Cette forêt avait été, autrefois, son lieu de prédilection pour la méditation. Quand son corps se remettait des affres de la guerre et que le cœur tambourinait bien trop fort de la crainte de perdre sa famille d'adoption en plus de celle du sang. Il se revoyait, des années auparavant, à s'asseoir au pied des arbres, à laisser le champ du vent dans les feuillages apaiser ses pensées troublées. Il se revoyait, réapprendre à marcher après des semaines sans bouger, réapprendre à écouter, à interagir avec le monde autour de lui. Il avait passé tant d'heures, ici, à imaginer le pire et le meilleur. Trop faible pour partir, mais trop en forme pour rester alité. Le détour par ces bois avait été son petit caprice. Après avoir vu Aleina, Jasper avait souhaité revenir à cet endroit particulier, s’imprégner des sensations d’avant pour mieux faire le point sur l’après.

Ô, ça n’avait pas été des plus raisonnables. Son sens du devoir lui avait intimé de rentrer au plus vite à Roserai, mais un égoïsme plus intime lui avait dit de s'octroyer du temps. Nul ne sait quand il pourrait de nouveau se payer le luxe de la solitude. C’est que depuis son retour à la cour, Jasper avait compris que si le manque de vie lui pesait, sa surabondance aussi. On peinait à trouver des lieux de calme au palais. C’était l’occasion, juste une poignée d’heures, pour se ressourcer, faire le point, respirer et repartir ensuite, car il y avait encore beaucoup à faire et une vie n’allait pas suffire.

Il avait marché longtemps, Jasper, tant et si bien qu’il que la forêt avait pris un visage qu’il ne connaissait pas. À la fois intrigué, mais inquiet quant au fait de ne pas retrouver sa route, il avait fini par trouver ta maison. Cette cabane plantée au milieu de nulle part l’avait fasciné. Il s’était demandé qui avait bien pu élire domicile aussi loin de la civilisation. Un ermite, un réfugié peut-être ? C’est alors qu’il te voit au détour de la maison, sur le coup, il ne te reconnaît pas. Cela faisait bien trop longtemps. Cela était trop improbable. Ce ne serait pas la première fois qu’il voyait les traits des disparus dans ceux des inconnus. Un peu confus, quand lui, immobile, croise ton regard. Tu ne dois pas recevoir de visiteur et lui ne s’attendait pas à croiser les traits vagues d’un visage dont il pensait connaître le nom.

— Excusez-moi, vous m’avez rappelé quelqu’un, je ne voulais pas vous mettre mal à l’aise.