La fête de la magie approchait et même si tu n'avais aucune idée de ce que cela signifiait, tu étais déjà enthousiaste à l'idée d'un rassemblement. Tu n'avais aucun souvenir d'avoir jamais célébré quelque chose, et la chambre de Nathanael devenait morose jour après jour.

Tu t'étais téléporté dans le grand couloir du château, passant une main dans tes cheveux en signe d'occupation de l'espace. La salle du trône, vide comme à son habitude, avait des allures de podium. Tu t'étais installée sur l'immense chaise, la tête accoudée sur un des accoudoirs. Rapidement, l'ennui revint gangrener tes pensées. Il n'y avait rien à faire et tous les gens que tu avais croisé étaient insipides.
Cela ne faisait que quelques jours que tu étais là (à peine) que tu avais déjà fait dix fois le tour du domaine.

Quelqu'un entra et tu relevas le menton, jambes croisées. Tu avais toisé l'intrus, un léger sourire sur le visage.

— « Ola, inconnue ! »

Tu avais tapé dans tes mains pour attirer son attention sur toi, malgré le fait que tu étais la seule personne (hormis elle) présente dans la salle.
Tu n'étais pas le roi mais tu t'étais improvisé reine du jour. Qu'es-ce que cela signifiait, d'ailleurs ? Pourquoi personne ne revendiquait cette place ?

— « Bienvenue dans mon Royaume ! Prosternez-vous devant la Reine ! »

Pourquoi semblait-elle te connaitre ? Pourquoi s'adressait-elle à toi aussi familièrement ? Tu fronças les sourcils pour la dévisager en silence, puis levas les yeux vers le ciel, l'attention absorbée par une pensée autre et passagère.
Tu jouais avec tes boucles en rêvant à des desseins chaotiques, lui donnant l'impression de l'ignorer alors que tu te repassais ce prénom en boucle.
Lucrecia, Lucrecia, Lucrecia.
Quel joli nom.

— « Sais pas. Lucien ? Lucre quoi ? Connais pas. »

Tu t'étiras sur le trône, les deux bras derrière la tête et te permit même de bailler. Pourquoi étais-tu là ? C'était une question pertinente et tu n'avais aucunement la réponse. Tu te levas du siège, et restas figée devant celui-ci.

— « C'est quoi un Roman ? Comme le livre ? »

Comme celui que Nathanael refusait d'ouvrir avant de dormir ?

Tu ne souriais déjà pas mais l'envie de rire s'était évanouie dans l'air. Tu avais observé un ange passer, battant des cils dans le silence, bercée par le chaos qui grondait dans ton coeur. Il fallait qu'elle se taise, et rapidement.
Elle n'avait pas le droit de t'inventer une vie, de prétendre croire quand elle ne savait rien, quand TU ne savais rien.

Tu avais affronté son regard, le corps flasque et les épaules tombantes. Elle ne répondait pas à la question.
Qu'est-ce qu'un Roman ?
Et ça t'avait donné envie de crier.

Alors tu avais crié.
Tu avais poussé un hurlement strident à en faire trembler les lustres, à faire s'éteindre les torches. Et les ombres avaient escaladé les murs pour venir étouffer la lumière, pour venir enserrer ton âme.
Tu avais disparu dans le noir, pour réapparaitre derrière elle. Tout lâcher. Et crier dans ses oreilles alors que tout son corps se tordait déjà de douleur.

— « QU'EST-CE QU'UN ROMAN ????! »

Roman, Roman, Roman.
Un prénom qui te hantait encore tant il ne te disait rien, mais faisait si mal. Tu t'étais arraché le coeur, avait catapulté ta douleur dans les ombres qui grignotaientt les murs, avalaient l'espoir dans la lumière.
Tu avais projeté tout tes maux dans un cri, dénué de mots. Et quand finalement tu avais formulé ta question, tu n'avais pu en saisir l'absence de sens.

Tu te calmas, épuisée. Tes pouvoirs s'évanouirent aussi vite qu'ils étaient apparus et tu libéras Asteria de leur emprise.
Tu la laissas retomber à tes pieds alors que tu la surplombais - cruelle et impitoyable reine de ton impiété.

