à cœur fendre. ❞ ft. Morgan

Il gèle à cœur fendre sans toi.

Elle a laissé son cheval en contrebas, escaladant non sans mal la pente abrupte de la colline. Elle manque à plusieurs reprises de tomber tête la première et à chaque fois qu'elle vacille, elle étouffe un rire.
Arrivée au sommet, le vent si caractéristique de sa région natale la frappe de plein fouet. Les rafales la font tanguer sur ses pieds et les pans de sa veste se soulèvent. Le ruban qui maintenait ses cheveux se dénoue et s'envole. Elle l'observe danser dans les airs, ce fin tissu blanc sur fond de ciel bleu.

Échevelée, les joues rougies et le souffle court, elle contemple la forêt luxuriante qui s'étend devant elle. La pointe sud de ses terres a toujours été l'un de ses endroits préférés. Au loin, elle peut distinguer l'une des tours du château. C'est l'entrée la moins empruntée du domaine car la plus retirée, perdue entre les arbres imposants et les fourrées sauvages.
Lakhesis sait qu'on ne se lancera pas à sa poursuite. Il est révolu le temps où ses disparitions soudaines alertaient parents et domestiques. Maintenant on sait qu'invariablement elle finira par s'éclipser. On ne s'inquiète plus de ses défections passagères, on attribue cela à son excentricité. Cette liberté, même minime, elle se plaît à en abuser et à en savourer chaque minute.

Mais aujourd'hui, elle n'est pas venue par hasard ; dans sa poche, une lettre à l'écriture familière annonce le retour d'un être aimé. Elle connaît le calendrier par cœur et demain soir, l'astre lunaire de rouge se parera. Alors elle l'attend parce qu'il viendra forcément. Elle piétine, s'impatiente, gonfle les joues, rejette ses cheveux en arrière, tape du pied comme une enfant trop pressée. Elle peut se le permettre, elle n'a jamais eu le temps de l'être. Et quand il s'agit de lui, elle se découvre les états d'âme d'une jeune-fille de seize ans.

Une silhouette, enfin ! Elle distingue ses épaules larges et sa chevelure argentée. Même de loin, sa carrure semble enjoindre à la prudence. Son allure est redoutable. Pourtant, elle n'en fait pas grand cas. Elle dévale la pente et ses bottes de cavalière glisse sur l'herbe. Elle aboutit sur le sentier avec souplesse, s'y tient immobile jusqu'à ce qu'il la remarque. Il s'approche à son rythme et ses yeux couleur or liquide se posent sur elle.

Elle s'incline, mimant une petite révérence, contrebalancée par un sourire mutin, trop taquin pour être simplement poli.

« — Bon retour, guerrier. »

Elle peut déjà voir la fatigue tirer ses traits.
Chaque transformation est un drame pour lui. Alors elle s'applique à lui rendre tout cela plus confortable. Elle se fait plus douce, plus disponible. Elle fait au mieux pour guérir ce corps en souffrance et son âme, dont il ne soupçonne en rien la beauté.
Et peut-être qu'elle aussi finira par soigner le mal qui la ronge.

Je t'attendais.
Ton ciel s'est effondré, je sais.
Demain soir, ton monde succombe.
Mais je serais là parmi tes décombres.

crybaby ▼

à cœur fendre ★
Le cœur ne raisonne point.
Quand il combat ce qu'il ressent, il se ment.

Il a filé, sans se retourner.
Sans s’arrêter.
De Trois-Rivières jusqu’au domaine.
Il est parti depuis bien trop longtemps… depuis la lune d’avril, juste après qu’elle soit redevenue aussi blanche qu’à l’accoutumée ; qu’elle soit redevenue la seule lune qu’il aime.
D’avril à août, il a presque disparu tout l’été et ce dernier touchait à sa fin, septembre était plus proche que jamais.
La nuit elle aussi.
Le jour tombait dans son dos, alors que la nuit se levait face à lui quand il entra dans le domaine de la Blanchefeuille.
Morgan avait envoyé un pigeon, pour la prévenir de son retour imminent et il s’en voulait d’arriver si tard… la lune rouge est pour demain soir.
Il descendit de son cheval.
Sortant de la forêt luxuriante.
Et c’est là qu’il l’aperçue, dévalant la pente de la colline et venant à sa rencontre.
Ils sont rares les sourires de Morgan
Pourtant, la risette douce et discrète s’étire sur son visage, l’illumine malgré la fatigue qui tire ses traits.
Il s’approche, calmement, cheval en main.
Lakhesis s’incline et il l’imite.
Tel le reflet dans le miroir.
Morgan a dans le regard, cette étincelle.
De joie, de soudaine plénitude, malgré l’arrivé plus qu’imminente de l’astre rougeoyant.
Si bien, qu’il ne tique pas au mot « guerrier ».
Il ne l’est plus et pourtant, il le porte toujours sur lui, comme une seconde peau.

▬ J’espère ne pas trop t’avoir fait patienter.

