C’est toujours le même rituel. Ni à la Sphère, ni à l’Hospice, on vient la trouver jusqu’à sa porte, ce lieu qu’on sait être le repère de bien nombreux chiens errants.
Et jamais Guenièvre ne refuse le soin à un seul des malheureux, que leur bourse soit pleine ou non.

C’est ainsi qu’un messager se retrouva devant sa porte, ainsi qu’il présenta le cas critique. Un travailleur qu’il dit, un pauvre homme qui mérite bien quelques soins, oh c’est qu’il est bien traité mais si têtu, voyez vous ? C’est ainsi donc que Guenièvre apprend l’existence d’une âme de plus en peine sur cette terre. Et malgré la volonté flagrante de soigner l’employé, Guenièvre n’est pas dupe, non, pas si sotte quand elle commence à connaître les atrocités de ce monde sur le bout des doigts, surtout quand l’homme promet de l’or, beaucoup d’or. Comme s’il ne savait pas que la guérisseuse ne prendrait jamais l’argent qu’on reprocherait d’avoir perdu à un pauvre blessé.

A la place, elle a suivi le messager, avec ses affaires et son silence, s’attendant à quelques blessures, évidemment, mais pas à ce mépris, pas à cette fausseté dans la voix quand l’homme n’est plus que vu comme une vulgaire bête.
C’est donc ainsi ? Un esclave ? De toute sa carrière, Guenièvre n’avait soigné qu’un esclave, affranchi et libéré de ses chaînes. Alors voir l’horreur, les  liens qui rongent la peau, la crasse et la misère quand pas même un regard ne se lève, ça, Guenièvre ne pouvait pas l’imaginer, pas si terrible. Et un peu égoïstement, elle aurait voulu ne jamais voir une déchéance pareille, elle qui croit en l’Homme, elle qui souhaite de tout coeur y croire.

Pour la première fois depuis longtemps la colère boue dans les yeux, la rage flamboie et pourtant, Guenièvre ne peut que trembler sans dire un mot, sans faire un geste. Car si elle flanche, qui viendra donc ici bas ? Guenièvre, là est son rôle : offrir sa présence  là où personne ne le peut.

Les poings sont serrés quand elle salue le maître, serrés quand tremblante, elle ne fait fit des mots du blessé et vient s’asseoir sur le bord de ce lit usé, où pas même un drap n’a été apposé pour donner l’illusion d’une bienveillance même minime.

Et sans trop savoir comment agir, Guenièvre s’est penchée, a cherché le regard derrière le rideau sombre sur son visage, pour essayer de le rassurer, rien qu’une seconde, un simple instant où il pourrait savoir qu’il n’y a pas le monde entier qui se fout de son bien-être, sa dignité. Un sourire doux pour qu’il sache que sous toute cette déshumanisation, il y aura toujours quelqu’un pour le voir comme une réelle personne.

Puis pleine d’hésitation, la main est venue se poser sur la peau, là, sur ces blessures si évidentes, si douloureuses simplement par la vue. Des blessures qui laissent Guenièvre le coeur blessé tant l’horreur de la maltraitance la choque, même après tant d’années.
Et quand on voit un livre, il y a l’espoir de pouvoir se faire comprendre, l’espoir même minime de pouvoir ne serait-ce un instant offrir une bienvenue sans demie mesure. .
Enfin, après de trop longues minutes, enfin, Guenièvre peut sortir le carnet sans oser mettre son patient mal à l’aise. Les lettres sont moins rondes quand elles tremblent, le mot met plus longtemps à venir sous les yeux de l’homme, cette immense homme bien trop blessé.

“Je suis navrée de ne pas pouvoir vous parler, ou de ne pas pouvoir me hisser contre l’homme qui m’a quémandée ici. Je n’en ai point la voix, ni même la stature, j’en suis désolée. Vos côtes et cette vilaine plaie sont guéries… En revanche, ces chaînes m’inquiètent autant moralement que sanitairement. Puis-je donc passer un onguent sur ces maux ? Et voulez-vous quoi que ce soit ? Je ne puis vous refuser un seul cadeau si celui-ci peut vous aider à voir un peu la lumière.”

