En cette fin de période estivale, les effluves de pluie sonnaient les prémices d'un nouvel automne. Mais plus que l'humidité, le changement drastique de température en affectait plus d'un à la constitution fragile. Et parmis ces infortunés, une femme pristine émergea spontanément de sa pensée. Fragile au point d'imaginer qu'un simple froid ne la brise, ses récentes affaires l'eut distancé de la belle oracle pour son propre bien. Ou était-ce le sien ? Il ne saurait dire, car de son secret il n'avait de crainte de sa découverte. Et avec elle à ses coté, il n'était question que de temps avant qu'une vision ne l'amène sur ce chemin. Devait-il donc renoncer à toute cette mascarade, fuir tel un sauvageon et embrasser sa nature animalière ? Outre les sérieuses interrogations sur sa capacité à survivre de pareil train de vie, il se refusait catégoriquement à abandonner l'oeuvre d'une vie par le désastre surnaturel que présentait le void. Etait-ce sa vengeance vis-à-vis de la Maison-Dieu ou quelqu'autre force omnipotente ? Qu'importe, il vivrait sa vie comme il l'entendrait et prendrait fin sur ses termes. En tant qu'humain et non pas comme une bête sanglante.

Mais plus que le regret, c'était l'isolement qui brulait l'âme du jeune cuisinier. Se distancer ainsi d'êtres chers lui pesait lourd sur le coeur, et souffrait du regard incompris de l'oracle tel un fardeau insidieux. De leurs années passées, il ne s'était jamais montré si froid qu'à son retour du banquet sanglant sept mois de cela. C'était une précaution dérisoire à n'en pas douter, née de sa poltronnerie plus que d'un quelconque instinct de préservation. Car contrairement à tante Joséphine, elle avait obligeance de serment envers le roi, et lui demander de garder secret serait une trop grande faveur...

La nouvelle de sa santé détériorée ne le surpris guère, le froid ne lui réussissant guère. Des réminiscences sur leurs années au château lui évoquèrent une idée réconfortante. Une habitude lorsqu'elle en devenait alitée qu'il souhaitait aujourd'hui revivre dans l'espoir d'enterrer cette distance corrosive. L'heure du souper approchant, il s'attela à la confection d'une soupe de courge et châtaignes. Congédiant la suivante de Sybille venue lui apporter le repas du soir, il se décida de lui même à lui faire surprise, pour peu que sa clairvoyance ne le trahisse avant.

Toquant trois fois à sa porte, il se laissa entrer non sans éveiller un soupçon de surprise. Comme il devait s'y attendre, son accueil était distant et impersonnel qui lui pinçait légèrement. Etait-ce de même pour elle durant tout ce temps ? Il ne saurait dire, et se contenta de répondre de manière subversive.

Il avait ainsi nommé cette soupe l'éveil automnal pour sa fragrance diffuse évoquant une fin d'été. Par ces temps de nuits fraîches, Lezaleth se plaisait à espérer qu'une simple soupe pouvait en réchauffer le corps fragile de sa blanche amie. Et lorsqu'elle prononça ses remerciements, il y décerna une rancœur finement voilée et amplement méritée à son égard. Son expression laissa entrevoir une légère grimace, trahissant sa culpabilité évidente. Soupirant doucement, il ne put se résoudre à lui faire face et se contenta de quelques mots évasifs, les yeux fixant la fenêtre pour en éviter son regard immaculé.

Finissant son plaidoyer avec humour, il ne pouvait alors que lamenter sa vérité mensongère, ou du moins cette vérité parsemée d'omissions ; ce n'était non pas pour le bien de l'oracle qu'il tenait distance, mais bien pour le sien. Sa peur mortifiante l'en rendait tremblant en ce moment même et chaque instant passé en sa compagnie risquait la découverte inopinée de sa nature. Pour autant, en dépit du réel danger que présentait son amie, il ne suffisait que d'un froissement inopiné pour le voir accourir à son chevet. Lezaleth riait de sa propre inconsistance, mais ne regretta nullement sa venue. Car malgré sa santé fragile, le cœur de cette oie blanche restait indomptable, ne ployant nullement sous le tumultes chaotique des années passées. Et pour cela, il lui vouait une profonde admiration allant bien au-delà de sa position à la cour.

Comme pour appuyer ses paroles, sa main s'en alla quérir la sienne pour l'envelopper avec douceur. Le coeur lui martelait la poitrine, et une chaleur lui montait soudainement jusqu'aux oreilles. De son vivant il n'aurait jamais songé à commettre pareille action si répréhensible, mais de l'autre, il souhaitait lui apporter un peu de baume au cœur, à défaut d'en pourvoir au mal habitant son corps.