Cela fait déjà quelque temps, que le vouvoiement a été abandonné.
Morgan s’approche et tend une main.
Du bout des doigts, il range une des mèches folles de Lakhesis derrière son oreille.
Reprenant plus faiblement :

▬ J’ai détesté m’absenter aussi longtemps.

De ses prunelles d’or, il la détaille.
Observe les changements qu’il y a pu y avoir lors de son absence de plusieurs mois… si le soleil de l’été lui avait donné quelques couleurs en plus, s’il n’en était rien.
Avec une délicatesse qui jure avec son allure, il lui fait signe d’avancer.
Le nuit sera bientôt complète et bien que cela ne le dérange en rien, Morgan préférerais tout de même rejoindre ses appartements à elle.

▬ Comment te portes-tu ?

Courtoisie intéressée.

(c) noctae

Il gèle à cœur fendre sans toi.

Elle posa sur lui un regard tendre qui trahissait l'inconstance qui la caractérisait en temps normal. Sa voix grave, qu'elle n'avait pas entendue depuis plusieurs mois, lui arracha un frisson. Le geste qu'il eut, juste celui qui consista à lui frôler les cheveux du bout des doigts, suffit à la rasséréner. Morgan avait sur elle un effet incontestable, qu'il s'agisse de son sourire ou de ses désirs.
Malicieuse, Lakhesis s'apprêtait à lui dire qu'il savait se faire attendre quand son murmure lui parvint. Elle contempla alors cet homme robuste à la peau marquée, endurci par les épreuves, admettre qu'elle lui avait manqué. Quand il s'agissait de ses sentiments Morgan était toujours pudique et mutique, ce qui rendait cet aveu d'autant plus précieux. Elle ne put donc qu'avouer à son tour, ce qu'il en était pour elle :

« — Moi j'aime le fait que tu aies détesté partir car cela implique que tu voudrais rester. »

Elle passa sous silence le 'avec moi' qui lui brûlait les lèvres à cet instant précis. Si sa relation avec Morgan était un fait avéré, ils n'avaient jamais pris le temps de mettre des mots dessus. Il lui était difficile d'exprimer le lien profond qui la liait à cet homme. Après chaque départ du brisurien, elle sombrait dans une mélancolie de plusieurs jours, se faisant petit à petit à son absence inévitable mais douloureuse. Les semaines passaient alors, suivies des mois et lorsqu'il annonçait son retour, elle l'attendait comme une femme de marin – impatiente et éprise – s'attelant à lui rendre son séjour le plus doux possible. Encore plus quand une lune rouge se profilait à l'horizon. Si elle ignorait toujours quand il allait partir, elle savait pertinemment qu'il finirait par invariablement s'en aller. Parfois, il lui arrivait de se demander combien de temps cela pourrait encore durer, jusqu'à ce qu'elle se souvienne qu'ils étaient fait du même alliage, celui des êtres errants, toujours en quête d'absolu.

« — Je vais bien. La vie suit son cours. »

Lakhesis ne lui mentait pas. Il s'était certes passé beaucoup de chose - sa rencontre avec Le Duc, leur alliance, sa conversation avec Neriah, ses avancées avec Scylla ou encore ses fiançailles avec Nathanaël – mais rien de tout cela ne devait venir empiéter sur leur retrouvaille. Dans la logique qui était la sienne, en tout cas.

« — Ce serait plutôt à moi de te poser la question. »

La jeune-femme ne faisait pas seulement référence à l'état qui précédait habituellement les transformations. Les cernes de Morgan étaient encore plus marquées que d'habitude et il paraissait plus las que de coutume. Marchant à ses côtés, elle lui jeta un regard de côté. Elle n'était pas s'en savoir qu'il s'était rendu à Ambrive pour mettre un terme à la vente d'esclaves brisuriens. Néanmoins, elle ne posa pas de question, préférant que cela vienne de lui. Sans le lui dire, la Volturne s'était renseignée auprès de Séraphin et de certaines de ses connaissances. Cependant, elle s'était abstenue de se rendre sur place, peu désireuse de croiser Lazare Priest – un grand habitué du marché noir avait-elle appris – depuis son dernier entretien avec sa sœur.

Lorsqu'elle reporta son regard sur la route, on pouvait déjà discerner l'entrée sud du château. Un écuyer était chargé de les attendre pour récupérer son cheval et celui de son compagnon. Lakhesis avait toujours fait en sorte que Morgan soit chez lui sur les terres des Volturne et l'ensemble de la domesticité savait à quoi s'en tenir.

« — Mes appartements te sont bien entendu ouverts, mais si tu as besoin de te reposer, sache qu'une chambre d'ami est prête à t’accueillir. »

Mutine, elle réduisit la distance, faisant se frôler leur bras alors qu'ils continuaient de marcher côte à côte. Comme si de rien n'était, elle s'y accrocha – affirmant son attachement sans en avoir pleinement conscience – et poursuivit avec une désinvolture étudiée :

« — Je comptais prendre un bain de toute façon. Je comprendrais que cela ne t'intéresse pas. »

Évidemment, c'était complètement faux.

Moi qu'on dit vaporeuse,
A tes côtés, je dois l'admettre,
Je ne suis plus qu'une amoureuse.

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