Les larmes coulent puisque la pluie pleure. On n’entend pas les cris à travers le grondement de la foudre et le vent qui frappe les vitres. Elle ne s’aurait dire, cet instant, si les cris était une supplication fasse à la douleur qui traversait son corps ou celle qui traversait son cœur.

Les guérisseurs, pourtant, étaient venus, avaient soignés les plaies et réparés la chair calcinée.

C’est en regardant la pluie pleuvoir, les yeux fixant les abysses à travers la fenêtre de la chambre, qu’elle avait fini par réaliser tout ce qui était arrivé. Elle était restait amorphe pendant une semaine, une parenthèse dans sa vie qui venait de se fermer et de laisser la réalité reprendre son cours.

Elle avait tout perdu. Elle avait perdu ses parents, ses frères, son rang, et il n’en faudrait sûrement pas plus pour qu’elle y perde la vie.

Pourquoi, d’ailleurs, était-elle toujours de ce monde ? Pourquoi n’avait-on pas mit fin également à son existence ? Ne représente-t-elle pas un danger ? N’est-elle à ce point…
Qu’un rien ?
Qu’une poussière infime qu’on ne prend pas même la peine de débarrasser ?

Puis elle se remémore, les explosions de magie, l’odeur du sang, les hurlements de douleur, ses propres hurlements implorants qu’on lui rende sa famille, les flammes qui lèchent la peau alors que le corps de son père tombe inerte.

Elle avait tout perdu.

Le choc, le déni, elle finit submergée lorsqu’elle accepte enfin que tout ce qui est arrivé, toutes ces images qui ne ressemblaient qu’à un mauvais rêve, fasse maintenant partie de son histoire, et qu’elle ne pourra plus jamais rien faire contre ça.

Elle n’entend alors pas, dans le tumulte de son cœur souffrant et de la nature déchirée, la porte de sa chambre s’ouvrant sur le tableau le plus pathétique qu’une princesse puisse offrir.

Oh. Mais elle n’est plus une princesse maintenant, n’est-ce pas ?

C’est un corps qui tombe à ses pieds, un corps qu’elle n’a eu dans son champ d’attention qu’à la dernière seconde, un mouvement brusque qui ne lui a même pas arraché le moindre sursaut. Elle n’a plus l’énergie pour ça déjà.

C’est un corps dont elle n’a pas reconnu tout de suite l’origine, une voix qui s’apitoie alors qu’encore les larmes fondent le long de ses joues sans qu’elle ne comprenne la scène se jouant face à elle.

La voix s’exprime, parle à une vitesse dure à suivre pour elle, évoque les autorisations, les complications, le château. C’est vrai qu’elle vit dans un château, un beau et grand château, comme ceux dans les contes, qui a finit dévoré par les flammes.

Puis le corps relève le regard pour croiser le sien, et elle reconnait, Diane, sous cette chevelure de jais, les pupilles brillantes de l’étoile guidant ses nuits noires.

Mais les pupilles cette fois ne brille pas de grandeur mais de larmes.

L’élastique éclate, les larmes de tristesse, de douleur, se muent en larme de colère. Elle n’accepte pas que face à elle, ceux qu’elle aime souffre.
Tu n’as pas le droit de lui montrer ce visage rougit, elle ne veut pas entendre cette voix paniquer, elle ne veut pas te voir à genoux toi qui a toujours été si grande à ses yeux.

Asteria !

Le timbre tiraillé encore par les pleurs, un cri soufflé entre les lèvres pâles.

Asteria, comment vont-ils ?

Puisqu’il n’est déjà plus question d’elle, plus question de savoir si elle est en bonne santé, si elle va bien. Elle respire alors il n’y a pas à s’inquiéter, mais dans sa parenthèse, elle n’a aucune idée de ce qu’est devenu le reste de sa famille.

Uriel, Clovis… Iphigénie, Prudence ! Comment vont-ils ?

Uriel était blessé mais peut-être n’est-il pas mort. Peut-être que les guérisseurs ont su le guérir lui aussi. Peut-être que l’oppresseur a été repoussé, peut-être que tout va bien. Peut-être même que son père est toujours de ce monde. Peut-être que le cauchemar a prit fin.

Peut-être, elle s’accroche à ces peut-être comme si c’était la dernière ligne de vie qui maintenait sa santé mentale au dessus du gouffre.

Ils sont morts, Diane. Ils sont tous morts.
Ce ne sont pas les mots utilisés mais les mots qu’elle entend. Parce que si elle était sa dernière lumière d’espoir, elle sait maintenant qu’il n’y a plus rien. Elle ne ment pas, ces mots, elle sait qu’elle les a déjà entendu. Sûrement que son cœur a oublié -c’est qu’il fallait se protéger- mais l’écho qui subsiste en réponse aux paroles d’Asteria la conforte dans cette idée.

Il n’existe plus de peut-être pour Diane.

Les cris ne sont plus. La panique, les inquiétudes, la voix décharnée. Tout ça a disparu. Elle redresse le dos, elle aussi, pour imiter la posture droite de son amie. Elle l’a écouté parler sans l’interrompre, guidé par l’air sérieux qui dessinait les traits de son visage. Elle redresse le dos, et redresse la tête.

