Iphigénie n'était pas bien grande et pourtant ses pas n'avaient rien à envier à ceux des géants. Elle courait à travers les couloirs de cet immense château qu'elle connaissait par coeur, ses doigts crispés sur les pans de sa longue robe pour ne pas tomber -il lui avait fallut des années d'entraînements pour ne plus trébucher à cause des jupons ou du tissu qui lui glissait des mains. Aujourd'hui, tu sais, c'est pour toi qu'elle courrait Clovis, pour tenter de t'apercevoir une dernière fois, te retenir ou te presser elle doutait encore cependant peu importe la raison il fallait qu'elle te voit. Dans ses pas qui bousculent les servants cette sensation de dernière fois et face à cet inconnu que tu t'en vas apprivoiser, des relents de tristesse qui la prennent à la gorge.

Tu n'étais plus si loin de la sortie lorsque sa silhouette apparut au bout de l'immense hall d'entrée. Elle avait crié ton prénom pour te retenir et c'est essoufflée qu'elle avait finit par se jeter dans tes bras.

— Clovis attends !

Attends attends Clovis !
Tu ne voudrais pas partir comme ça pas vrai ?
Et puis à mesure que le souffle revint, il y avait ces phrases répétées toutes ces années sur le protocole à adopter même en famille qui se ressassaient dans son esprit. Sur les façons de parler lorsque vous n'étiez pas seuls -et vous ne l'étiez jamais. Alors...

— ... -dez.

Ça semblait idiot pourtant, vu à quel point vous étiez proches tous les deux mais il lui arrivait de vouloir faire des efforts parfois -souvent lorsque cela ne servait à rien, comme maintenant. Son souffle retrouvé, elle s'écarta de toi doucement avant de planter l'azur de son regard dans le tien.

— T- Vous comptiez vraiment partir comme ça ?

Sans au revoir après une simple réunion de famille ?
Même pour un si court voyage elle s'y refusait.
Tout ça avait des airs d'adieux.

Iphigénie avait regardé le Grand Mestre avec une moue embêtée, ce vieux grincheux malgré ses larges compétences avait toujours eu le don de gâcher les beaux moments. Elle lui adressa cependant une légère révérence avant de reporter toute son attention sur toi, et tes paroles l'indignèrent plus qu'elle ne l'aurait cru. Évidemment qu'elle comprenait, elle n'était pas idiote ! Le problème, le seul petit, léger et unique problème dans toute cette histoire Clovis, c'est ce départ qu'elle jugeait bien trop précipité.

Elle s'apprêta à répondre lorsque d'un soupir tu congédias le vieil homme, en profita pour tirer la langue derrière son dos comme pour lui apprendre à rigoler puis de nouveau ce fut toi qu'elle regardait. Et pendant un court instant les mots lui avaient échappés. Alors Iphigénie toussa légèrement pour se redonner un peu de prestance puis elle reprit, bien plus calme que lors de son arrivée.

— Tu ne peux pas partir comme ça.

Je ne suis pas d'accord, je refuse ! s'indigna-t-elle en sous-entendu. Qui allait donc bien pouvoir l'occuper les temps où elle n'était pas avec ses sœurs ? Les gardes ? L'idée paraissait bonne mais plutôt compliquée à mettre en place.

— D'ailleurs, tu ne nous as même pas dis dans combien de temps tu comptais rentrer ? Et tu pars sans dire au revoir...

Tu l'avais dis.
Simplement au revoir ce n'était pas vraiment assez pour elle.
Pourtant il semblait y avoir autre chose à travers ses paroles qui sonnaient comme des excuses mal trouvées. Quelque chose dont elle n'était pas très sûre, qui la rendait hésitante.

— Hm... Je ne veux pas me sentir toute seule Clovis, ça fait peur tu sais ?

La solitude était vraiment terrifiante oui, pourtant son regard sembla soudain briller plus intensément. Une idée avait traversé son esprit et déjà elle la laissait s'échapper.

— Est-ce que je peux vous accompagner ?

Pourrait-elle te suivre et faire cet éveil elle aussi ? Pour protéger son peuple ?

— Par les saintes arcanes as-tu vraiment osé ?

Les traits de son visage faussement choqués s'étaient transformés en un sourire presque amusé et certainement en aurait-elle rit à gorge déployée si seulement elle avait eu le coeur plus léger. Lors des reproches Iphigénie s'insurgea d'une moue embêtée, l'esquisse coupable elle te regardait du coin de l’œil comme une enfant prise sur le fait. Il est bien vrai qu'elle aurait fait une scène, si elle avait su -c'est pourquoi d'ailleurs elle était là aujourd'hui. Pour te faire une scène digne de l'adorable sœur attentionnée et dévouée qu'elle était.

