Alcyone évaporée dans les couloirs chargés d'amertume, Maia envolée dans les méandres de la déception. Tu n'en avais contenté aucune et elles t'avaient toutes les deux frustré pour plusieurs jours.
Ce séjour n'aurait rien de plaisant s'il continuait de se dérouler de cette manière - ton père s'était assuré de crever ton enthousiasme à la source, prenant ses précautions pour que cette fois tu n'échappes au même malheur qui l'avait frappé vingt ans plus tôt. Mais comment osait-il se comparer à toi ? Lui qui avait été roi.
Uriel aurait pu - à défaut de tout te prendre - te voler aussi les sacrifices.

Mais ce fut dans une tenue plus discrète que les apparats déposés sur ton siège, que tu te changeas. Décidés à retrouver des amis de la cour de Belorge, tu attrapas ta bourse et ton épée pour faire le mur dans Colza. Si ce n'était pas avec les princesses Cascabel, ce serait avec celui qui se fichait aussi des règles.

C'était vers les cuisines que tu entrainas Roman Harcourt, au préalable repéré à roder autour de tes soeurs. Toujours charmant, mais tu ne l'appréciais pas pour ça.
Il était connu pour être le seul à te suivre dans tes mauvaises idées.

— « Roman Harcourt. Un plaisir de vous retrouver en ce jour et dans ces circonstances peu communes, je ne relèverai pas que votre regard était un peu trop incliné vers le bas quand vous vous adressiez à ma soeur. »

Tu étiras un rictus désabusé, les pommettes retroussées tant tu te retenais d'en rire.

— « L'objectif est un aller retour, dans la furtivité, vers la taverne des Trois Grains. Me suivez-vous ? Je sais que je ne dépend pas de votre autorité, mais c'est un appel à l'aide à prendre au sérieux. »

Et plissant les yeux sans attendre de réponse, tu savais qu'il te suivrait dans tous les cas. Vous aviez perdu assez de temps dans des échanges qui n'avaient pas lieu d'être.


Une fois arrivés au lieu de rendez-vous, c'est en nage que tu épongeas ton front d'un revers. La capuche sur la tête, tu lui montras du doigt une table où vous seriez tranquilles.

— « Si je ne rentre pas avant ce soir, je peux dire adieu à tout ce qui m'attend à Malronce. »

Tu avais souris avec chaleur pour seule réponse à ses excuses, que tu jugeais inutiles car tu savais que les détours étaient un autre moyen de changer de chemin. Roman n'était désolé que parce que tu aurais pu être offensé et qu'il était dangereux qu'un Prince puisse l'être en ce Monde. Parfois, tu te perdais à penser à ce que serait ta réalité si tu étais né de l'autre côté, et que ça aurait été à un autre que tu aurais ployé le genou, avec le même sourire des faux semblants affiché.

— « Ce jour n'est pas aux réprimandes, je ne me porterai pas garant de votre moralité. »

Dans ce jeu ou le plus fort gagnait le droit à ce que l'autre ne puisse pas répondre, tu l'avais entrainé dans tes erreurs - le condamnant à en commettre à en ton nom. C'était pour ainsi dire la plus belle loyauté dont un ami pouvait faire preuve.

Assis et le nez déjà plongé dans les bas-fonds de ta chope de bière, tu fis trembler la table en la reposant bruyamment. Qu'est-ce qui t'attendait ?
Il t'énervait toujours autant à pointer du doigt ce dont tu étais incapable d'identifier avec une lucidité claire. Tu réprimas un grognement de frustration.

— « Au moins je serais loin des obligations d'ici. Les rumeurs de mariage me pèsent, alors que je viens tout juste d'annoncer vouloir rentrer dans l'armée. »

Tu le dévisageas du coin de l'oeil d'abord sans sourire, avant de finalement glousser - comme si tu prenais l'initiative de te moquer avant qu'il ne le fasse.

— « Et si tu me contais ce que te disent tes voix à toi, dans ta tête. Tu sais que suis mauvais au jeu des devinettes. Quel est le grand projet de vie de Roman Harcourt, hormis de flatter les princes et les princesses à la cour ? Je te connais trop joueur pour te ranger si vite. »

Tu l'observais, un peu distrait - et l'esprit dissipé, indiscipliné par les regards insistants de la fille accoudée au bar. Toi aussi, tu l'avais remarqué et pourtant tu t'étais empêché de lui sourire, le coeur désormais scellé à celle que tu avais promis d'aimer en premier. Elle t'obsédait même quand elle n'était pas là, et en cet instant tu la maudissais d'exister plus que tu ne la désirais, excité.

Tu l'écoutais aligner les privilèges que lui incombait sa position parfaite. Ni trop important, ni pas assez. La vérité était que tu enviais Roman depuis votre rencontre, aspirant à une vie aussi simple que celle vers laquelle il se dirigeait. Toi aussi, tu voulais pouvoir choisir, toi aussi tu voulais pouvoir vivre et non suivre.

Mais d'un coup, votre complicité retrouvée te fit diverger pendant quelques secondes, avide d'une curiosité réservée aux hommes.

