L’excitation n’était pas aussi grande que la dernière fois. Après tout, elle n’était cette fois pas couplée au stress d’une première rencontre. Le rythme cardiaque était mesuré, contrôlé, malgré ce doucereux sourire qu’elle n’arrivait à faire disparaître de son visage.

Puis qu’ils s’étaient aimés, tout irait pour le mieux aujourd’hui.
C’était sa prière aux Arcanes à l’aube.

Chantonnant face à sa coiffeuse, le geste presque mécanique de la brosse sur sa chevelure blé, elle n’entendait même plus les messes basses et interrogations de ses sœurs. Tout ce qu’elle voulait, c’était que le soleil accélère sa course jusqu’à l’annonce de son arrivée et se stoppe lorsque sa main sera à nouveau dans la sienne.

Elle découvre, Diane, que dans son impatience, elle aura sûrement de plus en plus de mal à accepter leurs séparations.

Vient alors enfin l’heure de se vêtir. Si elle ne lui avait pas faire l’affront de reporter la même robe que lors du bal, elle avait cependant glissé les mêmes bijoux dans sa coiffure. Elle avait ce besoin de lui remémorer ces sentiments qu’ils avaient partagé.

On annonce alors la famille Riegel, et il lui faut puiser dans toute sa maîtrise de soi pour ne pas courir l’accueillir elle-même. Père n’aurait sûrement pas apprécié cette insubordination. Plus rien n’existe, alors, lorsque l’on vous congédie. Rien que tous les deux.

Merci de leur accorder cette intimité dont ils n’avaient que trop besoin.

Tu m’as manqué, Diane, se permet-il alors qu’ils sont loin des oreilles indiscrètes.

Tu m’as manqué aussi.

Rien que de l’avoir tutoyé ainsi suffit à la faire rougir plus que nécessaire. Une proximité dont elle n’aurait pu rêver dans ce petit monde à eux.

Bonjour, Jasper.

Elle ne l’avait pas entendu, pas remarqué. Il n’avait même pas passé la barrière de son champ de vision. Pourtant, quand sa voix résonne, ses épaules s’affaissent et ses yeux roulent, toujours avec ce doux sourire et cette résignation bienveillante.

Obligée de porter son attention sur son frère, elle se demande à quelle point Iphigénie et Prudence ont dû insister pour l’envoyer ainsi en éclaireur. C’est drôle parce qu’elle était persuadée que leurs familles avaient accepté de leur laisser leur tranquillité le temps des discussions.

Elle les écoute échanger sans interrompre, s’étonnant dans le discours de Jasper de découvrir que le gendre briserunien avait dû subir une quelconque évaluation. Elle ne s’étonne pas bien longtemps en se souvenant de sa discussion avec Selena.

Clovis. Oh, Votre Altesse, pardonnez-moi, elle se moque un rien, s’amusant de leur interaction en mimant une très respectueuse révérence assise sur son banc. Que nous vaut l’honneur de ta présence. J’espère qu’il n’est pas réellement question d’évalution. Le pauvre a déjà dû affronter Père et Uriel, n’est-ce pas assez éreintant comme ça ?

Elle lui rend ce regard appuyé qu’il lui offre, une étincelle riante brillant dans ses yeux. Elle était la grande sœur surprotectrice et mêle-tout, et n’acceptait pas qu’on utilise ainsi ses propres armes contre elle.

Même si, au fond, elle trouve adorable qu’il puisse s’inquiéter ainsi.

Elle ne s’inquiète pas le moins du monde. Clovis n’a pas mauvais fond et ne viendrait pas à la confrontation si cela pouvait attrister Diane. Il a conscience de la joie qu’elle ressent à cet instant, mais guider par les désirs de ses sœurs, il n’a pu que succomber.

Ma chère soeur, je me sens terriblement attaqué par vos injustes insinuations. Je ne suis pas venu incriminé Jasper mais être seulement témoin du bon respect de ses obligations.

Soyez donc témoin.

Elle a confiance en Jasper. Il n’y a rien qu’il pourra faire qui irait contre ses obligations, contre Diane ou contre la famille Vaudreuil toute entière.

Bien sûr, le respect de ses obligations passait visiblement par une demande de duel, et le rire lui prend. Après Selena qui lui avait promis un merveilleux spectacle contre son fiancé, voilà que Clovis rejoignait la danse. Il n’y avait décidément qu’un guerrier pour estimer un autre guerrier. Il loue d’ailleurs sa bonté là où Diane questionnait plutôt sa curiosité.

Que peut bien valoir un combattant briserunien face à un combattant malronçois.

Alors qu’elle s’attendait à ce qu’il se dirige tous les deux vers l’arène pour croiser le fer, voilà alors qu’ils s’esclaffent tous les deux, ravis de

Je n’avais pas conscience que vous vous connaissiez.

Elle s’étonne d’un sourire bienveillant, appréciant plus qu’elle ne l’aurait cru de cette complicité entre deux des hommes de sa vie. Le gendre a été choisi par leurs parents, mais qu’il existe une entente entre les enfants Riegel et Vaudreuil était quelque chose qu’elle souhaitait tout autant que d’être heureux au côté de son époux.

Que pourrions-nous vous raconter pour satisfaire la curiosité de mes chères belles-sœurs ? Avez-vous une idée, Diane ?

N’hésitez pas à évoquer un duel et une rivalité masculine. Je suis sûre que cela contentera amplement leur curiosité.

