durant l'éveil de clovis

aux abords de la tour ce jour là primrose s'était laissée guider par sa lassitude, son bovarysme la tuant à petit feu. nommée mage primordiale depuis une décennie elle trouvait pourtant déjà le titre bien ennuyeux en comparaison de son imagination. elle se devait de camper son siège pendant des heures, jalousant les mages en devenir qui devaient ressentir un flot de nouveaux sentiments tous plus exaltants les uns que les autres.
finalement primrose déclara avoir besoin d'une pause et se décida à explorer les alentours proches de la tour d'astrée. elle marcha un moment avant d'apercevoir la tête blonde du roi malronçois venant s'éveiller auprès des mages. à son égard primrose eut d'abord du mal à se forger un avis. il était indélicat de ressentir de la pitié pour lui mais pourtant ! son histoire était tragique et primrose avait du mal à exprimer quelque chose d'autre pour ce petit bout d'homme, encore trop garçon pour être roi mais déjà trop homme pour être enfant.
mais malgré la tristesse dans les yeux de l'homme, primrose ne chercha pas à le protéger. il aura bien assez d'une garde royale pour ça alors elle s'épargna la peine de pleurer pour lui. elle posa son regard un moment sur lui puis se décida à briser leur solitude respective et sans vraiment s'annoncer elle l'apostropha vivement
« un moment à m'accorder votre altesse ? » toujours ce même sourire cérémonieux (un peu faux par conséquent) sur les lèvres de primrose alors qu'elle s'approcha doucement de lui

elle sourit ; c'était toujours les hauts-placés qui faisaient remarquer leur titre. souverain altesse ou roturier pour primrose ça n'était que des titres éphémères et sans aucune préoccupation. elle était bien née de deux pauvres escrocs et pourtant! primrose était aujourd'hui une figure reconnue de tout Valdore et elle se dressait ce jour-là devant clovis presque comme sa supérieure (malgré leur sang) « oui évidemment, quelle indélicatesse ... » quelque chose dans sa voix semblait faux (à raison) mais son visage ne trahissait rien ; toujours ce même sourire cérémonieux

elle jette un regard neutre aux gardes avant de reporter son entière attention à la vraie royauté d'entre eux deux. elle pose ses yeux droit devant elle sur la route et lui répond du tac au tac
« effectivement. ici tous sont soit élèves, soit professeurs soit membre de l'ordre. c'est une hiérarchie bien construite, vous savez » elle élude sa question « oui j'ai un visage unique. on m'a refusé beaucoup d'opéras pourtant ... vous imaginez ? certes je n'ai pas la plus belle voix mais mes notes sont justes et- je me perd, n'est-ce pas ? » elle se place devant lui et adopte l'attitude qu'elle revêt devant les membres influents de la société « primrose arnault d'ambrive, votre majesté. mais je suis plus souvent annoncée comme mage primordiale de l'eau à travers le continent » un sourire malicieux (mais authentique cette fois-ci)

« je ne crois pas avoir eu l'occasion de vous le dire en personne alors ... toutes mes condoléances » elle place les mains de clovis dans les siennes en signe de compréhension « je n'ose imaginer votre perte mais vous avez tout mon soutien » mais pas encore son 'approbation' (dans la mesure que son rôle lui accordait) à régner « je voulais apprendre à vous connaître avant de vous revoir disparaître dans votre royaume »

primrose sourit quand clovis la hissa au rang de reine mais elle n'apprécia pas l'analogie pour autant : encore une fois les titres de noblesse n'étaient que des mots ; primrose s'était battue pour son titre, qu'avait fait clovis pour mériter son trône ? mais elle ne souleva rien de la remarque
elle observa le jeune roi détailler le décor. il fallait admettre que l'art architectural de sombrelune était particulier mais pourtant il semblait ajourd'hui pour primrose si banal ... sans doute que parcourir ces mêmes couloirs chaque heure de chaque journée rendait la pierre plus grise et le décor plus morose

elle esquissa un rire à sa remarque « rien d'intéressant ? vous plaisantez j'espère » mais elle n'insiste pas « oh vous savez clovis il ne faut pas leur en vouloir : il se trouve que mes confrères sont tous très ... atypiques. ils sont très occupés, aussi » oh bien sûr primrose aussi avait ses proches tâches à faire mais sa curiosité personnelle semblait toujours passer devant ses obligations. puis elle réfléchit à comment se présenter en bonne forme. elle aurait voulu lui dire qu'elle n'était qu'une artiste ratée qui était partie étudier la magie un peu par dépit (elle n'était même pas si croyante que ça ...) mais ça ne serait pas donner bonne image « oui c'est très probable. j'occupe le siège de mage primordiale depuis une dizaine d'année maintenant alors ... » elle continua de marcher doucement en posant ses yeux tantôt sur clovis tantôt sur le paysage qu'offrait la chaîne de montagnes « et bien allez-y votre majesté, demandez donc j'essaierai de répondre au mieux » mais primrose aimait toujours garder une grande marge de mystère

