La fête de la magie est attendue avec l’impatience d’une enfant, l’inquiétude d’une garde qui ne peut guetter son cher Roi. Mais par delà ses émotions légères, il y a la joie immense de savoir les sœurs Vaudreuil en vie, cette joie immense d’avoir retrouvé Jasper et de pouvoir à nouveau appeler Roseraie ville de son cœur maintenant que toutes les pièces qui le composaient y étaient.


Une pièce manquante depuis trop longtemps, une pièce qu’on oublie au fil du temps, au gré d’une mémoire qui s’étiole au fil des jours qui s’étendent.
Alors si le cœur se serre, Selena oublie pourquoi et festoie sans peine, une main sur le pommeau de l’épée et l’autre autour d’une chope de bière -la seule qu’on s’autorise durant la journée de service.

Les festivités amusent le coeur, font raisonner les rires et la voix bourrine de la jeune femme quand elle marche dans les rues. Une joie immense qui est ruinée par cette main, cette poigne qui la tire dans le passé quand elle se retrouve les yeux plongés dans ceux bien trop familiers et pourtant si lointains d’Hermès.

Oh, quelle douleur dans le cœur ! Selena sent la peine la submerger, immense, tellement immense et pourtant tant différente de celle qu’elle a éprouvée pour Clovis et Jasper. Car aujourd’hui, la colère nage au-delà des larmes.

Depuis combien d’années ? Combien de temps depuis qu’il l’avait ainsi appelée ? Combien d’années pour que le coeur se torde ainsi à l’entente de ce surnom familier et plus encore quand il le reprend, l’enterre pour reprendre la froideur des inconnus. C’est douloureux, d’entendre ainsi des années d’amitié se dissoudre pour un simple surnom.

Alors le bras se dégage, les sourcils se froncent et Selena toise de toute sa hauteur cet homme qui fut un de ses amis les plus chers, cet homme qu’elle ne connaît plus et qui, pourtant, lui a tant manqué.

Le cœur se perd entre rancœur et tristesse, nostalgie et colère désespérée face à la réapparition d’un ultime fantôme. Aujourd’hui, c’est un fantôme couard qui lui fait face et Selena n’a jamais été aussi perdue dans sa loyauté que face à l’ami.

– Hermès.

La voix est tranchante, tremblante, car Selena toujours porte les émotions sur tout son être sans jamais pouvoir les renier. La colère si grande, la tristesse étouffante, c’est là une torture presque aussi grande que la mort, une colère qu’on ne connaît que rarement : celle de la déception.

Alors face à l’émotion brûlante qui court dans ses veines, face à l’insoupçonnée rage qui sommeille, Selena ne peut que foutre sa main dans la tronche de l’imbécile avec force car il n’y a point de pitié pour les lâches, quand bien même le coeur s’en tord.

Hermès, tu lui as manqué mais la rancœur est trop grande quand tu te plantes ainsi sous ses yeux pour rouvrir la plaie que ton absence a laissé.

La main démange d’avoir ainsi posé la main sur un être qu’on a tant chéri. Mais c’est brûlant, bien trop brûlant, cette rage immense, cette déception quand Selena n’a pas eu une seule nouvelle depuis son départ. Le silence. Voilà tout ce qu’Hermès lui a offert après des années d’amitié.
Le regard foudroie, se montre plus glacial que tout quand elle coupe de ses mots toute légèreté entre eux.

– Bonnibel mériterait de te donner bien plus qu’une claque, elle mériterait de rayer de sa mémoire quelqu’un d’assez minable pour l’abandonner.

Il aurait dû s’énerver, perdre sa nonchalance. Mais Hermès affiche ce sourire de con et Selena n’en sent qu’une rage désespérée grandir en elle. Une rage qui manque de faire jaillir d’autres coups, sourde à tout ce qui se passe autour d’eux.

Sauf qu’il a parlé. Il a parlé et les pathétiques mots font trop pitié pour qu’on puisse lever la main. On ne peut qu’avoir ce goût âcre sur la langue, cette rancœur qui ronge quand elle attrape le col pour mieux rapprocher Hermès d’elle, mieux le menacer de son regard.

– Qu’est ce que tu crois Hermès ? Que je vais te dire “ah pas de soucis au revoir ! on se revoit dans 5 ans !” ?! Si tu voulais pas m’importuner fallait pas te barrer pour revenir te planter comme un con devant moi des années plus tard ! Le regard le jauge quand on le rejette en arrière, mieux le foudroyer pour éviter les pleurs. Regarde toi ! T’es minable, je sais même plus qui t’es tout ça parce que t’as pas été fichu de rester ici. T’étais où quand j’avais besoin de toi bordel ?!

Oh non, Selena  ne le laissera pas fuir à nouveau. Il subirait sa colère.

Cette indolence terrible– si terrible!- dont il fait preuve, allume un feu brûlant en Selena. Elle sent la rage brûler les doigts, l’amertume monter dans la gorge. Il l’appelle ‘Lena et elle a le coeur qui s’enrage. Il n’a pas le droit de revenir comme une fleur, il n’a pas le droit de reprendre ce surnom pour mieux le lui redonner. Et il ne sait pas, il ne sait rien, il ne peut qu’avoir cet agacement– contre elle, elle présume– qui bouffe Selena quand il pose ses questions insensibles.

Selena, tu as envie de déchaîner tes poings sur lui tout en voulant le serrer dans tes bras pour mieux le garder à jamais.

A la place de ça, Selena crache ses mots âcres, les mains qui tremblent sur le col (ne pas le lâcher, ne pas le laisser fuir à nouveau)

– Tu devrais être désolé. Tu devrais être honteux à la place de te planter devant moi après des années d’absence. J’avais besoin de toi, Hermès ..! Quand j’avais envie de crever t’étais nulle part Hermès ! Tu m’as laissée affronter sa disparition, le règne d’Antigone.. Tout ! Toute seule Hermès !

Oh, l’aigreur est là mais la colère ? La colère de Selena révèle bien plus la tristesse.
Quand elle tient encore le col, quand elle plante son regard dans le sien, c’est la tristesse de l’avoir perdu qu’il peut voir. Car Selena avait besoin de lui et elle avait cru que le monde pouvait bien s’écrouler, il y aurait toujours eu Clovis, Hermès et Odelia pour contrer les peines. Mais tout s’était dissout. Leur lieu, leur amitié, les joies. Tout.

Et Selena se retrouve à serrer ce col, la voix qui vacille quand elle murmure.

– J’ai attendu des lettres pendant des années. Et rien, pas un mot, tu sais à quel point tu m’as manqué toutes ces années, Hermès ?

Dis-lui, Hermès, dis-lui tes raisons car ça fait mal, si mal de te retrouver.