Le monde n’a jamais été pour elle. Le monde n'aurait jamais dû accepter son existence. Le monde, oui…

Le chaos résonnait dans son être comme des lames affamées d’elle, de sa raison et de ses sentiments douloureux. Le démon hurlait dans cette cacophonie morbide des supplications de plaisir sadique et Aleina existait. Elle existait face à ce moment saignant et ces femmes et ces hommes qui pleuraient ce destin horrible.

Aleina existait.
Aleina ne risquait rien.
Aleina n’avait pas le choix si elle souhaitait garder sa vie.

Mais un regard sur Antigone et elle vit sa force et toute le courage qui l’animait. Cette témérité frôle l’appel obstiné de la mort, mais elle n’allait pas mourir. Antigone était trop à mâcher pour la mort. Un sanglot se coince tandis que la vérité se noue. Aleina avance, sa terre natale saignait. Les cris des oubliés nourrissaient les charognes qu’on appelait Destinées. Antigone n’avait pas besoin d’elle. Antigone n’avait jamais eu besoin d’elle.

C’est dans cette contemplation que son regard glisse vers Lakhesis. Peu avait été dit entre eux, mais la savoir saine et sauve était un soulagement si pur que mille diamant n’était que brouillard à ses yeux. Un sourire se noue sur ses lèvres tremblantes. Le démon existait pour elles, le démon n’était qu’après tout un ange tombé.

Voilà que l’heure était venue, Aleina. Ses pieds foulent le sol, libérant chaque souvenirs tandis qu’elle devient plus légère. Oui, elle est désolée. Elle est désolée Aiden, elle est désolée maman. Elle est désolée Callisto. Elle est désolée Sybille, Elle est désolée futur “Toi” en “Elle”. La main se pose sur le ventre si plat de ses premiers espoirs.

Mais, elle a fait son choix.

Ses cheveux volent dans une partition funèbre et ses bras se lèvent. Si elle ne bouge pas, elle sera emportée. Si elle réussit, elle les sauvera. Aleina invoque ce vent primordial, ce qui existe encore en elle même si ce n’était qu’une forme bâtard de celui qui avait été toujours là pour elle. Une sensation se fomente entre ses doigts brûlants, elle avait le pouvoir. Le vent était là, elle le sentait. Aleina pouvait sentir pulser entre ses doigts la force de ceux qui étaient là avant elle.

Il était temps désormais. Renvoyant cette énergie, elle voulut créer une tornade. Un vent contraire suffisamment puissants pour rendre négatif la pression du vent créé par le démon. Le vent arrache les apparats inutiles de sa vie désormais, et dans ces tourbillons, Aleina pense.

“Dans une autre vie peut-être Aiden.”
“Je t’attendrai.”

Et malgré tout le courage, une larme s’échappe. Elle avait peur, elle voulait vivre. Indécision suintait et Aleina savait qu’il était trop tard désormais. Son destin était entre les mains de maison de dieu et son âme dans celle d’Aiden.

Chacun de ses souffles devient une légende, une chimère auquel elle s’accroche désespérément. Le monde devient sourd et seule sa volonté indéfectible subsiste, une force muette qui lui donne puissance capricieuse dans ses bras moites. La peur n’est que l’amie de trop le poids nécessaire, car celui qui ne sait pas a la force de tous les choix possibles et détruits. Dans ce court fragment où elle faisait son deuil d'elle-même, une pensée étrange lui vient.

“Regarde ta vie, Aleina.”
“Compte tes choix.”
“Qui as tu été pendant les 29 ans de ton existence ?”

La réponse se fait amère, elle n’a été personne. La poupée de son ascendance et de sa peur. Mais face à ce monde, face à ce monstre, elle a eu peur, elle avait accepté la mort. Mais avant de mourir, elle était vivante. Oui, Aleina n’a jamais été aussi vivante qu’au moment où son cœur allait être écrasé, ses poumons devenant une purée de chair et son enfant -oh bénédiction de cet homme- un ange envolé vers les cieux. Mais rien n’eut lieu, une poussée la prit et son corps fut jeté comme un misérable tas d’os. Retombant lourdement, les paroles du démons sonnaient comme une mélodie aussi douce qu’injuste. Comment ça ? Quel maître. Un hululement rageur glissait entre ses dents. Elle n’a été qu’une victime encore une fois. Mais le soulagement d’être en vie était le plus doux des alcools, posant une main tremblant sur son ventre, Aleina n’eut qu’un chuchotement bref

-Il semblerait que je vais devoir te donner la vie.

Les yeux se soulèvent, dévisageant avec une grande perplexité ceux qui avaient secouru cette terre désolée. Une femme qu’elle reconnut comme Dame Aurora Martell, gouverneuse de Grandvent, dans cette splendeur froide qui est la sienne et un homme connu comme le mage primordial de vent. Mais de tels personnages n'attiraient qu’un respect morne d’Aleina. Figures archaïques d’un temps dépassé, elle se concentrait sur ses camarades d’infortunes. Reine et Amie soudaine, un sourire se dessina sur ses lèvres tandis qu’elle vit l’impatience, et la force de Lakhesis envers son propre corps et sa propre existence. Oui tout allait bien. Tout ne pouvait que bien aller. Elles étaient en vie. Mais une pensée soudaine se dessina dans son esprit. Antigone. Aurora était là, voyant le visage nu de l’ancienne reine de Briserune.

Appuyant ses membres dans une tentative brusque de se lever, les joints criant à l’agonie des sens mais une volonté la prit et sur ses deux jambes désormais se dressait elle.

-Je vais bien Lakhesis, je vous dois la vie. Du moins, je le pense.

Sa voix sonnait différente, tremblante mais une certitude se dessinait à travers chacun de ses mots.

-Nous avons survécu, et c’est bien le principal.

Adressant une longue oeillade à Antigone, ses mots sifflant presque :

-Beaucoup de choses sont arrivées, il est temps d’en cacher quelques- unes.

Antigone devait fuir, son démon de compagnie avait un rôle à remplir et dieu seul savait ce qui allait arriver si Antigone venait à mourir. Mais avançant d’un pas chancelant vers Lakhesis, sa main attrapa la sienne. Oui, elle refusait d’être faible. Aidant Lakhesis à se lever, ce fut deux femmes dressées qui firent face au monde. Le démon était parti, le monde était détruit. Veridis Quo ?