réponse. Par ailleurs, et je l'avais appris au fil de l'expérience, la vérité se voulait une cachette idéale pour qui refusait de s'atteler à d'interminables confidences.

Je suis venu rendre visite à l'une de mes connaissances. Tu me connais, lorsque je suis trop longtemps dépourvu de la compagnie d'une femme, le désespoir finit par me gagner.

Quelques gorgées d'alcool vinrent engloutir l'amertume d'une révélation si sincère qu'il m'était douloureux de la partager. En dépit de la quasi-omniscient de qui daignait me conforter de sa noble présence, je m'étais toutefois refusé à dévoiler l'identité de ma brève compagnie—ne serait-ce que par principe—car je lui en avais fait la promesse : si la présomption de connaissance suffisait à ébranler la volition avec laquelle j'avais fait vœu de fidélité auprès d'une princesse, toute déchue qu'elle fut, quelle sorte de confident pouvais-je clamer être ? Par ailleurs, et cette fois, mon expérience personnelle était la cause d'une pareille interrogation, je nourrissais la certitude que Lancelot m'était apparu pour une raison toute autre que la nostalgie dont il ravivait les braises, mais du fait de laquelle, toute traqueur que j'étais devenu, je n'étais pas assez insensible pour lui refuser cette entrevue.

Je suis ravi de te revoir, sache-le, mais je ne suis pas homme assez naïf pour croire que ta présence résulte du désir de quelques échanges nostalgiques. Si mon aide peut t'être précieuse, Lancelot, je te l'offrirai avec plaisir.