La nuit est longue, paisible. Et pourtant, entre les draps, le corps sursaute. Trempée de sueurs, Guenièvre a le souffle court, cette nuit encore. La fatigue marque les traits cette fois plus que d’autres, la tête est douloureuse, hurle dans les silences nocturnes.

Alors elle se lève, la mort dans l’âme, et se glisse hors de sa chambre à pas de loup.
C’est que sur le canapé dort un invité. Morgan Frost, un énième chien errant ramené à la maison. Guenièvre ne peut pas, non, elle ne peut pas les laisser errer dans les rues. Surtout pas blessés.
Et Morgan fait parti de ceux qui arboraient des blessures immenses, des blessures mortelles sans soin.
Puisque Guenièvre a ce don, elle n’a pu que voler à son secours, que déployer toute son énergie pour le guérir et prendre soin de lui.
Et désormais, l’homme loge sous son toit, sous les ordre de sa guérisseuse. Car on ne repart pas vagabonder quand on se remet de blessures.

Alors les pas se font discrets jusqu’à la cuisine, Guenièvre se fait discrète quand elle chauffe l’eau, quand elle se sert une tasse d’infusion et s’assoit à la lueur de la lune. Aucun bruit, si ce n’est celui de sa respiration.

Elle observe la nuit, observe cette lune presque ronde en tentant d’oublier les maux du sommeil.

La tête fait mal, si mal pourtant. Elle lui refuse l’oubli, est-ce donc ça ? Guenièvre soupire, se saisit de la tasse, le regard plongé dans le liquide.

Les sourcils se froncent.

L’eau est si foncée, depuis quand est-elle si foncée ? Guenièvre tourne doucement la tasse, observe le liquide sans comprendre comment il a pu se faire si visqueux.

Cligne des yeux. Ne lâche pas la tasse du regard.

Guenièvre, c’est faux, tout est faux.

Une dernière lueur de raison quand le liquide déborde, encore et encore, se déverse sur la nappe blanche.
Le souffle est court, la gorge nouée quand le coeur tambourine.

Tout est faux. Alors pourquoi le liquide englue ses doigts ?

Et là, on voit la peau pourrie, là, qui flotte dans l’eau rouge.

Il y a un sursaut, Guenièvre hurle, elle hurle et la tasse est projeté au sol. Et dans la chute de la chaise, c’est la raison qui s’écroule. La raison qui n’est plus quand le sang coule, encore et encore, de la table, des murs, tout.

Le souffle est court, si court quand elle essaye de survivre. Si court quand le sang semble venir lui couler dans la gorge, l’étouffer, quand les voix résonnent dans la tête.

Et à chaque murmure, c’est l’esprit sain qui s’évapore. Elle refuse, les yeux se ferment si fort et pourtant ! pourtant le sang semble même se glisser entre les paupières, les mots se faufilent entre les doigts, sinueux et Guenièvre ne peut le supporter. Cette voix douce, cette voix dure, le bruit du sang qui coule, encore et encore, ce sang, partout, qui gicle.

Elle hurle, torturée par l’esprit, trahie par sa propre tête.

– ARRÊTEZ PITIÉ ARRÊTEZ !

Que les arcanes aient pitié de cet esprit perdu.

Il existe un point où rien ne peut sauver l’esprit. Un point qui détermine tout le reste de l’existence. Sera-t-elle maudite ? Sera-t-elle lumineuse ? Personne ne peut savoir à l’avance ce que ce point sera. C’est seulement un fois franchi, qu’on sait.

Et Guenièvre, elle sait. Elle sait que le point a été franchi depuis bien longtemps. C’est un noeud dans la gorge, une trace au fer rouge sur l’âme qui ne pourra jamais disparaître. C’est le prix qu’elle paye pour absoudre ses péchés. Ainsi est la vie.

Délirante, elle ne réalise pas la présence de Morgan, elle est trop loin, trop plongée dans le passé. Et quand il la relève, quand il lui parle, c’est une panique folle qui se lit dans les pupilles. Il l’a relevé mais ses ongles sont plantés dans les bras qui l’ont prise, apeurée. Et il lui faut un moment, un moment trop long pour ne plus voir la mare de sang.

Les ongles relâchent la peau, les yeux se calment, voient enfin Morgan face à elle. Elle hoche la tête pour simple réponse, perd sa voix à nouveau et honteuse, elle s’assied sur la chaise, passe ses mains tremblantes sur le visage.

Elle se perd un peu plus à chaque fois et la question de Morgan est une tempête qui brise les dernières remparts. Elle pleure, Guenièvre, elle pleure toutes ses larmes, honteuse de cet esprit abîmé, honteuse de ses actes, quand bien même l’homme face à elle n’est pas saint.
Les mèches blanches virevoltent quand d’un air lasse, elle sourit, secoue la tête et tente, de toutes ses forces de faire jaillir les mots. Car elle doit bien des mots à Morgan.