— Quelques semaines ? N'as-tu pas d'information plus vague cher frère ?

Quelques semaines c'était long.
Long et interminable lorsqu'il s'agissait de ta présence à ses côtés.

— Je sais bien ! Seulement tu sais comment est Uriel... Il ne nous parle presque plus et puis Diane et Prudence ne sont pas toi ! Nous n'avons pas les mêmes occupations lorsque nous sommes toutes les trois.

Et seule la Maison-Dieu savait à quel point elle chérissait chaque instant passé en présence de ses deux sœurs, seulement l'adrénaline n'était jamais la même que lors de vos jeux d'enfants à tous les deux.
La mention du mariage étira une grimace sur son visage tandis que ses doigts remettaient en place le col de ton vêtement.

— Je suis trop jeune pour être privée de liberté, laisse-moi donc rêver encore un peu je te prie.

Avant de lui trouver un mari.

— En tout cas tu as intérêt à être toujours là Clovis, moi je le serai toujours pour toi tu sais ?

Un sourire plus joyeux à ses lèvres tandis qu'elle captait doucement ton regard. C'était une promesse qu'elle se jura de respecter, sans savoir qu'elle ne tiendrait même pas une journée.

— Pourquoi ne puis-je pas t'accompagner ?

C'est qu'elle n'était ni idiote ni aveugle depuis les années qu'elle te connaissait. Tu pourrais éluder toutes les questions que tu voulais, elle le remarquerait toujours -mais n'en sera jamais vexée ; elle comprenait, au fond.

Elle aurait pu réellement en rire si l'idée même d'épouser un homme si tôt dans sa vie ne la faisait pas frémir de peur. Iphigénie avait beau être courageuse, il y avait certaines choses qu'elle tenterait toujours de fuir le plus longtemps possible -pour certains c'était la mort, pour elle ce serait un mari. Alors malgré la plaisanterie Iphigénie avait frissonné si fort qu'elle en avait fermé les yeux. L'instant d'après elle avait ses doigts au creux des tiens, tandis qu'elle affichait une mine mi-perplexe mi-amusée.

— Tu dis ça comme si j'étais un monstre... Je tente seulement de préserver ma vie malgré mon destin de Princesse tu sais ?

Mais elle comprenait, depuis bien longtemps maintenant elle savait qu'elle ne pourrait repousser l'échéance indéfiniment. La seule chose qu'elle espérait c'était de pouvoir trouver l'amour avant, au lieu d'épouser un homme qu'elle n'aimerait sans doute jamais.

Désormais assise sur ce banc sous les doux rayons du soleil, elle avait levé les yeux vers toi, visiblement contrariée.

— C'est fort dommage.

Elle n'avait pas besoin d'en dire plus pour que tu comprennes, car de toute sa fratrie tu étais sans doute celui qui connaissait le mieux ses désirs -et tu savais, pas vrai ? Tu savais qu'Iphigénie voulait intégrer l'armée et faire son Éveil sans en avoir le droit. Ce ne sont pas des activités adaptées à une Princesse, c'est ce qu'avait dit le Roi lors d'une audience, avant.

Il la laissait libre de quelques frasques mais jamais libre d'exister comme elle le souhaitait réellement.

— Évidemment Clovis, je ne suis pas idiote. J'espérais simplement et égoïstement que tu ne le remarquerais pas si tôt.., te confia-t-elle dans un soupir.

C'est parce qu'elle se rendait compte de ces choses qu'Iphigénie ne voulait pas grandir, pourtant elle savait que le simple fait d'avoir conscience de tout ça, de ses faiblesses et de cette réalité, faisait que ni elle ni toi ne pourriez revenir en arrière désormais.

Alors pour une fois dans sa vie elle avançait sans élan,
Tandis que toi tu filais fier droit devant.

— Tu crois que lorsqu'Uriel sera Roi j'aurai le droit de faire mon Éveil comme toi ?

Touchée.
La moue à la fois coupable et triste malgré le réconfort de ta main dans ses cheveux, elle avait décidé de ne pas relever. Tu avais raison Clovis, cette fois comme souvent lorsque tu la sermonnais -seulement aujourd'hui plus que les autres jours elle en prenait conscience. Conscience du poids que Diane portait, qu'Uriel portait et même toi. Même toi qui n'en disait rien, elle savait tous ces efforts que tu faisais. Probablement qu'une part de vous le faisait pour votre propre bien mais il n'y avait pas que ça, pas vrai ? Il y avait elle et il y avait Prudence aussi.

