Dans sa quête de spiritualité et afin de pouvoir répondre à ses interrogations concernant l'Ordre des mages, le mage primordial s'était imposé un pèlerinage en Malronce.
Peut-être guidé par la nostalgie, il avait décidé de suivre les traces de Maître Astor afin de comprendre la source de sa sagesse et pouvoir s'émanciper un peu plus en terme de doctrine.
Suite à son départ de Roseraie, après avoir informé le conseil de son voyage dans leurs terres, il avait prit le choix d'emprunter le chemin du canyon à dos de cheval.
Ce choix de trajet n'avait pas été décidé en fonction de sa longueur, bien au contraire.
Le canyon était considéré comme un territoire hostile et le mage avait désiré se mettre à l'épreuve, peut-être pouvoir rencontrer les habitants du village de chasseurs.
S'il reprochait lui-même aux mages de ne pas profiter de tout le monde que leur avait offert la Maison-Dieu, il aurait été bien hypocrite de sa part de négliger la moindre rencontre.
Le climat était lourd, le vent faible.

Les heures passaient et, toujours à la recherche du village, Jeremiah devait bien avoué qu'il n'avait aucune connaissance du terrain et que cela lui faisait défaut dans la situation actuelle.
Afin de faire se reposer sa monture, il prit la décision de s'arrêter aux abords d'une grotte afin de profiter des premières ombres de la journée.
Trouver des vivres dans un endroit aussi aride pouvait sembler ardu, tout particulièrement pour quelqu'un comme Jeremiah qui n'avait pas pour habitude de résider dans des territoires au climats hostiles depuis qu'il avait apprit à maîtriser les portails.
L'espace d'un instant, le manque de nourriture lui rappelait sa vie à Malronce, avant d'avoir été recueillit par son père et maître, Astor.
Se remémorait l'odeur des épices d'Aubépine, le hurlement des marchands.
Alors que la nostalgie s’emparait du mage, il aperçu une silhouette qui lui semblait familière - pour cause, il avait côtoyé cette dernière il y a de cela moins d'un an.
Se déplaçait dans sa direction, le visage fermé, insatisfait.
Qu'est-ce que le roi de Malronce pouvait bien faire dans le canyon alors que son pays avait besoin de son véritable monarque ?

Alors que le premier réflexe de Clovis était de s'agenouiller devant lui, Jeremiah le suivait du regard, inextinguible.
Le monarque en était-il arrivé jusqu'à oublier sa propre position ?
Le mage primordial ne s'agenouillait jamais, lui avait été inculqué qu'on ne s'agenouillait que devant les instances divines.
Le roi de Malronce n'avait pas non plus à le faire, mais pour des raisons différentes.

« Relevez-vous, jeune roi. Nous ne sommes plus à l'académie et vous n'avez plus besoin de vous agenouiller devant qui que ce soit. »

Amer lorsqu'on l'appelait Maître Astor, parce qu'il avait l'impression d'usurper l'identité de l'Homme qu'il admirait le plus au monde, il reprit.

« J'ai pourtant rendu visite à votre conseiller, Nathanael Mayor, pour l'informer des raisons de ma présence en Malronce. C'est plutôt à moi d'être surpris. Pour quelle raison le roi de Malronce abandonnerait-il sa couronne afin de se rendre ici ? Vous savez combien l'équilibre du royaume est précaire. »

Le jeune roi était un être bon.
Il représentait, aux yeux du mage primordial, l'unique forme d'espoir auquel Malronce pouvait aspirer.
Certainement l'unique présence capable d'empêcher l'effondrement de ce royaume, c'était la raison pour laquelle Jeremiah se montrait aussi intransigeant envers le monarque.
Mais son intelligence était indiscutable et ce dernier lui avait bien fait comprendre qu'il était inutile de continuer à se montrer paternaliste envers lui.
Peut-être était-il simplement inquiet à son sujet.
Le mage se contentait donc de hocher la tête, compréhensif.
Si le message avait déjà été entendu, il ne lui était pas nécessaire de se montrer insistant.
Clovis n'avait de toute façon pas l'attitude d'un enfant capricieux et Nathanael Mayor lui ayant assuré qu'il avait l'intention de s'impliquer plus dans la politique de son pays était rassurant.
Calmement, il prenait place à ses côtés, répondant à son invitation.
La raison de sa venue à Malronce ?