– J’ai commis une atrocité, simplement. J’en paye le prix.

Morgan a le don d’appuyer sans aucune douceur là où la plaie suinte. Il ne laisse pas le répit, pas la chance de fuir ou d’éluder la question.

Et Guenièvre n’aime pas, elle hait cette pression sur les épaules, ce regard qui crie “dis-le moi”, accompagné des mots qui réclame l’histoire.
La gorge est nouée, les doigts jouent avec un éclat de verre, sans pouvoir dire un seul mot. Un long moment de silence, comment peut-elle dire cette histoire qu’elle n’a jamais révélée ?

La lèvre est mordue, jusqu’au sang quand on cherche les mots, la voix qui dira la vérité, le Secret.



Rien ne sort. Absolument rien. Et Guenièvre ne peut qu’observer le verre qui tremble entre ses mains. Mutique un trop long moment pour ne pas jouer avec les nerfs de Morgan, les mots finissent pas sortir, ils finissent par franchir les lèvres comme un souffle arraché, si douloureux quand on révèle ces péchés.

– J’ai tué mon père.

C’est la première fois, la seule fois que les mots sortent. Le secret est si lourd, tellement lourd ! Ce fardeau pèse sur les épaules et dans la révélation, elle tremble devant sa confession. Il y a tellement plus à dire mais si peu de mots qui franchissent les lèvres.

Les mots restent sur les lèvres sans jamais prendre vie. Et Guenièvre ne peut que soupirer, qu’observer Morgan avec cet air navré.

Pardon. Excuse-moi de ma faiblesse car le secret déjà est trop lourd pour être dit.

Le regard qui peine à soutenir celui si calme de Morgan, les lèvres qui tremblent de sanglots qu’on retient. Guenièvre lutte contre les souvenirs encore une fois. Sauf que cette fois, Morgan est ici. Et il justifie ses actes, dans un vain espoir de la rassurer. Mais il n’en naît que des sanglots, une peine immense dans la poitrine quand on se dit bien au fond du coeur


Et le coeur en souffre bien trop, de cette rage incommensurable. Car Guenièvre n’est pas faite pour hair, Guenièvre est faite pour l’amour, la douceur. Quand la vie ne lui apporte que cette grande souffrance pour repentance.

La lèvre se mort, fort, jusqu’à ce que le carmin vienne tacher la pâleur, jusqu’à ce que les mains tremblantes vienne essayer de tenir la plume entre ses mains.

Elle essaye, de toutes ses forces, d’écrire un seul mot. Mais il n’y a que ce poignet qui tremble, que ces dents qui claquent et le silence assourdissant qui l’étouffe. Le regard plonge dans celui de l’ami, désespéré, à bout, suppliant même quand les larmes ne cessent de ruisseler.

Par pitié Morgan cesses-donc de la torturer car jamais Guenièvre ne pourra avoir la force de penser comme toi. Elle est lâche, menteuse et fuyarde sous la tendresse et la droiture.
Guenièvre est une meurtrière sans courage, aucun, une fugitive de sa propre vie, cette vie qui n’a jamais pu exister puisqu’elle est morte au moment où la dague a transpercé la chair de son père. Et même cette vie perdue n’est qu’un mirage, l’illusion d’une vie qui n’est pas vraie, entre les manipulations cruelles et les murs blancs, si parfaits, de la demeure.

Alors Guenièvre ne peut le penser, qu’elle n’a qu’épargner le monde d’un être vil. Elle ne peut le penser et ne peut pas même l’accepter.
Et il est long, le temps quand elle écrit les secrets. Long quand le coeur se déverse plein de douleur et de crainte.

“Que dire de plus ? Mes actes n’ont causés qu’un désastre. A quoi bon te révéler ces horreurs quand rien ne changera ? Si je suis si brisée, c’est que les arcanes m’en pensent méritante et je veux bien les croire quand j’ai fui en laissant tout ce sang qui était le mien.”

L’odeur putride est encore dans les narines, la vision des cadavres toujours sous les paupières et la sensation de ce sol couvert de cette mare purpuracée s’accroche encore aux chevilles. Il y a dans la brume des souvenirs une vivacité des plus troublantes qui hantent corps et âme advitam.
Les narines se dilatent, Guenièvre peine à filtrer l’air si lourd quand la morgue de son enfance vient s’y noyer.
Mais la guérisseuse sait que l’homme n’abandonnera pas. Elle le sait et elle ne peut supporter le regard plein d’attentes. Alors elle poursuit son écriture, tend le carnet avant de clore les paupières, laisser le noir l’engloutir pour perdre les teintes carmins qui flouent éternellement la vie.

“Vous me torturez de vos questions, il est injuste que vous ne disiez mot. Alors laissez moi simplement vous dire que j’ai causé la mort et que cette peine viendra toujours apesantir mes épaules, là est le prix de ma rédemption, Morgan.”