Ce lieu n’est qu’enfer à ses yeux. Repère de vipère, d’une multitude d’insectes grouillant sans aucune raison apparente, sous les ordres d’imbéciles. Scylla est dépitée par tant de sottise, elle les entends parler, chuchoter à travers les livres en jetant des coups d’oeils furtifs par dessus les rognures de papier pour la voir. Peut-être pourrait-elle leur jeter un sort si jamais elle les entendait parler, qui sais. Ce n’est pas l’envie qui lui manque cependant, à vrai dire la jeune chercheuse aimerait les voir brûler un à un, les entendre crier qu’ils sont désolés. Scylla a envie de les voir les supplier à genoux d’épargner leurs misérables vies inutiles. Et dans un rire carnassier, un sourire si grand, si radieux. Elle refuserait. Scylla les jetterait en pâture aux plus meurtriers des assassins, et elle broncherait pas jusqu’à leurs derniers soupires. Eux qui n’ont pas bouger le petit doigt lorsqu’ils ont un à un bafouer son nom. Sa place. Son être.

Alors la jeune femme ne cherche plus le conflit, bien qu’elle ait souvent ouvert un peu trop sa bouche les premières semaines suite à l’accident. Parce que c’est un cruel accident à ses yeux, une injustice monstrueuse qu’elle se bat pour réparer. D’un visage souriant, ses cheveux tombant sur le côté de ce dernier, elle prend sa montagne de livre et elle s’en va se cacher dans le seul endroit qui n’est pas toxique dans ce vaste bâtiment : son bureau.

Scylla nourrit ses oiseaux qui chantent en cœur son retour. Elle ferme les volets en bois de ses fenêtres et allume les bougies et autre source de lumière de cette grande pièce remplis de livres en tout genre et d’autres curiosités. La chercheuse s’approche délicatement d’une grande armoire aux dorures effacés pour en sortir une bouteille d’alcool fort, se servant un verre, avant de s’affaler dans son fauteuil abîmé par les heures passées assise dessus. A gratter avec ses ongles le cuir qui le recouvre. Elle est remplie de rage. De haine. D’incompréhension.

Une partie d’elle essaie de comprendre : pourquoi ? L’esprit humain est complexe, mettez une fourmilière face à un problème qui pourrait leurs coûter leurs réputations si jamais ils prenaient partis à ce problème, et aucune ne le feraient. Elles suivraient tout bonnement les ordres des « supérieurs » - qui n’en sont pas réellement, d’ailleurs – de peur d’être mise de côté. Peut-être qu’elle aurait fait de même. Non. Jamais. Bien sûr. Parce que les Volturne ont une conscience. Les Volturne savent, ils savent que tout ce paie un jour.

Terminant son verre, puis un second, elle tourna les pages d’un registre déjà bien remplis avant de s’arrêter un court instant. Ses oiseaux avaient cessé de chanter depuis des heures, et le silence pesant de la Sphère vide avait presque réussie à calmer ses idées noires. Elle avait une fois de plus beaucoup trop tarder, et alors qu’elle s’apprêtait à fermer à clé la porte de son bureau pour y passer – une nouvelle fois – la nuit, elle fût rapidement interrompu par la venue d’Octavio.  La porte grande ouverte, la jeune femme se déplaça sur le côté, l’invitant de ce fait à entrer. « Et bien voilà une visite bien tardive, mon cher ami.

Aussi perturbant était-il face à elle, Scylla semblait apaisée à ses côtés. Plus naturelle qu’à l’accoutumé d’ailleurs, un peu plus Scylla que Volturne même. « Insupportable ? Ces misérables sont aussi difficile à faire partir qu’une trace de sang sur un drap blanc. » Levant les yeux au ciel elle avait prit le soin de fermer derrière lui la porte à clé, pour – on ne sait jamais – pas être embêté par une de ses vermines de chercheurs  arriérés. Il sait qu’elle ne les aime pas. Que son cœur n’a aucune place pour de la sympathie pour ces gens de la pire espèce. C’est d’ailleurs pour leur déchéance qu’elle complote depuis si longtemps en secret.

