La lassitude s'était soudainement emparée de lui, avait langui son cœur et calmé ses ardeurs - il avait eu besoin de faire une pause, fatigué des vieux papiers, des livres poussiéreux et exaspéré par ses recherches qui n'avançaient pas. C'est en poussant un léger soupir qu'il avait quitté son bureau, puis il s'était dirigé vers la tour d'Astrée en sortant, espérant que sa petite virée nocturne lui changerait les idées.

Un vent léger soufflait, tard le soir - faisait danser le peu de végétation se trouvant aux alentours. Il balayait les nuages au fur et à mesure que le temps passait et c'est finalement sous un ciel presque épuré que Callum s'était retrouvé en arrivant en haut de la tour, dont le toit était ouvert.

Il ne s'attendait pas à trouver quelqu'un d'autre dans la salle désormais vulnérable aux aléas de la météo - et c'était justement pour cette raison que le mage appréciait venir ici la nuit, préférant le calme et le froid du soir aux complications du jour. Les yeux restent un instant bloqués sur le trône où il s'était tant de fois assis, puis ils se concentrent à nouveau sur la silhouette désormais familière une fois qu'il s'était assez approché pour pouvoir la reconnaître.

— Bonsoir, maître Jeremiah.

Le ton, solennel et respectueux, trahissait presque l'admiration qu'il lui portait ; mais Callum n'était plus un enfant et la lueur émerveillée qui brillait dans ses yeux autrefois avait été remplacée par une grande considération. Mais le mage se montrait toujours enthousiaste lorsqu'il apercevait le vétéran - ses réactions l'embarrassaient toujours après coup. Il était censé maîtriser ses émotions, les cacher aux autres ; mais Jeremiah faisait partie des rares personnes auprès de qui il était incapable de se montrer imperturbable.

—  Vous n'arrivez pas à dormir ?

Son regard divague vers le ciel alors qu'il se positionne près de son aîné
- et, l'espace d'un instant, il oublie sa frustration et la raison de sa venue ici.
Son œil capture quelques étoiles filantes et il réalisa soudainement que
lui aussi, il n'était que de passage.

Il lâcha un sourire, se rendant compte qu'il était plus heureux qu'il ne le pensait et se sentit chanceux de croiser son aîné ici, à une heure aussi tardive - les sentiments de ce genre il pouvait les dissimuler, mais pas les réfréner : le cœur se gonflait d'émotion malgré lui.

Le vent avait définitivement chassé les quelques nuages qui se trouvaient dans les cieux, et la lune éclairait la tour et ses environs de sa clarté blanche. Callum songea qu'il avait définitivement bien fait de venir ici au lieu de rester enfermé dans son bureau, à se morfondre face à son impuissance et ses faiblesses.

— Vous avez raison.

Il ne se trouvait ni trop loin, ni trop près ; encore un peu timide à l'idée d'exprimer son affection d'une quelconque manière, ou effrayé à l'idée de le déranger, malgré le fait qu'il connaissait Jeremiah depuis plusieurs années. C'est qu'il ne savait ni trop comment faire, ni comment l'affirmer - il était seulement capable de lui témoigner son plus profond respect.

— Oh... Eh bien, j'ai eu besoin de faire une pause dans mes recherches.

Et puis il y eut l'envie soudaine de lui lâcher ce qu'il avait sur le cœur - il voulait entendre ses paroles rassurantes, désirait presque avec désespoir qu'il apaise ses doutes et qu'il réconforte son âme. Il n'en pouvait plus d'avoir l'esprit si agité ces derniers temps, et admirait le mage de feu pour ses conseils avisés et sa bienveillance.

— Mais il m'arrive bien souvent de rester éveillé pour d'autres raisons.

Alors qu'il avait le regard baissé au sol, son œil fut attiré par quelques feuilles près de ses pieds, et d'un simple geste de la main, il les fit tourbillonner et monter à sa hauteur, pour les envoyer ensuite par-dessus le rebord de la tour, leurs silhouettes miniatures venant se mêler au clair de lune.

Tandis qu'il les regardait s'envoler au loin l'air peiné, il libéra enfin ses pensées dans un léger soupir.

— Maître Jeremiah, je... Malgré ce que vous pensez, je ne sais pas si je mérite vraiment mon titre. J'ai l'impression de ne pas en être digne, malgré tous mes efforts. Je crains également que bientôt, quelqu'un de plus doué que moi ne se montre - que ce soit demain ou dans dix ans, peu importe. Parce que cela arrivera bien un jour, j'en suis certain.

Callum rejetait systématiquement le mérite lié à ses efforts et ses entraînements - ne se sentait tout simplement pas légitime.
Il était cependant déterminé à remplir son devoir et assumer ses responsabilités ; mais il était persuadé que cela n'était que temporaire, jusqu'au jour où une personne véritablement douée ne le remplace
- le jour où il perdrait tout.

Il se rapproche alors, rassuré par l'autorisation - ou plutôt l'invitation, et rétorque ses pensées sans agressivité au maître - le ton reste cependant ferme, sans que le mage ne cherche à se disputer avec le vétéran. Leurs points de vue étaient tout simplement différents, et Callum aurait aimé pouvoir faire preuve du même optimisme que Jeremiah.

— Non, être le meilleur a son importance. Pas vraiment pour moi, bien sûr ; mais me retrouver dépassé par quiconque risquerait de décevoir plus de personnes que vous ne le pensez. Qui sait, me retrouver déchu de mon titre pourrait peut-être même vous dépiter également?