— « Et... ? Elle t'a claqué ? »

Tu poussas un soupire et reporta ton verre à tes lèvres, saoulé de chercher à être soûl pour oublier des problèmes dont certains passeraient leur vie à envier.

— « Tu es chanceux que je sois bête de te le souhaiter en retour. »

Tu ne voulais pas non plus prétendre être malheureux. Dans l'opinion publique, tu allais épouser la plus belle femme du pays, mais aussi la plus importante.

— « Le bonheur que je me suis imaginé serait de voyager dans tout Valdore. Qu'ils me donnent une monture, une armure et la plus belle des bardes conterait mes aventures dans toutes les tavernes ! »

Tu étiras un sourire malicieux.

— « Sais-tu ce dont j'ai rêve l'autre nuit ? Je faisais croire au monde que j'eus péri. Et je revenais deux jours plus tard, alors que tous le monde s'attelait à pleurer mon absence héroïque. Je crois que cela me donne des idées ; ô que j'aimerai leur faire croire à ma mort un jour. » Maussade, d'un coup. « Mais je ne suis pas sûr que cela fasse rire ma famille si j'avais l'audace d'orchestrer une farce pareille. »

Tu fus satisfait d'apprendre qu'une fille avait bien pu le corriger pour son comportement de diable séducteur. Mais tu te rendis compte rapidement que le sujet abordé après coup l'avait peut-être troublé et sans être complètement désolé, tu te sentis un peu mal à l'aise.
Il était très proche de sa petite soeur après tout, alors tu considéras soudain que tes envies malsaines de tromper les tiennes étaient seulement là pour t'égarer de tes complaintes de Prince en manque de sensations fortes.

— « Complices, assurément que non. Mais responsables, cela se pourrait. »

Tu éclatas de rire après un silence de quelques secondes, après lequel tu reportas ton attention sur la joie fille qui ne cessait de vous fixer. A en juger par ses tics nerveux, elle était soit prise d'un désir profond de venir vous parler, soit d'un bouton de fièvre qui la démangeait au niveau de la lèvre.

— « Rassure-toi Roman, si tout se passe comme prévu du côté de mon père et de la reine actuelle de Belorge, il semblerait que j'emménage ici dès que son Altesse Alcyone succède à sa mère. »

Tu fanfaronnas.

— « Tu imagines.. ? Ce sera toi qui aurais la lourde responsabilité de me sauver de cette vie. Mais attention, si tu épouses une de mes soeurs et que tu emménages à Malronce... Je ne te le pardonnerai pas. »

Cette fois, c'était un murmure qui avait plus l'air d'un grognement.

— « De toute façon je ne sais pas laquelle est libre. »

Tu ne pus réprimer un gloussement moqueur à l'idée d'imaginer Roman te représenter face à ton frère, le souverain de Malronce. Déjà que vous n'échangiez pas beaucoup d'ordinaire, tu trouvais la situation digne d'une métaphore cocasse.
Mais c'était surement ce qui arriverait, et tu t'en réjouissais pour maigre consolation.

— « J'aimerai bien voir ça. L'idée même de devoir l'appeler Sa Majesté et de céder à ses caprices me hérissent les poils. Finalement, c'est une bonne chose que je sois exilé ici. Je n'aurai pas à subir sa piètre régence. »

C'était peut-être audacieux de ta part de critiquer Uriel dans son dos, mais il n'était pas encore Roi et tu pouvais encore te le permettre avant qu'il ne devienne intouchable.

Tu haussas un sourcil lorsqu'il s'exprima sur ses préférences - heureusement pour lui aucune ne lui convenait et c'était tant mieux. Tu préférais Roman au statut d'ami fidèle que de frère. On ne pouvait rien dire à sa famille et tu espérais faire perdurer une relation de franchise et d'honnêteté.

Et ce n'est pas ce qui lui manqua quand il confessa avoir des vues sur une des gardes Caterna. Si tu le toisas sans t'en rendre compte, il le remarqua et précisa ses dires.

— « J'ai eu peur, j'ai cru que j'allais devoir sévir. »

Mais vu qu'il ne s'agissait en rien de ta meilleure amie mais plutôt de sa jumelle, tu étiras un rictus satisfait - voir un peu intrusif.

— « Mais voilà donc... Roman serait finalement épris d'une fille qui saurait le satisfaire. Y as-tu déjà goûté ou est-ce un fruit que tu tends à cueillir à point ? »

Les conversations érotiques de l'époque avaient le chic de l'être - chic.

Tu connaissais que trop bien ce sentiment, celui d'être réservé même auprès de la seule avec qui tu voudrais te libérer. Le baiser que tu avais failli voler à Alcyone, c'était ta conscience qui t'avait ordonné de t'arrêter à temps.
Tu cherchais dans le regard de ton ami s'il partageait la même frustration face à l'absence d'envie d'avoir même envie.