Elle s’amuse toujours, sûre que les pulsions guerrières de l’une et les journées comblées de livres de l’autre seront ravies d’une telle tournure des événements. Puis elle se permet d’ajouter en direction de son frère.

N’allez cependant pas réellement guerroyer, je tiens à profiter du peu de temps que l’on m’autorise avec mon fiancé.

Elle ponctue sa demande en mélangeant ses doigts à ceux de Jasper, comme une façon de le garder près de lui. Puis elle se rend compte en rougissant de son geste, n’osant malgré tout pas briser leur lien tout en gardant la face face à Clovis.

Elle retient un rire à la manière dont il évoque leur aîné. Pour sûr qu’Uriel n’aurait jamais participé à ces jeux là, mais elle restait malgré tout persuadée qu’il s’inquiétait à sa manière. Son esprit était bien certainement occupé à d’autres choses, et il n’était pas de ceux qui communiquaient sur leurs sentiments.

Nous voulons juste nous assurer que les fils du destin et de la diplomatie ont uni deux personnes faites l'un pour l'autre.

Une moue attendrie, des rougeurs doucereuses. Elle sait qu’il n’espère pas que pour sa sœur, mais pour lui peut-être aussi au fond.

Je ne m’en inquiète pas le moins du monde.

Elle ne s’inquiète ni pour elle-même, la manière dont Jasper avait enserré ses doigts en retour lui certifiant que les fils du destin avaient été tissé avec la plus grande minutie, ni pour son frère. L’amour existait dans son cœur, cette flamme légère qui ne demandait qu’à s’embrasser pour sa promise.

Si cela peut vous rassurer, votre altesse, le bonheur de votre sœur m’importe beaucoup plus que la volonté de nos parents.

Es-tu donc témoin, Clovis, de ces inquiétudes qui ne toucheront jamais Diane ? D’aucun pourrait croire qu’il ne s’agit que de paroles en l’air, que de facilité, que de belles lettres. Elle sait qu’il n’en est rien. Elle le sait car elle partage ce sentiment avec lui.

Plus encore lorsqu’il se met à promettre, qu’il s’exprime avec le sérieux déconcertant que lui confère son sang briserunien. Elle vient d’une main cacher le feu qui ronge sa peau. Il lui était parfois si simple de faire ses confessions sans pourtant sourcilier, sans pourtant se rendre compte de la portée qu’elles avaient sur elle.

Si je faillis à ces promesses, vous pourrez me couper autant de membres qu’il vous plaira.

Arrêtez donc de vouloir vous découper les uns les autres.

Diane soupire en posant ses sourires tour à tour sur son frère et son époux. Elle se veut rassurante, maternelle. Que les cœurs soient calmes, que les éclats dans les yeux soient heureux.

Nous sommes dans un monde en paix, des unions sont à venir. Célébrons la beauté de ces mariages plutôt que les sanglantes trahisons.

C’est qu’il porte malheur de penser à ces futurs tragiques dont on espère qu’ils n’arriveront jamais. Tout le monde veut être heureux après tout, c’est ce pourquoi on vit.

Clovis tue ses inquiétudes. Oh, bien sûr qu’elle arrivait à imaginer cette envie des combattants d’échanger sous les coups d’épée. Mais elle pensait surtout à son pauvre fiancé qui n’avait déjà que trop subis les épreuves de ses proches.

Non, ils ne se découperont pas dans l’arène. C’est un soupire discret mais soulagé qu’elle lui offre en réponse. Elle ne saurait que trop répéter qu’elle préfère voir l’amour que la guerre en ces jours.

Son frère, alors, rassuré ou las de cette mission offerte par ses sœurs -elle s’oserait cependant à croire qu’il était peut-être simplement venu voir ce vieil ami- annonce son départ.

Jasper, nous nous verrons au diner, promet-il simplement.

Elle lui offre un mouvement de la main quand il s’éloigne, et la tension de son dos qui disparaître alors, comme si elle avait elle aussi eu tout à prouver sur ce simple échange. Elle était heureuse de penser que cela c’était bien passé.

Il y avait une époque où ton frère me lançait des boules-de-neige à la figure. Jasper attrape son attention. J’aime croire qu’on pourra un jour y retourner. C’est qu’elle me manque, cette époque.

Un léger rire d’imaginer cette jeunesse que Clovis et Jasper avait partagé sans qu’elle n’en su jamais rien. Deux enfants que le destin a réussi à réunir dans cette même famille.

Je suis sûre que cette époque n’est pas révolue. Pour les hivers où il viendra nous visiter à Briserune, la neige volera à nouveau.

Le regard fixé dans le sien, elle évoque ce futur avec toute la simplicité du monde, dans ce conte de fée où ils auront tous gagné leur épilogue heureux. Cendrillon, cependant, doit s’en aller maintenant. Les cloches sonnent, annoncent la fin de la magie.

Leur temps à deux était passé.

Elle se lève d’un mouvement doux, sans jamais lâcher cette main qu’elle lui avait volé. Les cloches sonnent mais le douzième coup n’est pas encore là. Elle veut profiter jusqu’à la dernière seconde, n’être qu’à lui jusqu’à ce qu’ils passent les portes du château.

Ce fut bien trop court, mais il me faut m’apprêter pour ce soir.

Pour ce dîner où tous se retrouveront. Une famille unie autour des somptueux repas de Malronce, une scène dont elle n’aurait jamais pu trop rêver.