Je sais.

C’est sa seule réponse, la seule réponse acceptable qu’une princesse, fût-elle ancienne ou actuelle, puisse produire. Elle essaye de réunir les informations qui lui tienne à cœur : ses sœurs vont bien, Asteria va bien, elle-même est en vie.

C’est suffisant. Largement suffisant. Jamais assez mais suffisant. Demander plus serait de l’ordre de l’égoïsme.

Malgré le dos droit et la tête levée, les lèvres sont tirées, les yeux brillants. Elle doit contenir alors elle contient, mais l’épreuve est dure. Elle doit faire bonne figure, ne plus se laisser aller à ces spectacles honteux. Elle doit avoir l’air fière, douce lorsqu’elle retournera voir ses sœurs, les pauvres qui ont dû affronter ça sans elle.

Si tous ces faits sont clairs pour elle, rien pourtant n’y fait. Le dos lâche, la tête s’échappe contre les genoux, les doigts serrent le drap comme s’ils ne pouvaient plus jamais s’attacher à rien. Et les cris reprennent. Et la panique, l’inquiétude, la voix décharnée. Elle n’était pas assez forte pour tout contenir.

Dans un mouvement découpé, elle finit par tout jeter, sa dignité et son bon sens. Son corps encore épuisé se détache du lit, titube sans même prendre en compte les éléments sur son passage, sans même un regard pour cette amie à ses côtés.

Je vais la tuer.

Ce sont les paroles qu’elle crache lorsque sa main vient enserrer la poignée de la porte. Le sang appelle le sang, même pour une âme aussi douce que celle de Diane.

Son sang ne coulera pas non.
Pas le sien.

No, this has to stop now.
This thing where you think that you've been my friend.
Cette petite voix qui éclate au dessus des réminiscences de hurlement qu'elle entend encore. De plus en plus fort, les cris de souffrance de son père, de sa mère, d'Uriel. Elle qui avait tout vu mais qu'on avait empêché d'agir.

Les princesses ne doivent pas se mettre en danger. Les chevaliers, la garde est la pour ça. Pour les protéger.

C'est ce qu'elle fait maintenant, Asteria. Elle la protège d'une mort certaine, fait face pour l'empêcher d'ouvrir la porte et de courir à la fin de la dynastie Vaudreuil. Elle est là, maintenant.

Où est-ce que tu étais ?

Elle n'hausse pas le ton, reste calme. Elle n'ose pas encore croiser son regard, préfère fixer le vide entre elle et la porte et sentir la poignée se réchauffer dans sa main.

Puis les yeux se relève et confronte.

Où est-ce que tu étais quand tout ça est arrivé ? Tu n'étais pas censée les protéger eux aussi ? Pourquoi tu es vivante alors qu'eux sont morts ?!

Non Diane.

Ce n'est pas contre elle qu'il faut tourner ta colère, et tu le sais. Mais pourtant elle ne  pas contenir, il y a une douleur qu'elle a tue pendant trop de jours et qui doit éclater en même temps de que l'orage.

Douce, douce Diane, à la fin du jour tu n'es finalement qu'un être humain, et les douleurs doivent être affrontées. Mais les excuses silencieuses que tu présentes à ton amie ne sont pas assez fortes pour recouvrir tout ce que tu ressens.

Où est-ce que tu étais Asteria ?!

Autant de rage que de désespoir, les jambes tremblent et la force s'amenuise.

Elle ne comprend pas, Diane. Elle ne comprend pas car c'est le première fois qu'elle gronde ainsi. Elle pensait, comme elle le lisait dans les livres, comme elle le voyait par la fenêtre, que la colère amenait la colère.

Elle était prête à recevoir celle d'Asteria en retour. Elle pensait avoir besoin de cet échange, de cette confrontation, de ces flammes qui la brûlaient encore.

Elle pensait devoir avoir mal pour oublier sa douleur.

Le feu par le feu.

Pourtant Asteria ne lui offre pas de résistance, et c'est dans la lumière de ses yeux qu'elle accepte de ne pas avoir choisi le bon adversaire. Ce n'est pas elle qui doit subir ses foudres.

Si tu veux me le faire payer, je l'accepte.

Tu as failli à ta tâche, Asteria.

Tu as échoué et maintenant la famille royale pleure. Elle sait, Diane, que tout ne peut pas reposer sur tes seules épaules. Tu n'étais pas l'unique protecteur du château. Mais il n'y a que l'amour qu'elle te porte qui lui permet de te pardonner.

Tu n'étais pas là.

Personne n'était là. Où ceux qui y étaient sont morts maintenant.

Si elle y était aller sûrement serait-elle morte maintenant, et sûrement qu'elle serait seule, qu'elle aurait passé cette porte, et qu'elle aurait été droit vers sa fin.

La pluie reprend, les vagues de tous ces sentiments, toutes ses pensées, mélangées dans une cacophonie assourdissante.

Elle est perdue dans la tempête.

Repose toi. La guerre viendra plus tard.

Tu m'aideras... Hein Asteria… Tu m'aideras quand le temps sera venu ?