— « Si je pourrais être intéressé, alors elle l'est forcément. »

Tu lui fis un clin d'oeil séducteur avant de te fuir dans une nouvelle gorgée. En y réfléchissant tu ne connaissais pas beaucoup Asteria. Tu passais le plus clair de ton temps aux côtés de sa jumelle Selena, beaucoup plus prompte au déshonneur familial - un peu comme toi.
Tu respectais cependant Asteria de loin, comme presque impressionné par la grandeur dont elle s'efforçait de statuer.

— « Oui, bien sûr. »

Le piège se referma sur une demande plus compliqué qu'espérée. Tu grimaças avant de pencher la tête vers l'arrière, cherchant dans ta mémoire des indices.
Selena parlait beaucoup (beaucoup) et plus que toi. Tu étais un très bon auditeur, et parfois des détails restaient ancrés dans la mémoire.

— « Je peux me tromper mais Selena répète sans cesse qu'elle cherche à offrir des orchidées à sa soeur. Je ne sais pas si c'est gage de pertinence à tes yeux mais je pense qu'elle doit les aimer. »

Tu haussas les épaules et levas le bras pour signifier au tavernier de venir remplir vos verres. « Et rajoutez-nous deux jambons. »

Tu penchas la tête sur le côté une fois le serveur parti chercher ta commande.

— « Je n'arrive pas à croire que tu m'as fait retenir un détail aussi futile. Rend-moi service en tant que futur diplomate fidèle à ma future épouse et à mon frère, trouve-moi quelles sont les fleurs préférées de son Altesse Alcyone. »

Tu avais étiré un sourire complice avec lui mais tout de même avec plus de réserve. Si tu pensas un temps que vous changeriez de sujet pour vous reporter sur lui, Roman prit l'initiative de te questionner pour récolter des détails qui n'avaient même pas encore lieu d'exister à tes yeux.

Tu ouvris d'abord la bouche pour répondre avant de les sceller pour te taire. Tu fronças les sourcils sans le quitter des yeux. On aurait pu croire qu'il t'avait offensé mais il n'en était rien : tu réfléchissais à comment formuler ta réponse.

— « Tu sais... Je ne sais pas comment tu décrirais l'amour, si jamais tu en as déjà ressentis. »

Vous connaissiez tous les deux la réponse. Il était comme toi, à s'éprendre de corps et des esprits sans jamais y succomber complètement. Mais pourtant tu avais prêté serment à Alcyone lorsque vous étiez tous les deux.
Tu avais juré par devoir, mais tu t'étais promis de ne pas la trahir. Cet engagement tu te l'étais aussi prêté à toi même.

— « C'est compliqué. Tu ne peux pas comprendre, toi qui a le choix. »

Tu baissas les yeux, pour la première fois tu le fuyais.

— « Elle m'a dit qu'elle avait choisi de me porter de l'affection. Parce qu'il le fallait. Alors j'ai décidé de faire de même. C'est le seul choix que je peux faire, celui de m'y faire plutôt que de résister. »

Tu étiras un sourire.

— « Je pense réussir à l'aimer au bout de quelques années. »

Il le fallait.

Roman pouvait bien dire ce qu'il voulait, il ne t'offrirait ni consolation ni culpabilité. Tu n'étais en réalité ni brave ni lâche juste résigné. L'amour était complexe et tu comprendrais à mieux cerner ces sentiments là aux cotés d'Alcyone Cascabel.
Tu étais tout de même satisfait de la qualité de l'échange que t'avait offert ton ami, et d'à quel point il était plus réfléchi que toi.

— « Arrête, tu me donnes mal à la tête. »

C'était ta manière habile à toi de changer de conversation, quand tu n'avais plus rien d'intelligent à dire à propos de celle-ci.
Tu fus quand même touché de sa loyauté.

— « Je ne te demanderai jamais de me suivre aveuglement Roman. Fais ce que tu trouves juste, même si cela incombe un jour que tu doives changer d'allégeance. »

Tu avais l'air soudain plus arrogant, et disparut le Prince aux idéaux arrêtés. C'était l'instinct qui parlait.

— « Mais à l'image de ton père, je veux que jamais nos royaumes puissent se mettre en travers de notre amitié. Jure-le moi. Jure-le à ton Prince. »

A son ami.
Il avait réussi encore une fois là où aucun autre (hormis Selena) n'avait réussi à te faire ressentir. Une profonde reconnaissance de ta part envers ses traits d'esprits et dont la présence était une bénédiction.

— « Bien. »

Tu avais également fini ton verre et cherché l'heure sur une horloge au dessus du comptoir. Mais les prunelles dilatées par l'alcool et l'euphorie t'empêchaient de réellement bien voir.
Il était sûrement déjà bien assez tard, et tu devais encore te changer pour la réception.

— « Ne se soumettre à aucune couronne... C'est le bon état d'esprit. En attendant, elle est bien vissée sur le crâne de mon père et il est le seul à avoir le droit de m'exécuter. Rentrons ! »

Tu t'étais levé, et avait déposé quelques dores à l'adresse du tavernier - un surplus trahissant malheureusement au dernier moment ton identité.