— « Arrêter quoi ? »

Ton visage affichait maintenant une moue fatiguée et doucement tu te mis à genoux pour t'allonger à côté d'elle, roulée en boule.
Tu ouvris la bouche pour bailler.

— « Je crois que j'ai trop forcé. »

Tu avais fermé les yeux pour te murmurer une berceuse, prête à t'endormir - le sourire aux lèvres - et à rejoindre le pays des rêves.
Qui étais-tu, Lux ?
Tu étais Lux.

Alors tu ouvris les paupières, braquant ton regard dans le sien pour soutenir cette affirmation irrévocable.

— « Lux. »

Tu te redressas pour tenir sur tes coudes, les jambes toujours allongées sur le tapis rouge. Cette salle n'était plus ton podium mais la scène d'un crime.
Lucrecia n'existait plus et Asteria Caterna l'avait enterrée pour de bon.

— « Toi, tu es Asteria. »

Tu l'avais entendu dans ses pensées.

— « Tu aimes bien ce Roman. »

Et ça tu l'avais deviné.

Dans ta tête, c'était l'apocalypse.
Et pourtant, ton visage ne trahissait aucune expression chaotique. Tu demeurais éteinte, un sourire doux au bout des lèvres. Tu étais à deux doigts de t'endormir, en réalité. C'étaient les pensées d'Asteria qui te tenaient éveillée.

— « Caterna. J'ai déjà entendu ce nom là au palais. »

Tu avais haussé les épaules comme si ce détail n'importait que peu. Ton attention essayait vainement de se détourner du centre de la conversation : Roman.
Qui est Roman.
Comment est Roman.

— « Charmant ? »

Tu ne veux pas le rencontrer. Tu veux retourner dans ta chambre et que Nathanael s'occupe de toi. Tu veux être une Reine et avoir des tonnes de serviteurs. Tu veux conquérir Malronce tout entier. Tu veux qu'on tombe amoureux de ta beauté.
Et tu veux rencontrer Roman.

— « Qu'on l'amène ici ! Amène moi ce Roman ! »

Ton attention avait tout de suite dérivé, comme si la perspective de rencontre ce Roman était devenue futile. Tu ne restais jamais longtemps concentrée sur la même chose, uniquement sur ce qui pouvait te procurer du plaisir.
Et la perspective de cette fête t'avait rempli de joie.

— « Ooohh ! La fête de la magie. J'ai si hâte. J'espère que cet idiot de Nathanael m'achètera une robe pour l'occasion. »

Ce n'était pas comme s'il n'avait pas le choix.
Tu avais étiré un sourire carnassier, tes yeux pétillaient d'une envie presque malveillante. Ce n'était pas normal, tu n'étais pas normale. Mais tu te comportais comme si tout l'était et comme si on te devait tout.

— « Bien-sûr que je serais là. Maintenant, c'est ici chez moi. »

Tu ne sais même plus où tu étais avant. Tout ce dont tu étais sûre, c'est que tu ne voulais pas y retourner.

— « Enfin il va se passer quelque chose. Les gens sont si ennuyeux ici. »

Tu jubilais silencieusement Lux. Tu étais synonyme d'heureuse car on s'occupait de toi, on te posait des questions - quand d'habitude Nathanael faisait tout pour éviter que tu lui parles. Bien sûr, tu bavassais, pour le faire désespérer.
Tu ne savais pas comment interpréter le fait que cette femme s'intéressait à toi, ni sous-entendre la bienveillance dans ses questions.
Tu ne la visualisais que comme un divertissement suffisamment intéressant.

— « Oui. Nathanael Mayor m'accompagne. »

Tu l'avais corrigé sans même t'en rendre compte.
Tes yeux s'étaient élevés vers le plafond et tu avais continué de chantonner, presque murmuré comme une ode au sommeil abandonné.

— « Je me suis invité chez lui bien sûr. Nous partageons tout lui et moi. »

Tu avais tiré la langue, et les ombres dansèrent de nouveau sur les murs.
Inquiétantes.

— « Il ne se risque pas à me refuser quoi que ce soit. Il a une dette envers moi. »

Est-ce que tu étais sûre de pouvoir lui faire confiance Lux ?
Tu ne savais pas ce que cela signifiait. C'était trop vague, trop instable, comme une vague.
Et dans ton coeur c'était le naufrage Lux.
Les larmes montent alors que tu éclates de rire. Tu mélangeais tes émotions, à la dérive après avoir volontairement renversé le navire.