Oh, Guenièvre, c’est qu’on est toujours trop bonne trop sotte, on croit bien trop en l’humanité, bien trop pour qu’elle n’accepte que la vie de cet inconnu soit perdue, pas sans y perdre quelques larmes, elle qui a le coeur si doux, si tendre.
Quelques lettres s’ajoutent sur le papier “Guenièvre Bradwyr”, le doigts qui se pointe sur la poitrine et le regard qui attend un prénom, un son rien qu’un son pour faire oublier à l’esclave une seule seconde son horrible vie.

Dans le regard, une peine rongée de colère. Guenièvre ne connaît que trop bien les méfaits des Hommes, leur sauvagerie et l’injustice. Pourquoi donc croit-elle encore à leur bonté alors ? Cette question, pas même sa propre personne ne saurait y répondre.

Et la main, avec le tremblement du coeur, guérit ce qu’elle peut, la tristesse au bord des cils. Lentement, mais sûrement, les plaies et les os brisés ne deviennent que souvenirs mais la tristesse, elle, reste éternelle dans les prunelles vertes quand elle croise le regard si clair de l’esclave. La surprise ne peut qu’être flagrante quand elle découvre un visage doux sous la rugosité des traits. Il y a dans le regard, derrière la souffrance et la fatigue d’une vie éreintante, ce quelque chose qui tord le coeur de Guenièvre un peu plus, qui attire, pousse la main à venir toucher ce visage émacié, du bout des doigts frais, hypnotisée par ce sentiment affreux qui étreint le coeur, l’âme toute entière. Car Guenièvre a connu ce regard vide, elle a connu la douleur, la vie sans aucun goût et elle ne peut que vouloir offrir une pincée de sa douceur, donner sa déréliction à l’inconnu rien qu’une seconde, lui dont la vie a été déshonorée. Alors les doigts glissent sur la peau, d’une familiarité impertinente, délicate et déplacée quand la jeune femme ne connaît même pas le nom de ce malheureux homme.

Puis la voix s’élève et le geste se suspend, le regard se baisse, honteux quand la doléance s’est changé en intimité déplacée. Et quand le regard croise à nouveau les pupilles bleues, c’est l’air désolé qui a remplacé la tristesse, un sourire flou quand la main rejoint à nouveau la peau pour soigner encore, finir de réparer chaque parcelle du corps quand elle ne peut guérir le reste des maux pourtant ô combien douloureux.

Dans le silence, un poids immense, uniquement leur respirations et les quelques mots de l’esclave, qui arrivent à tirer un sourire navré à Guenièvre. Ainsi donc, l’homme pense à son bien ?
Les blessures sont guéries mais une main incombe de rester tranquille pour se remettre correctement quand elle écrit de l’autre à nouveau.

“Je peux prendre soin de moi, mais merci de vous en inquiéter.”

Et au léger sourire, à l’entente du prénom, Guenièvre n’a pu que sourire à son tour, ajouter des mots avant de tendre le carnet et une main à serrer. Car Altaïr comme tout humain mérite la décence.

“Vous avez un beau prénom, Altaïr. J’aurais aimé vous connaître dans d’autres circonstances, vous m’en voyez navrée.”

Douce Guenièvre, délicate Guenièvre, jamais elle ne pourrait abandonner une seule âme errante quand bien même les mots la repoussent et si elle le pouvait, elle aurait emmené Altaïr et toutes ces personnes emprisonnés dans ces fers pour leur rendre la vie qu'ils méritent. Hélas, elle n'a que ses yeux pour pleurer et ses mains pour panser les plaies ouvertes encore et encore. Quelques mots du coeur pour compenser son incapacité à le sortir d'une prison pareille. Altaïr, tu as droit à ce répit, rien qu’un instant pose donc ta tête sur l’épaule et accorde toi la faiblesse d’un homme blessé car la jeune femme compte bien offrir un maigre réconfort pour adoucir l’horreur.