Il se demandait souvent si il parviendrait à tenir le rythme - à s'améliorer, encore et toujours plus, même des années après ; sa basse estime de lui-même l'empêchait de reconnaître ses mérites et il redoublait d'efforts chaque jour, persuadé qu'il pouvait faire plus. C'était l'impression de ne pas mériter son statut qui le faisait travailler autant et, dévoré par sa frustration et son impuissance, Callum ne se rendait nullement compte que son côté perfectionniste faisait qu'il se négligeait.

S'il venait à être destitué, il n'aurait aucune idée de ce qu'il ferait : ses parents l'abandonneraient sûrement pour de bon, deviendrait au passage la honte de sa famille - mais l'avis de ses géniteurs et de leur ascendance lui importaient peu. Ne plus les revoir serait loin d'être une mauvaise chose, et le jeune se montrait plus inquiet quant à ses aspirations. Se retrouver dénué de toute ambition et vivre dans la nostalgie et l'amertume des temps passés l'effrayait.

— J'ai l'impression d'avoir toujours vécu avec la magie. Me retrouver arraché de cet univers serait trop troublant pour moi. Vous dites que cela n'est qu'une étape, mais qu'en est-il réellement ? C'est angoissant de ne pas savoir ce qui nous attend.

Callum ne savait pas exactement pourquoi il lui disait tout cela : le cœur était bien lourd et la langue se déliait plus facilement en sa présence, les pensées débouchaient en mots et en phrases sans qu'il n'ait à réfléchir à ce qu'il devait s'abstenir de dire et de ce qu'il pouvait s'autoriser à lui confier.

Jeremiah était là, tout simplement, à son écoute - se montrait plus attentif et bienveillant que n'importe qui d'autre jusque-là. Et il était parfois bien agréable de se sentir assez estimé pour qu'on daigne bien l'entendre soupirer.

Avoir l'esprit ébranlé par ces angoisses jour et nuit était épuisant, et Callum préférait se plonger dans ses recherches plutôt que de devoir faire face à ses démons. Les questions sans réponses le gardaient éveillé, et il craignait les nuits longues sans sommeil où les rêves renonçaient à venir le bercer.

— Mais qu'importe mes troubles, je dois accomplir mon devoir. Et je suis désolé de vous déranger avec ces pensées futiles, Maître. J'ai bien honte de vous embêter avec mes problèmes, alors que vous avez sûrement les vôtres à régler. Vos paroles ont beau me rassurer, votre esprit doit être également troublé lui aussi parfois, non ? N'est-ce pas la raison pour laquelle je suis tombé sur vous ce soir ?

Les mots du mage viennent lui ébranler le cœur ; et c'est tremblotant d'allégresse qu'il vient se gonfler sur le moment, entre deux éclairs douloureux - parce qu'il pense ne pas mériter ces louanges. Callum avait beau travailler et étudier jours et nuits, pour s'améliorer et enrichir son savoir, rien n'y faisait ; jamais il ne penserait mériter sa place et, au fond, il ne cherchait que l'approbation des plus sages - en particulier celle de son aîné.

Enchanté que Jeremiah ne puisse bien distinguer son visage rougissant d'embarrassement dans l'obscurité, le jeune va appuyer son dos contre le fond de son siège à son tour, le regard ne décrochant pas du ciel étoilé. En temps normal il n'aurait cessé de frissonner dans ce froid, mais discuter de ses angoisses avec le vétéran semblait faire oublier à son corps toute basse température extérieure.
Ce soir, c'est le cœur qui se glace.

— Je vous comprends, Maître. Moi aussi, il m'arrive de douter ainsi, de me demander si les bons choix ont été faits on si nous avons simplement regardé un royaume courir à sa ruine. Mais ce qui est fait est fait et ni vous ni moi ne pouvons altérer ce qu'il s'est passé.

Callum partageait les mêmes frayeurs languissantes que Jeremiah, et les mêmes regrets lancinants ; ceux d'avoir vu l'Ordre des Mages rester inactif lors du conflit qui, au final, a quasiment éradiqué tout un peuple. Il n'était même pas mage primordial il y a trois ans de cela et pourtant, il déplorait encore la nation qui n'était plus que ruines et désolation aujourd'hui. Mais, bien qu'il soit attristé par l'anéantissement de la population briserunienne et toute la haine qui a pu émerger de ce conflit, il ne pouvait rejeter la faute sur qui que ce soit - il y avait eu plusieurs acteurs majeurs dans cette catastrophe, et la rébellion de Briserune en avait elle-même fait partie. Mais aucun soulèvement ne pouvait justifier un tel massacre, et Callum ferait n'importe quoi pour éviter qu'un désastre similaire ne se reproduise.

— Il est donc de notre devoir de réparer les erreurs passées.

Sa voix n'est plus qu'un murmure pensif tandis qu'il songe d'un air absent aux problèmes actuels.

— Je désapprouve également certaines pratiques de l'Ordre. Mais la magie peut semer le chaos ou répandre la paix selon la personne qui l'utilise, et il est bien compliqué de déterminer qui mérite de s'en servir. Je ne sais pas si nous avons plus le droit que quelqu'un d'autre de prendre ces décisions, mais pouvons-nous prendre le risque de briser l'équilibre établi en changeant les choses ? Il en a toujours été ainsi, et la magie sert avant tout à protéger les autres, avant de servir les intérêts personnels. Je partage votre appréhension, Maître, mais si l'Ordre devait s'écarter du droit chemin, nous serions là pour rétablir les choses comme il se doit.

Ou du moins, il l'espérait.