la remarque douce-amère de clovis attira à primrose un regard interloqué : elle ne s'attendait pas à ce genre de remarque de la part d'un roi et ça venait confirmer ses doutes. clovis était maintenant roi et il semblait en avoir conscience. cependant il restait ici un apprenti et il ne devrait pas l'oublier.
la mage prit alors le bras qu'il lui tendait mais sa prise fut ferme ; sans son habituelle douceur féminine

elle l'écouta « oui » c'était sec « nous avons tout donné pour notre titre ; nous sous-estimer seraient une grave erreur. nous avons tous du talent, certes, mais nous nous sommes déchirés pour parvenir à ce niveau de maîtrise. au delà de la puissance que nous avons, c'est quelque chose qu'on ne nous retirera jamais » elle marmonna « à la différence notable d'un royaume » cette fois-ci sa prise se radoucit, comme si quelque part elle cherchait à édulcorer ces derniers mots. la franchise de clovis la laissa de marbre et sa main était toujours aussi légère sur l'avant bras du roi « oui j'ai été à la cour de votre père pendant un court moment » ça n'aura pas porté ses fruits apparemment pourtant « malheureusement je ne crains pouvoir que vous raconter ce que vous saviez déjà ... »

primrose l'aurait bien giflé ; son répondant l’agaçait et elle ne supportait plus ce petit air candide mais éveillé dans les yeux de clovis. malronce n'était qu'une nation, qui était tombée auparavant et qui retombera sans doute après. la magie, elle, était éternelle et primrose avait appris à se dissocier quand ça l'arrangeait de sombrelune ou de l'ordre (elle se la jouait indépendante mais ne l'était plus vraiment)

mais contre toute attente elle s'excusa « clovis je- » c'était comme arraché de sa gorge mais foncièrement honnête « pardonnez moi je ne voulais pas être condescendante envers qui que ça soit ; chaque habitant de valdore, peu importe son origine ou sa classe sociale, mérite le respect et je ne pense pas que placer certains au dessus des autres soit une bonne chose ... mais c'est pourtant le cas » la position de primrose rendait son discours incohérent car hypocrite et elle le savait
mais c'est le grand problème de primrose ; c'est une optimiste qui se heurte chaque fois un peu plus fort à la réalité. elle souffre de son bovarysme et ça fait d'elle une femme puissante, consciente mais désillusionnée « c'est partagé clovis, n'en doutez pas. votre père était ce qu'il était et sans vouloir porter atteinte à sa mémoire, c'est 'vous' qui êtes sur le trône aujourd'hui » elle étira ses lippes de façon à former un sourire « de vous à moi clovis, c'est usant de devoir rester impartiale en toute circonstance. j'espère que vous prendrez ceci en considération si quelque chose devait arriver » primrose aimerait lui promettre que rien n'arriverait mais ça serait lui mentir

sur les plateaux de sombrelune primrose se sentait chez elle mais dans ses jours sombres elle réalisait qu'elle ne se sentait à la 'maison' nulle part. elle avait renié sa famille pour sombrelune et n'avait plus aucune attache nulle part. la tour d'astrée lui était par moment seulement comme un refuge ou un caprice et elle perdait pied entre sa fantaisie et la réalité. primrose est paradoxale :  elle continue de guider les égarés pourtant profondément perdue (sans qu'elle-même retrouve son chemin)
sa voix entre le murmure et le reproche elle prononça quelque mots cassés à clovis « j'espère que vous saurez révolutionner votre royaume pour le mieux clovis » elle perçut son arrêt mais elle ne s'arrêta qu'après coup ; tenant un moment le face-à-face « la maison-dieu hein ? » elle sourit à ça sans montrer son cynisme sceptique
qu'elle aille se faire foutre, la maison-dieu pensa primrose pour elle-même

elle semblait de verre face à clovis ; claire et transparente. mais primrose était loin d'être adamantine. « vous régnez durant une période sombre clovis, ne l'oubliez pas et je vous souhaite d'apporter la lumière à votre peuple » elle matérialisa une adorable sphère de lumière un artifice magique, réconfortant mais profondément illusoire pour allier parole et action
et brutalement elle vient l'éclater entre ses mains fines « mais gardez à l'esprit qui vous êtes peu importe ce que vous êtes amené à faire ou dire. ça ne sera pas obligatoirement vos mots mais ça le sera aux yeux du monde » la dimension empirique de son discours rendait le tout beaucoup trop triste pour le message d'espoir qu'elle souhaitait originellement véhiculer
« je dois me retirer maintenant, on m'attend quelque part » elle avança seule alors et sans tâcher de se retourner elle laissa ces quelques mots à clovis « ce fut un honneur, votre majesté. nous serons amenés à nous revoir je l'espère. je prierai la maison-dieu pour le succès de votre règne
au revoir, donc »