« Ce n’est pas en se couchant à la même heure que le soleil, qu’ils arriveront à terminer leurs recherches, s’ils les ont débutés d’ailleurs ... » Scylla haussa les épaules avant de le regarder prendre ses aises, elle n’avait pas besoin de le lui permettre, ils avaient cette facilité curieuse à se comprendre sans même parler. Un regard suffisait à ce qu’ils agissent selon les dires de l’autre. « Tu as bien fait Octavio, les journées sont de plus en plus difficile ici. L’air devient irrespirable. » Saturé en bêtise, loyauté artificielle, et autre faux sourires. La Némésis même de Scylla : les faux semblant. Bien qu’elle en soit devenue reine depuis sa plus tendre enfance, elle a cette faucheuse manie à ne pas accepter ce trait de caractère venant d’autrui.

Il lui est tout bonnement inimaginable qu’on puisse feindre une émotion en sa compagnie, elle qui fait de son mieux pour mettre à l’aise, en confiance ses convives. Déplaçant ses doigts le long de son bureau, proche d’Octavio, elle se pencha sous les lourdes planches de bois pour en sortir une bouteille d’eau de vie, presque aussi vieille que sa propriétaire, ainsi que deux verres. « Nous allons en avoir besoin. L’on ne peut refuser un petit remontant, n’est-ce pas, mon très cher ami ? » Les yeux plissés elle esquissa un léger sourire à Octavio avant porter son verre près de sa main.

Approchant difficilement – à l’aide ses maigres bras – les fauteuils près du bureau et de la lumière qui en émanait, Scylla se posa enfin sur l’un d’entre eux avant de laisser s’échapper d’entre ses lèvres un râle de contentement. Son verre en main, elle bu rapidement une puis deux gorgées, avant de reprendre. « Plus sérieusement Octavio, que me vaux ta visite si tard ? »

Il n’avait pas fallut longtemps à Octavio pour qu’il dévoile ce qu’il avait apprit, ce qu’ils avaient tous rapidement appris. Son mariage. Sa future union à la maison Priest, aux bras de Lazare. Scylla soupira longuement avant de prendre quelques gorgées de cet alcool un peu trop fort pour elle, sans même réfléchir. « Je vois que les nouvelles vont relativement vite à Valdore. Mais ça, je le savais déjà. » Haussant les épaules elle resta de marbre dans ce fauteuil beaucoup trop confortable après une journée entière à supporter les autres chercheurs.

« Tirer ma révérence ? De quoi parles-tu Octavio ? Ma promesse tient toujours, ils tomberont avant moi, tous autant qu’ils sont. » Et elle avait l’habitude de tenir ses promesses, de ne pas déroger à la règle « qu’une seule parole ». Il a toujours été question de ne vivre que pour les faire chuter depuis la disgrâce infligée aux siens. C’est un arrêt de mort qu’ils ont signés, et ils le savent, le temps passe et le leur est compté. « Dieu évidemment que non. Tu devrais savoir que l’amour n’existe pas à Valdore, et que les seuls à pouvoir s’aimer ne sont pas de notre univers. »

La jeune femme avait haussée les épaules. Elle savait ou Octavio voulait en venir, et elle savait également ce qu’il avait à dire. Ils le lui ont tous dis. Lakhesis. Timothée. Les petits oiseaux qui vaguent en tout Valdore. Et maintenant lui ? Était-ce vraiment ce jeter dans la gueule du loup que d’accepter ce marché fou ? Etait-ce vraiment la fin de l’Ordre et ses idiots sans cervelles ? De Scylla Volturne et de Lazare Priest par la même occasion ? Les yeux dans le vague un court instant, elle secoua doucement sa tête pour remettre ses idées en place et ne pas paraître folle face à son interlocuteur.

« Je suppose que comme tous les autres, tu as quelque chose à ajouter à cela ? Des conseils ? Tu comptes m’apprendre à me défendre physiquement ? Un sermon peut-être ? » Elle était prête à tout entendre, à tout réentendre, tant qu’il l’a regardait avec tendresse et intérêt.

La jeune femme manqua de s’étouffer lorsqu’il insinua être presque jaloux. De quoi donc ? De Lazare ? D’être « l’élu » par dépit ? Plissant les yeux, elle esquissa un léger sourire en secouant la tête. « Voyons Octavio … Pas à moi. » Alors la jeune femme le regarde faire, s’approcher d’elle avec cette étincelle dans les yeux qu’on voit rarement. Celle-ci guiderai n’importe qui dans la noirceur la plus totale. Celle qui réchaufferai le cœur de n’importe qui. Cette même flamme qui n’avait pas si tort : évidemment qu’il n’y avait pas de sentiment – du moins pas encore –, bien sûr qu’il allait lui être utile – comme elle le lui serait –. Elle serait son tremplin vers une lumière éternelle, et lui son déclin. Ou sa victoire, si les dessins de la jeune femme arrive à son terme, il se peut qu’elle arrive à se hisser au plus haut, qu’elle hisse sa famille et son nom vers la lumière qui leur revient de droit. Ce trône ou doit siéger Lakhesis. Ce trône qui revient de droit au Volturne.