Tu ne l'abandonneras pas cette fois, n'est-ce pas ? C'est le désespoir qui parle mais il a besoin d'un soutien, et tu es le seul qui lui reste aujourd'hui.

Un roc. Si Diane voulait taper dans quelque chose sans attendre rien en retour Asteria était le candidat idéal. Mais ce n'est plus ce qu'elle veut, plus ce dont elle a besoin, et Asteria ne mérite rien de ce qu'elle lui fait subir.

Ou peut-être méritait-elle mais pas de sa main.

Ou peut-être que si ?

Avait-elle ce droit, Diane ? En tant que princesse oui, mais pas en tant qu'amie, et c'était de l'amie dont elle avait le plus besoin maintenant. Elle savait que le chevalier en blanche armure ne faillirait plus.

Elle sera là, elle promet, jure allégeance à nouveau à cette princesse déchue.

Non… Je suis bien plus faible que tu ne le crois.

Ses jambes se dérobent enfin sous elle, après bien trop de temps à la soutenir.

Rattrape la, Asteria. Tu as promis.

Elle a peur, elle a mal. Si elle avait été forte elle aurait surmonté, elle aurait été déjà aux côtés de ses sœurs. Si elle avait été forte, elle aurait défendu son père, défendu la couronne.

Jamais on ne l'a préparé à ça. Elle est dans un monde inconnu, un monde où tout ne se passe pas comme elle le voudrait, où les dirigeants deviennent les dirigés et où les têtes roulent au sol.

Elle était dans un cocon, Diane.

Raconte-moi ce qu'il se passe dans le château. Iphigénie, Prudence, sont-elles bien traitées ? Qui a revendiqué cette attaque ?

Elle était dans un cocon, Diane, mais le cocon s'est étiolé et il est temps pour elle de voir le monde comme il se présente à elle.

Il faut avancer et avancer vite si elle veut reprendre son pays.

Asteria, ou la patience d'avoir été jugée coupable injustement mais de soutenir -le regard et le corps- de celle qui avait rendu ce jugement.

Elle est là quand Diane tombe, parce qu'elle a promis et qu'elle n'a plus à faire de saut de l'ange pour savoir que quoiqu'il arrive elle sera là pour la rattraper.

Pardon Asteria. Pardon de t'en vouloir et pardon de te faire subir toutes ces faiblesses. Pardon pour les tornades, les hauts et les bas, les haines et les amours.

Du coup, elle écoute. Enregistre chaque mot, chaque intonation, ne cherche pas le mensonge mais tes propres sentiments. Elle n'ose plus demander mais : est-ce que toi, tu vas bien ? Toi qui as vécu la chute et qui subit ta culpabilité.

Elle hoche la tête. Antigone, c'est le nom de celle qui lui a tout pris. Les filles sont en sécurité, pour combien de temps qu'en sachons-nous.

Le sang est déjà sur ses mains, elle n'est plus à un cadavre près.

Si tu es encore en vie, c'est que tu lui es utiles aussi ? Quelles sont tes missions ? Selena est-elle parmi nous aussi ?

Elle veut savoir, elle doit savoir. Rattraper tout ce qu'elle a effacé et accumuler. Accumuler encore et encore toutes les informations possibles.

Uriel le disait toujours : le savoir c'est le pouvoir. Sa seule arme pour affronter Antigone Bathory.

-Mais Uriel est mort, n'est-ce pas ?-

Un petit rire, une percée de lumière entre les nuages noirs. La fin n’est pas encore là, parce que tant qu’on vit, on peut changer notre futur.

Ton existence a bien plus de valeur ça.

Elle n’est pas qu’utile, elle est celle qui tient la ligne de vie de l’autre côté du gouffre. Celle qui te tire et qui devra toujours te tirer vers le haut pour que tu puisses à ton tour aider ce qui en ont besoin. Elle est la seule, pour Diane, sur qui elle ose s’appuyer.

La seule sur qui elle peut s’appuyer aujourd’hui.

Elle se redresse, quand bien même son amie avait insisté pour la bercer, assise au bord du lit pour faire face. Elle ne se relèvera pas, pas d’inquiétude. La porte n’est plus son objectif principal. Toute proche, elle vient prendre le visage d’Asteria entre ses mains et colle son front contre le sien.

Tu dois devenir mes yeux et mes oreilles pour le moment. Alors fais attention à toi.

Ferme, royale. Pas une demande, ni un ordre, juste un fait. Car la famille Caterna sert la famille Vaudreuil et ne doit servir que la famille Vaudreuil. Car la garde doit rester debout si elle veut pouvoir un jour renverser la nouvelle tête injustement couronnée.

Car Asteria est la lance et le bouclier de Diane.

Merci d’avoir été là.

Pardon pour les coups de sang et les coups de larmes, pardon pour l’orage auquel tu as assisté, tu ne méritais pas ça. Mais Diane n’a plus le luxe, maintenant qu’elle a reprit ses esprits, de se laisser aller plus longtemps.

La guerre est une valse où le moindre faux pas entraîne la mort, alors elle ne peut se permettre d’avoir des temps de retard.