« Les mêmes raisons qui vous poussent à voyager, Majesté. Afin de comprendre. M'approcher de l'inaccessible. Malronce est un royaume qui saigne encore. J'essaye de découvrir comment panser ses plaies. Croyez le ou non, je pense que vous en êtes capable. »

Prenait son menton entre ses doigts, pensif.
Était-il judicieux de lui partager ses doutes par rapport à l'Ordre ?
Cette organisation ne représentait-elle pas l'unique élément stable de Valdore ?
Une institution que personne n'oserait contrarier.
Les Volturne et Antigone Bathory étaient un exemple parfait de ce qui attendait les valeureux qui osaient s'attaquer à un système mis en place depuis bien longtemps.
Posait de nouveau son regard sur le jeune roi.

« Cette question peut vous sembler hors de propos. Aussi, vous n'êtes pas contraint d'y répondre. Mais vos nombreux voyages vous ont-ils permis de comprendre le génocide dont Malronce s'est rendu coupable avec Briserune ? »

Si le roi était capable de ressentir du dégoût et de la culpabilité, cette question pourrait certainement lui en apprendre d'avantage sur lui.
Et d'en apprendre plus sur Jeremiah.
Car aucun mot ne pouvait qualifier l'ignominie d'un génocide.

La justice ?
Les yeux du mage primordial se perdaient dans le vide, alors qu'il écoutait le jeune homme justifier comme il le pouvait les actes de la patrie qu'il représentait.
Enfant de la royauté, il lui était bien évidemment impossible de tourner le dos à son royaume, encore plus lorsqu'il était directement touché par les actes d'Antigone Bathory.
Cette dernière avait mis fin, pendant un temps, à la souveraineté des Vaudreuil et leur mainmise sur Malronce.
De la même manière que Jeremiah ne pouvait se permettre de renier l'Ordre, Clovis n'était pas en droit de condamner son peuple et son pays.
Pourtant, quelque chose en Jeremiah aurait aimé que le jeune roi ait le courage de faire ce dont il était incapable.
Qu'il soit cet homme capable de se lever contre la justice des hommes, d'aspirer à la grandeur.
Clovis serait un monarque comme les autres et après tout, pourquoi pas ?
Le mage primordial n'était ni en droit de le juger, ni en position de lui faire des reproches.
N'en avait pas plus l'envie que ça, d'ailleurs.
C'est pourtant un soupire, amer, qui s'échappait d'entre ses lèvres pour se perdre au milieu de ses regrets.

« Bien malheureusement, votre Majesté, je ne crois pas que l'on puisse qualifier de "justice" les exactions commises par Malronce à l'encontre du peuple Briserunien. Ne soyez pas absolu. Antigone Bathory a fait un choix et elle, ainsi que ses partisans, ont tous été châtiés au moment de son assassinat. Raser Briserune et n'offrir à son peuple que la dévastation et la famine... Ce n'est pas la justice. C'est une vendetta. Une violence sourde, un acte cruel. »

Dans la paume de sa main apparaissait une flamme.
Fixait ses couleurs, comme s'il était capable d'en déchiffrer le message.
Comme si elle était capable de lui montrer ce qu'il ressentait vraiment.
Une culpabilité aussi dévorante que la mission de laquelle il se sentait investi.