— « Tu es bizarre. »

Tu t'étais rallongé sur le sol, les bras bien collés le long du corps et tu avais tourné la tête pour la fixer droit dans les yeux.

— « Si je meurs, il meurt. Il ne me trahira pas. »

Tu avais ricané, dans une montée de confiance en toi. Tu croyais en chacune de tes paroles, c'était ce qui te rendait dangereuse.

— « Quand est-ce que tu m'apportes à boire ? »

Tu estimais que c'était bien de se méfier de tous le monde.
Toi tu ne te méfiais de personne, tu t'en fichais de tous le monde. Eux se méfiaient sûrement de toi, mais c'était fait exprès. C'était prémédité. Cette Asteria était curieuse et sans même y réfléchir tu lui balançais toute ta vérité au visage - sans avoir l'idée de la protéger.

— « D'accord. »

Tu fermas les yeux, tendant la main comme pour recevoir ton verre d'eau tant attendu. Tu avais soif, et ce n'était pas arrivé depuis une semaine.
A son refus, tu tressaillit, rouvrit un oeil pour la jauger en silence. Et le rictus mauvais aux lèvres, tu avais murmuré :

— « Est-ce que tu veux avoir mal de nouveau, Asteria ? »

Tu te mis à crier.

— « JE VEUX MON EAU OUIN »

C'était tellement agréable. Quelqu'un qui cédait sous la menace. Tu n'avais pas besoin de hurler, pleurer, taper du pied comme avec Nathanael.
Tu n'avais pas besoin de frapper comme parfois tu pouvais le faire, comme si tu te débattais - folle à lier, folle alliée - avec tes propres pulsions.

— « Oh merci ! »

Tu t'étais redressée pour te placer en tailleur, portant le verre à tes lèvres pour déguster le breuvage. Tu manquas de t'étouffer et te pinças l'arrête du nez.

— « Beurk, trop chaude. »

Et tu jettes le verre à l'autre bout de la pièce, le contrôlant par télépathie pour qu'il s'écrase contre le mur en mille morceaux.
Tu tenais ta tête, les coudes sur les genoux.

— « Hm ? J'y pense, c'est tout. J'ai envie de faire du mal et mon esprit obéit. »

Tu l'avais avoué avec légèreté, ce besoin de faire souffrir l'autre - car tu souffrais seule dans ton monde en noir, Lucrécia.

Tu te tenais toujours la tête, la balançant. Mais tu prenais surtout la tête, indubitablement. Tu n'avais pas conscience d'être aussi insupportable, car tu étais seulement intense, dans tes émotions comme dans tes instincts.
Tu ne te souciais pas des conséquences, tu embrassais la vie de délinquance que l'impunité t'offrait.

Tu soufflas sur tes mèches blondes qui venaient s'échouer devant ton visage, ennuyée par la conversation.

— « Depuis toujours. »

Depuis ta renaissance, mais depuis quand réellement ?
Tu n'avais aucun souvenir d'une vie avant. Tu existais, seulement.

— « Pourquoi tu veux tout savoir, comme ça ? »

Tu perçus encore ce prénom dans ses pensées.

— « Tu vas aller tout raconter à Roman ? »

Tu t'ennuyais de plus en plus Lux. Désintéressée. Le nom de Roman s'était envolé comme si ton coeur mort et silencieux n'était pas prêt à l'écouter. De nouveau.
Pour battre. A nouveau. Roman était ce point de côté.

Tu en avais assez Lux, de faire la causette avec cette femme qui ne t'apportait plus rien si ce n'est un grand vide dans la poitrine. Tu en voulais rien d'elle présentement et cela te dérangeait. Comme un cadavre articulé, tu t'étais levé, tu avais trainé ta carcasse à coté d'elle pour la frôler (la bousculer).

— « C'est mon château. »

Tu avais articulé, comme possédée d'une conscience qui n'était plus la tienne.

— « C'est mon royaume. »

Tu te dirigeas vers les portes, tournant au dernier moment pour sortir de la salle.
Adieu, Asteria.