Le voir ainsi se refuser au monde, reculer et s'enfoncer dans ce malheur qu'on lui a imposé, c'est douloureux, ça te fait mal Guenièvre, toi qui est déjà en plein de petits morceaux, toi qui a été brisée, souillée encore et encore jusqu'à n'être plus qu'un reflet distordu de ce que tu aurais pu être.

La vie n'est donc que cruauté pour ceux de leur acabit ? Non, on peut l'accepter, jamais. Guenièvre, tu ne peux pas, toi, tu ne peux pas voir les chaînes, soigner le corps et laisser la pauvre âme pourrir ici bas. Pas que c'est une autre âme que la tienne qui souffre. Tu ne peux qu'avoir des soupçons de pleurs au bord des cils, qu'écouter les mots silencieusement et avoir ce sourire attristé, ce sourire qui s'excuse quand égoïstement, on veut repousser cette limite. Car Guenièvre, tu as peur, tu es terrorisée à l'idée même de voir de si près l'horreur des hommes sans même pouvoir offrir la douceur de ton cœur. 

La douceur de ta liberté arrachée aux mains du bourreau. Tu la leur dois. 

Oh Altaïr, il te croit si pure, bien plus pure que ce que tu n'es, toi qui a les mains pleines du sang de tes pairs. Pleine de leur souffrance, leur chair, leur sang qui brûlent dans les bijoux qui alourdissent le corps. C'est ton expiation pour ne pas les avoir sauvées. 

Non, tu ne vaux pas mieux que lui, tu vaux probablement moins que lui au jeu de la vie. Alors la main s'est posée sur la joue, avec douceur, tout légèrement, fébrilement quand le coeur bat une mesure inquiète. 

Tu plantes les yeux verts dans ceux si clairs de l'homme, silencieusement lui dit que non. Non, tu ne partiras pas en le laissant comme un déchet sur ton chemin. Car Guenièvre tu fais partie des jouets cassés toi aussi. La main s'attarde et tu as un sourire fin quand la main s'éloigne, quand les mots s'écrivent pour les laisser être lus par Altaïr, le regard bas quand tu lui as donné cette compassion trop intime, toujours trop intime Guenièvre. 


"Ma faible souffrance devrait me convaincre de délaisser la vôtre ? Je ne savais pas qu'en cette maison vivait tant de misère. Et puis oublier serait bien cruel à votre égard, comment pourrais-je ? Ne pourriez vous pas accepter cette main que je vous tends sans me rejeter avec tant de véhémence, Altaïr ? Ma souffrance m'est bien égale, elle est déjà présente. " 


Ce n'est point de la pitié qu'on peut lire dans ton regard, seulement la compassion, immense, quand tu relève la tête, as ce sourire qui hurle que tu n'es pas si innocente que ça, qu'il peut bien prendre ta main avec la sienne si brute sans jamais la souiller plus que ce que le passé ne l'a déjà fait. Guenièvre, toi, tu ne pouvais pas te relever et abandonner Altaïr avec les réminiscences de son parfum pour seule douceur dans cette vie. 

Alors la main écrit à nouveau, tremblante de ce cœur trop fragile. 

"Alors acceptez mon attention, au moins en tant que guérisseuse, comment pourrais-je vous laisser ainsi dans la détresse ? Je n'ai pas la richesse pour vous libérer de ces chaînes mais savez-vous comment je pourrais alléger vos peines ? S'il vous plaît."

Tu le sais très bien, que les mains tendues sont celles qui finissent broyées. Tu le sais très bien Guenièvre, mais tu continues de tendre cette main délicate, laisse la vie la détruire encore et encore sans en garder la moindre rancoeur.

Là est peut-être un certain égocentrisme que de croire pouvoir alléger les peines d’Altaïr de ta simple tendresse mais Guenièvre, tu l’espère, tu espère bien trop.
Que ta main soit douce, que tes mots soient une présence suffisante pour combler la souffrance un court instant.