« Jeune roi, cela dépend justement d'Hommes comme nous. De par son inaction, l'Ordre s'est rendu complice de ce péché. Et cet acte poussera le peuple Briserunien à se lever de nouveau, à chercher réparation. Et le sang continuera de couler, aussi longtemps que les gens comme nous continuerons à chercher des justifications et des excuses à notre barbarie. Jusqu'à ce qu'un jour, la véritable Justice n'arrive. Pas celle des Hommes. Mais celle de la Maison-Dieu. »

Refermait sa main sur la flamme, brutalement.
C'est un regard mélancolique qu'il adressait à l'encontre de son interlocuteur mais son sourire n'avait pas perdu de sa douceur.
Clovis n'était pas coupable des actes de Malronce, il en était lui aussi l'une des victimes.

« Je n'ai pas agi à cette époque alors que je le pouvais. J'aurais dû mourir en essayant plutôt que de vivre en ne faisant rien et j'espère un jour pouvoir me racheter auprès du peuple Briserunien pour ma lâcheté. »

Faisait naître de nouveau une flamme au creux de sa main, il tendait le bras dans sa direction, pour la lui confier.

« Vous n'êtes pas un dictateur, Clovis Vaudreuil. Et vous n'êtes pas non plus coupable des actes de Malronce. Quel genre de roi seriez-vous si vous vous opposiez à la morale régit par les textes et les accords écrits bien avant votre naissance ? Je pense que vous seriez le roi dont ce royaume a besoin, votre Majesté. Le genre de monarque que ce peuple qui a bien trop souffert mérite. Pas un roi qui juge mais un roi qui pardonne. »

Les mots d'un fou qui n'avait jamais gouverné un royaume.
Mais les mots d'un Homme qui aimait profondément le peuple Valdorien.

Un croyant et non pas un guerrier ?
C'était peut-être vrai.
Ne s'était jamais tenu sur un champ de bataille, plus par idéologie que par manque de compétences.
Certainement que la puissance de ses flammes pourrait ravager des bataillons entier et pourtant, ce n'est pas ce à quoi il aspirait de par sa maîtrise.
Certainement que ses propos sonnaient creux aux oreilles d'un garçon avec déjà bien trop de responsabilités pour son inexpérience.
Mais n'était-ce pas là l'apanage de chacun d'entre nous ?
Un garçon des rues recueillit par un homme sage et puissant pour finalement devenir son successeur au rôle de mage primordial et véhiculer la doctrine qui avait dicté si vie jusqu'ici.
Un enfant de la royauté arraché à son pays et sa famille, contraint à l'exil pour finalement être propulsé comme un inconnu dans les décombres de son ancienne vie et investi d'une responsabilité toute nouvelle.
Ils étaient tous deux si opposés dans leur histoire que l'entente entre eux relevait plus de la providence que d'un simple hasard.
Peut-être que l'avenir du jeune roi était également l'une des raisons d'être de Jeremiah ?
De nombreuses questions auxquelles il n'avait malheureusement aucune réponse à apporter.
L’inexistence de ces réponses n'était d'ailleurs pas improbable.
Clovis avait peur.
Et Jeremiah aussi.

Le mage se rassurait de l'apparente écoute du monarque.
S'il eut l'occasion de toucher spirituellement le dirigeant de Malronce, c'était bien le moment.
Mais leur périple à tous deux n'était pas encore arrivé à sa fin et il malheureusement incapable de fournir à son interlocuteur la sagesse à laquelle il aspirait.
La seule certitude de Jeremiah est qu'il ne savait rien.
Ne connaissait rien à la politique, à la guerre, au poids d'une couronne.
Lui qui se permettait de prodiguer des conseils comme s'il avait tout vécu était finalement bien petit face à la vie elle-même.
Ses lèvres s'entrouvraient.
Hésitant.