Pourtant, seules les arcanes savaient à quel point Iphigénie désirait aider elle aussi, à sa façon et sans époux elle désirait aider de tout son coeur afin d'alléger ce poids que vous portiez tous les trois. La méthode ne semblait visiblement la bonne et l'immaturité consciente dont elle faisait preuve à son égard devait en irriter plus d'un, seulement elle se sentait incapable de se renier pour le bien du pays. Si tout le monde devait être heureux, pourquoi pas vous aussi Clovis ?

Une esquisse compatissante quoiqu'un peu triste à l'écoute de ta réponse. Si toi non plus tu n'étais pas certain de ce qu'il se passerait alors Iphigénie se disait que, quelque part, le monde courrait à sa perte. Pourtant elle eu un rire à son tour qui vint raviver l'éclat de ses yeux.

— Ce serait bien trop étrange ! Et nous princesses nous devrons lui faire la révérence comme à Père... Oh mon dieu, encore plus étrange.

Et inimaginable.
Mais ce n'est pas ce qu'elle retint le plus des mots que tu prononças, alors le rire se fana en un sourire plus léger tandis que ses doigts glissaient sur tes joues avec douceur. Une chance que le grand Mestre ne soit pas là pour assister à ça.

— En revanche, Clovis, et dans ses yeux qui captaient les tiens tu pouvais comprendre tout le sérieux de son ton. Je crois que, si le Destin devait être changé tu aurais fait l'affaire.

Un sourire malicieux s'encra à ses lèvres avant qu'elle ne continue.

— Tu as beau être toi, et on en connaissait tous tes défauts, j'atteste sans honte de ton coeur bien plus grand que n'importe quel autre. Tu aurais fais un bon roi. Bien plus que nous.

Mais c'est un secret qui restera entre vous.

— Il ne tient qu'au Roi de faire comme il l'entend, tu sais ?

Un roi devrait être presque aussi libre que son peuple -presque, car Iphigénie savait malgré tout l'importance d'une telle place au sommet. Ce n'était pas quelque chose qu'elle enviait mais bien qu'elle souhaitait protéger, pour alléger la peine de ceux qui y siégeaient.

Un baiser sur son front et malgré tout elle faisait la moue, bien embêtée de devoir ainsi te laisser t'en aller.

— Pars donc accomplir ton devoir mon frère, mais surtout rentre vite ou je ne donne pas cher de ce château.

Seul dieu savait ce qu'elle pourrait bien lui faire par ennui.
Elle avait prit sur elle pour t'adresser un sourire rayonnant avant de te prendre une dernière fois dans ses bras, c'est qu'Iphigénie n'aimait pas les adieux et n'en avait même jamais fait alors te laisser partir ainsi lui coûtait beaucoup. Pour autant, elle avait comprit et avait prit la décision de ne plus t'embêter avec ça -au moins jusqu'à ton retour de Sombrelune.

Puis tandis qu'elle se reculait doucement après t'avoir remercié et souhaité bon voyage tendrement, elle se souvint d'un détail dont elle avait oublié l'existence mais qui, pour elle, prenait tout son sens aujourd'hui.

— Ah, attends. J'ai besoin que tu me donnes quelque chose. N'importe quoi tant que ça vient de toi, tu vois ?

Un porte-bonheur, gage de mémoire, pour ne jamais oublier.

— Père et Uriel ont refusé, à mon grand désarrois, mais mère m'a offert l'une de ses plus précieuses broches, te confia-t-elle avec le sourire.

Et toi, Clovis, que tu lui offrirais-tu ?

— Tu veux bien ?

Elle se doutait bien que tu demanderais pourquoi et que tu ne comprendrais pas l'intérêt qu'elle portait à ces petites choses matérielles qu'elle demandait. Pour autant Iphigénie ne s'en offusqua pas, décida même avec une esquisse fière de continuer sur sa lancée.

— J'ai bien l'intention de demander à Diane et Prudence aussi ! C'est simplement pour avoir quelque chose de vous toujours avec moi.

Au cas où, tu sais ?
Mais mieux valait ne pas penser aux et si.

Le visage rayonnant, ses doigts virent décrocher la gourmette qui ornait ton poignet, puis elle t'avait tendu le sien pour que tu lui accroches. Un rituel aux airs de promesses silencieuses qu'elle s'efforcerait de respecter une fois les temps venus. Celles de toujours te soutenir, de ne jamais t'oublier et de toujours te retrouver peu importe où tu seras.

— Si le château n'a pas brûlé à ton retour je te la rendrai.

Regard plein de malice, elle te fit un léger signe de main pour t'encourager à partir maintenant. Drôle d'ironie lorsque l'on sait que c'est elle qui était venue te retenir.

— Aller, file maintenant. Je tenterai de patienter ces deux longues semaines en restant très sage. C'est promis.