Les regards se joignent, se perdent l’un dans l’autre –si semblables et pourtant si différents. Tu ne peux t’en détacher, ne peux que lui offrir la sincérité d’un regard blessé, un regard qui est resté aimant sur tout ce qu’il croise. Car Guenièvre, tu estimes avoir ce devoir, toi qui est libre, toi qui a tant péché, tu leur dois ton regard, ta douceur, tu leur dois tout. Et quand tu vois le regard d’Altaïr, quand tu vois les réminiscences d’un passé tout aussi douloureux que le tien, Guenièvre, tu ne peux que prendre la main, la garder dans la tienne quand il parle des mots plein d’aigreur, de haine, même. Tu n’as rien à offrir, pas une seule tête. Même quand tes mains sont déjà couvertes de sang. Tu n’as que cette main qui serre celle, immense d’Altaïr, un peu plus fort.

Et quand tu t’attends à ce qu’Altaïr ne le comprenne pas, il sait déjà, que tu ne peux pas commettre cet acte. Que tu ne peux pas non plus changer ce monde.
Les paupières se sont closes, avant que les siennes ne s’ouvrent. La mine est douloureuse, peinée et tourmentée par l’incapacité à servir, l’incapacité quand les souvenirs sont si vivaces au contact de ces émotions si fortes, si vivaces que ressent Altaïr. Car tu n’as que trop connu cette rage, une nuit, une unique nuit terrible qui te hantera toujours et à jamais, être incapable de libérer des maux autrui serait un terrible tourment.

Alors Guenièvre, tu écris, les mains tremblantes parce que tu ne sais pas te confier, tu ne sais pas pourquoi tu écris ces mots mais pourtant les mots filent sur le papier.

“Je suis désolée de ne pas pouvoir vous aider de cette manière. Mais je comprends, ce sentiment horrible, je le comprends.”

Il te fixe avec ces yeux plein d’excuses, ces yeux si beaux dans lequel Guenièvre tu te perdrais bien des siècles si seulement ils n’étaient pas si tristes.

Et à ses mots, Guenièvre, tu tends la main, prends le livre délicatement pour mieux l’observer.
Il est si vieilli, ce livre, si vieilli, tant chéri, objet si précieux pour l’homme enchaîné. Et c’est émouvant, Guenièvre, de tenir ainsi la seule liberté d’un Homme entre tes mains. Tu en as les yeux humides, toi la trop douce, trop sensible Guenièvre. Alors le livre rejoint le lit, tes mains écrivent encore avant que le carnet ne se pose au côté d’Altaïr.

“Laissez moi vous apporter des livres. Je peux très bien convaincre vos maîtres. Je ne peux pas vraiment vous faire la lecture, les mots se perdraient dans ma voix trop faible mais je peux au moins vous apportez des livres. Ou pourquoi pas demander vos services ? Je ne suis qu’une simple guérisseuse, même si je fais quelques recherches à la source mais pensez vous qu’une émeraude payerait une faveur à votre égard si je fais croire à l’emprunt de vos services ?”

C’est une grande proposition, une proposition qu’on ne sait même pas forcément possible. Un rêve un peu, que de faire sortir Altaïr de cette horrible chambre. Et ça peut paraître bien incongru de la part d’une inconnue mais tu es comme ça, Guenièvre, trop bonne, trop emportée par un coeur naïf qu’importe les blessures.

Alors Guenièvre, tu défais la manche, relève la soie sur la peau pâle pour détacher un bracelet d’argent où trône une émeraude. Si celle-ci est petite, Guenièvre tu espères tout de même réussir à arracher Altaïr à cette vie, juste le temps d’une lecture, que la Maison-Dieu lui offre ce répit, Guenièvre, tu pries.

Guenièvre, tu restes immobile sur les draps trop modestes, laisses Altaïr lire tes mots, l’observe de son oeil curieux avant de défaire le fermoir de la chaîne.