« Je ne sais pas s'il est possible d'éviter la guerre, d'éviter les conflits. Vous avez raison, mon idéologie est celle d'un croyant et mon influence se limite à ma simple voix. Vous avez peur et je ne peux vous contredire ou vous rassurer, j'ai promis de ne jamais mentir. »

Comment les Valdoriens réagiraient-ils face à Clovis, s'il venait à prendre la place qui lui est due ?
Demeurait-il des partisans d'Antigone Bathory en Valdore ?
La situation était délicate et la détentrice de toutes ces réponses était la Maison-Dieu elle-même.
Une lumière qu'il ne pouvait prétendre égalé.
L'air résigné, il croisait les bras dans les manches de sa cape et agitait la tête de gauche à droite.

« Mais la peur ne protège pas du drame. Au contraire, elle en est la source. Le peuple de Malronce est un peuple fort. Et il est temps de savoir s'il est aussi un peuple capable d'apprendre de ses erreurs. Partagez vos valeurs, jeune roi. »

De nouveau, ses pensées s'adressaient au peuple de Briserune.
Et il reprit les propos de son interlocuteur.

« C'est justement parce que l'Ordre n'a pas jugé bon de partager ses valeurs avec le peuple de Briserune qu'il nous méprise. Et il a raison. »

Levait le visage en direction du ciel, le visage fermé.
Sincère.

« Il n'existe pas de grandeur dans une magie réservé à l'élite, pas plus qu'il n'existe de grandeur dans un monarque qui a peur de son propre peuple. »

Les paroles du roi étaient rassurantes, indiquaient qu'il était sur la bonne voie.
Mais le changement devait d'abord s'opérer sur le conseil des cinq avant de pouvoir s'étendre sur l'ensemble de Malronce.
Sa route était encore longue et probablement qu'il en était déjà conscient.
Suffisamment pour que Jeremiah ne juge pas pertinent d'appuyer ce point.
Mais il avait raison : il n'était pas un lâche.
Du moins, pas à ses yeux.
Espérons qu'il saurait prendre ses responsabilités.
Avec raffinement, le mage primordial se saisi de la gourde tendue par son interlocuteur et portait cette dernière à ses lèvres.
L'air chaud et sec du canyon - ainsi que ses discours - avait asséchée sa gorge sans même qu'il ne s'en rende compte.
Le liquide - plus ou moins - frais qui s'écoulait dans sa gorge la rendait moins douloureuse.
Remerciait Clovis d'un hochement de tête avant de lui rendre la gourde, son regard se perdant de nouveau dans l'immensité de l'horizon qui se dressait devant eux.
Diriger Malronce ?
Jeremiah n'était pas persuadé que les hommes comme lui - ou Maître Astor - étaient désignés à la régence d'un royaume.
L'un comme l'autre étaient des idéalistes et cette position était bien plus confortable que celle d'un véritable acteur.
Pourtant, l'espace d'un instant, il s'imaginait si prendre la direction de l'Ordre lui permettrait de refermer les blessures de ce monde meurtri par les guerres et les inégalités.
Mais il ne convoitait aucunement cette place et chassait cette utopie d'un rapidement mouvement de tête.

« Si ma voix a su vous toucher, j'en suis heureux. Mais je ne suis pas convaincu que la place des hommes comme moi se situe sur un trône. Je véhicule une idéologie pacifiste qui ne correspond malheureusement pas à la régence d'un royaume. Il est parfois nécessaire de prendre les armes et... J'en suis incapable. Vous, en revanche, ce royaume est votre destin. Soyez en fier. Je souhaite que votre règne soit long. »

Un soupire s'échappait de la bouche du mage, épuisé.
Ironiquement et malgré son titre de mage primordial du feu, Jeremiah n'appréciait pas particulièrement la chaleur et cette dernière avait tendance à le vider de ses forces.
Faisait tomber quelques barrières.
D'une manière un peu plus nonchalante cette fois, l'homme s'allongeait sur le dos, laissait le soleil caresser son visage scarifié.

« J'aimerais faire plus pour vous mais j'ai bien l'impression d'en être incapable. Où avez-vous l'intention de vous rendre, à présent ? »

Que sa dernière escapade soit significative.