La légère pression exercée en retour étreignait son cœur, et que donnerait-il pour que le temps s'arrête pour se complaire dans la chaleur de cette petite jonction. Des années durant, cette si belle présence fut bercée par le regard d'un adolescent mût d'une admiration discrète. Et à leur insu, la petite flamme de sa tendre jeunesse brûlait désormais d'une voix vivifiante et clairsemée.

Son désir présent était de chérir les rares instants paisibles encore délaissés par leurs obligations. Aussi répondit-il avec humour à ses interrogations plaisantes.

Contemplant avec silence le fragile catalyse de ses sentiments, il émit un triste sourire, presque peiné par l'innocence et l'honnêteté de son récipient. Son être entier le poussait à s'ouvrir, à délier tant d'années de secrets et finalement se délivrer de pareil fardeau. Mais une plaie béante, fraîchement infligée à Aubépine, en retenait les mots. Il n'était question de tords ou gaucheries, mais d'une vérité à laquelle il ne pouvait se soustraire.

Miroitant alors une mine plus grave, ses yeux se fixèrent dans les siens, sondant avec insistance ses intentions. Était-ce l'oracle qui prononçait ces mots par obligeance royale ou bien son amie emplie de bonté ?

Sa main tremblait dans la sienne, car au-delà de son premier refus il ne demandais qu'à s'ouvrir. Mais le doute opiniâtre qui barbelait sa pensée n'en demeure pas moins épais, tandis qu'il repousse cette main samaritaine avec hantise.

Il aurait souhaité perdurer ce contact doucereux. Ce n'était qu'un simple toucher et pourtant, la voir resserrer la main autour de la sienne lui coupa le souffle à tel point qu'il ne sut respirer les secondes suivantes. Son regard plongeant au creux de ses prunelles, il y décernait une inquiétude sincère et une attention propre à belle personne qu'était son amie. Prenant une grande inspiration, il se décida finalement à lui répondre non sans peine.

Et ce fut donc par une expression tristement résignée qu'il s'exécuta.

Se mordant la lèvre, il empoigna de ses deux mains celle qui eut été déjà emprisonnée afin de l'en conférer le courage nécessaire. Approchant son visage du sien, il était alors si près qu'il en discernait désormais son teint avec acuité, au point d'en compter les grains de beauté composant ce beau visage.

Une pause si infime mais si vraisemblablement interminable. Et il pouvait presque sentir la culpabilité l'ensevelir sous les mots qu'il se devait de prononcer. Non par malice, ni même par désillusion, mais simplement par précaution. Son cœur meurtri n'avait après tout nulle valeur à ses yeux...

Portant sa main à sa bouche, il la baisa tendrement du bout des lèvres.

C'est par un regard paisible mais vitreux qu'il brasse désormais l'objet de son affection secrète. Le visage reste figé dans une expression à l'apparence confortant, où les muscles se contorsionnent en un sourire machinal et superficiel. Un creux dans la poitrine se forme, où chaque battement l'étreint d'une douleur aigue à la manière d'une plaie béante se déversant de son sang. Quand à sa réponse, de sa voix il en n'échappe un son monotone et étouffé qui jure avec la couleur d'antan.

Il se trouvait désormais dans l'incapacité la plus totale de confronter ce regard ambré, que la bonté aura conduit à une invisible blessure. S'éloignant de la couche avec empressement, la pièce lui paru soudainement bien froide et son atmosphère lourde au point d'en respirer difficilement l'air.

Sans ajout mot à sa rétorque, Lezaleth prit congé de son hôte pour l'en laisser finir de souper. Marchant avec une absence complète d'esprit, et entra dans sa chambre sans même en considérer les quelques passants croisés. Ouvrant la fenêtre avec spontanéité, il accueillait la légère brise automnale sur le visage avec grâce tandis qu'il fixait la lune d'une incompréhension haineuse. Se penchant encore au devant du balcon, il en contempla la hauteur vertigineuse et pondéra un instant sa condition. De bien sombres pensées émergèrent alors de sa conscience, questionnant avec virulence le propos de sa raison d'être. S'il était réellement d'en protéger celles et ceux lui étant chers, ne valait-il donc pas pour leur bien qu'il n'en finisse ? Une simple chute suffisait pour que s'envolent les hantises imprononçable de ses désirs noirs et assurer la quiétude de ses pairs. Se penchant encore un peu plus dans le vide, de douloureux souvenirs surgissaient alors de ces mêmes personnes pour la plupart disparus, et de ceux restants encore une distance plus grande l'éloignaient de leur chaleur. Des frissons parcouraient son corps tandis que la brise soufflant sur son visage n'en délogeait nullement les larmes lui glissant des joues.