Sauf que la main te saisit, un peu fort, trop vivement, laissant le corps tressaillir, surpris par ce toucher soudain, cette autorité sans faille d’un coup qui habite l’esclave. Et comme une enfant prise en faute, Guenièvre, tu baisses les yeux, qu’importe la main qui te relâche, tu baisses les yeux et noues les doigts nerveusement, comme une enfant punie.

On accueille les mots sans un geste, sans un regard car la colère, Guenièvre, tu ne peux toujours pas y résister. Tu ne peux que garder la tête basse, restée silencieuse et les mains tremblantes quand ton mutisme t’enfonce au creux de toi-même.
Quelle sottise, quelle bêtise d’ainsi se croire assez forte pour sauver le monde entier quand tu ne peux même pas résister au moindre ordre.

La tête basse, toujours, la main hésitante, tu reprends le carnet, écris des mots simples bien connus de ses mains et même de ses lèvres. “Pardonnez moi.” Car Guenièvre tu as dépassé les limites du raisonnable.

Le carnet reste sur le lit, peut-être serait-ce une nouvelle lecture pour l’homme, Guenièvre, toi, tu te lèves pour disparaître. Ta présence ici n’est pas souhaitable, tu le sais, tu le sens très bien. Il te faut partir, ne plus jamais revenir. Et pourtant, chaque pas serre le coeur, chaque pas, tu les regrettes, Guenièvre. Tourner le dos à Altaïr c'est laisser mourir un homme de plus dans ce monde à feu et à sang.

Il te faut faire volte face, t’opposer à Altaïr quand tu viens, dévouée à tous ces malheureux, t’agenouiller au bord du lit et prendre les mains, dans un supplique silencieux, planter le regard vert dans celui plus glacial d’Altaïr. “Je ne peux pas”

Les mots sur les lèvres, le son absent quand la bouche s’agite, avant de reprendre le carnet, écrire encore, tenter encore, quitte à agiter la colère, quitte à subir le courroux d’Altaïr, de ses maîtres, qu’importe, Guenièvre tu ne peux pas accepter de tourner les talons.

“Pourquoi repoussez vous ainsi ma main ? Est-ce si incroyable de vouloir alléger votre peine ? Pourquoi votre conscience serait-elle alourdie quand je n’ai qu’à donner une bagatelle pour vous donner du répit ? Je ne comprends pas, expliquez moi. Où est le mal ?”

La frustration dans tes lettres et le doute sur le visage quand tu poses le carnet à ses côtés sans oser lever les yeux. Pourtant, Guenièvre, tu ne partiras pas.

Tu es trop douce, trop docile, même quand tu t'opposes, Guenièvre. Sur le visage, il n'y a que la surprise, point de crainte quand on n'a aucune peur de souffrir.

Le regard se contente de se fixer dans celui d'Altaïr quand tu affiches le même air inquiet qu'auparavant, quand l'homme était encore doux.

Guenièvre, tu ne peux pas parler mais l'inquiétude est visible quand tu articules des mots.

"vos blessures, faites attention"

Car même quand il cherche ainsi à t'effrayer, Guenièvre, toi tu ne défaille point, soucieuse toujours de ce pauvre homme qu'on vient à peine de réparer comme on le peut.

Là, les pieds détachés du sol, tu ne bouges pas. Attends qu'Altaïr décide quoi faire d'elle sans aucune inquiétude pour sa propre personne et articule simplement des mots muets.

"Je n'ai pas le pouvoir de vous libérer mais je peux vous offrir du répit "

Et c'est dans le silence que résonne un murmure si faible, si dur à faire sortir quand bien même Guenièvre y met toute sa volonté.

– S'il vous plaît..

Laissez moi faire ce que je peux pour vous

C’est comme une poupée de chiffon qu’elle rejoint le sol, a les jambes qui flanchent comme pour prouver oh combien elle est faible. Mais un sourire, fier, fragile, étire les lèvres car Guenièvre a réussi à prononcer les mots, même si faibles, même qu’à moitié et c’est une victoire sur l’étau qui enserre la gorge la majorité du temps.