Scylla le laisse se rapprocher presque dangereusement d’elle sans rien dire, déposant son verre sur son bureau pour ne pas paraître impolie. La jeune femme lui fait face, et alors qu’il place délicatement sa main contre sa joue, un frisson parcourt son corps. Ma. Scylla. Ma Scylla? Ces plans étaient pourtant presque clair depuis le début, et pour tout le monde : la chute de l’Ordre. Des incompétents qui les dirige, ouvrir les portes de connaissances multiples et variés au plus grand nombre. Ouvrir l’esprit des plus septiques. Ses cheveux sur le devant de ses yeux, la voilà qui à son tour viens caresser son visage avec ce même regard attendrissant. « Parfois il n’est pas primordial d’être spécial, de faire partie de la noblesse, ou d’être fortuné, tu sais. » Continuant de caresser sa joue, la main légèrement fragile, elle se rapproche de lui et vient tout naturellement embrasser les commissures de ses lèvres. « Quand c’est la liberté que l’on recherche. » La liberté. Pouvoir se défaire de BlancheFeuille, s’éloigner des siens pour les protéger. Les protéger du terrain dangereux sur lequel elle se glisse, des choix difficiles et périlleux qu’elle s’apprête à faire pour renverser tout un système pourri jusqu’aux plus profondes racines.

« Mon très cher Octavio, tu ne vas quand même pas me dire que tu es jaloux de Sire Priest ? » Sa main glissant de sa joue jusqu’à son cou, baladant le bout de ses doigts sur les arêtes de sa clavicule pour s’arrêter sur son torse, cherchant son cœur. « Tu m’as particulièrement bien renseigné sur mon futur mari.  » Ses doigts viennent défaire un à un les premiers boutons de sa chemise, cherchant toujours plus à se rapprocher de son organe vital. « Et si je ne m’abuse, clairement opposé à cela... » Quel est ce nouveau jeu, Octavio ?

« Serait-ce de la jalousie que j’entends, mon très cher Octavio ? »  Elle allait évidemment enchaîner sur le reste de son discours, sur le pouvoir, l’amour et bien d’autres choses qui évidemment ne rentre en aucun cas en compte dans cette union. Mais fut rapidement surprise par ce baiser fougueux et étrangement succulent. Scylla se laissa docilement faire, posant ses mains sur ses épaules en profitant de chaque baiser, de chaque morsure sur sa peau. De cette douceur dissimulé sous cette hargne brûlante. « Il n’y a rien à comprendre pourtant. Ce n’est pas un mariage d’amour, ça ne le sera jamais. »  

Toujours collée à lui, l’une de ses mains sur sa poitrine, Scylla se mordit la lèvre inférieur en regardant son compagnon d’infortune. « C’est exactement ça. Je ne quitte aucune cage, ni celle des Volturne, et ne rejoint pas celle des Priest. Je reste dans la cage où moi seule possède les clés. »  Personne n’aimait sire Priest, du moins de façon volontaire. Cependant, Scylla avait sûrement trouver quelques choses d’inédit à travers son regard. La passion. Celle d’être obstiné, de vouloir aller au bout de ses choix et de ses « rêves » peu importe les moyens à utiliser pour arriver à ses fins. Il lui avait d’une manière totalement involontaire insufflé cette envie là : libérer sa famille et la population de la bêtise de l’Ordre peu importe le prix à payer et les moyens à utiliser.

« Des centaines d’autres parties ? Oh s’il te plaît Octavio, il n’est pas nécessaire de me mentir de la sorte. Ils ne sont tous qu’attiré par Lakhesis, je ne saurais pas même étonnée qu’elle te plaise également. »  Haussant les épaules elle vient doucement déposer sa tête au creux de son cou venant délicatement le mordiller, glissant sa langue sur l’arrête de sa carotide. Avant de reculer face à lui, en passant sa langue sur sa propre lèvre. « Je ne serais que le second choix, pour tout, et tout le temps. »