Alors les mains sur le sol, perdue dans les tissus pâles de ses jupes, elle écoute Altaïr, se réjouit de sa réussite tant minime avant de voir cette posture qu’il a, ainsi écrasé sur lui-même quand Guenièvre ne veut que lui offrir de la lumière. Sans même songer à la cruauté du soleil quand on est destiné à le perdre. C’est que Guenièvre n’y songe plus, ne voit que la paix que lui offrait le soleil lorsqu’elle s’évadait dans les jardins. Alors elle vient s’asseoir à ses côtés, reprend le carnet pour y écrire de nouvelles paroles quand elle réalise qu’offrir des libertés à cet homme c’est se lier à lui.

Et à cette pensée, Guenièvre sourit, écrit rapidement les mots que la voix ne peut offrir.

“Vous ne serez jamais un boulet trop douloureux, au bout d’un moment, on finit par ne plus les compter, ce n’est pas un de plus qui aura ma peau. Et je n’avais pas pensé au lien que je créerai en vous libérant quelques heures, ce lien vous ennuie-t-il ? Si cela vous soulage, prenez ça pour un souhait égoïste d’avoir un partenaire de lecture.”

Tu as tort Guenièvre, tellement tort quand tu penses être assez forte pour traîner tous les malheurs de ce monde. Mais tu ne peux que tendre la main, qu’y laisser les blessures s’accumuler sans jamais en garder une seule rancune.

Mais au moins, Altaïr aurait droit à la lumière.

Que dirait-il, Altaïr, s’il savait à quel point elle est faible ? Quelle ironie. Guenièvre n’est qu’une poussière qui se laisse balayer par la vie, et si elle a des envies, elle ne les laisse que trop souvent être écrasées par le monde.


Guenièvre a choisi de tendre cette main, laisser quiconque la mordre tant qu’elle peut offrir un peu de paix à cet homme blessé.
Oui, cette fois, elle serait forte, elle serait stupidement forte et laisserait le cœur être piétiné si elle peut donner un brin de soleil au prisonnier.
Un sourire, Guenièvre ne dit rien, n’écrit rien de plus quand Altaïr lit par-dessus son épaule, souffle sur sa peau à l’en faire frissonner. On ne le réalise pas, on ne le sait pas mais pourtant, le cœur bat un peu plus fort, le regard brille un peu plus quand elle fixe ses pupilles encore une fois dans les siennes pour répondre dans un silence.

“Vous avez trop d’espoir pour moi, je ne suis sûrement que stupide.”

Des lettres sur les lèvres qu’il n’arrivera peut-être pas à lire, des mots qu’on pense terriblement et qu’on ne met que sur le dos de sa propre naïveté -car elle espère vraiment ne jamais laisser Altaïr dans l’obscurité.

Il abaisse le tissu sur sa peau, cache le marchandage du bout des doigts et Guenièvre se demande, elle se le demande bien ce que ces doigts peuvent être sur la peau. Alors elle hésite, prend la main car Guenièvre refuse qu’il ne se voit que trop sale pour son toucher. Elle laisse les doigts courir sur cette paume, ce poignet laisse la main choir dans la sienne, laisse ses doigts frôler son poignet à elle, si pâle, si doux sous la rugosité de ses doigts maltraités. C’est trop intime, trop délicat, provocateur presque quand elle se fait sainte, offre sa main, sa peau même un court instant si cela peut offrir un peu d’humanité à Altaïr.

Et elle ne retire pas sa main, écrit de l’autre pour mieux tendre le carnet avec un sourire délicat, un peu gêné.

“Oui, partenaire de lecture. Mais comment pourrais-je vous faire sortir d’ici si je ne me soumets pas à leurs codes ? C’était indélicat de ma part, c’est cela ? De vous marchander comme ils le font. Pardonnez-moi.”

Pardonnez-moi pour tout. Car égoïstement, Guenièvre offre sa tendresse sans même réaliser la douleur qu’elle peut être.