Harmony est contrariée. Le pas pourtant assuré elle s'avance dans les rues du village, mais son silence est grand désormais, et son sourire arrogant disparut. Je déteste ce que tu es devenue, et elle déteste cette colère qu'Altaïr a su faire naître en elle, toutes ces questions qui l'enragent et cette déception qui l'agace. Alors plutôt que de monter à cheval pour retourner directement à Trois-Rivières, elle noue la bride de sa monture aux portes de l'auberge du village. Lève les yeux pour observer le bâtiment un instant, quand elle y repense encore. À Altaïr, à ces chaînes qui l'enserrent, à ses sourires d'antan à ce qu'ils étaient tous deux il y a vingt ans.

Il ne peut pas la traiter comme ça, pas vrai ?
Ce n'est pas juste parce qu'il est celui qui a voulu savoir - et elle s'agace encore Harmony, si fort que ses poings se serrent pour ne pas la faire hurler. C'est qu'en écho de sa colère elle revoit Lazare et ses demandes. Ne pas lui faire honte avait-il dit. Ne pas faire d'esclandres, peu importe où. Il ne serait pas content d'apprendre qu'elle avait démoli une taverne entière sous le coup de la colère alors il valait mieux qu'elle se contente d'y entrer et de boire.

Aujourd'hui elle n'a plus envie que de ça.
Et pourtant tu es là Eglantine, derrière elle sans qu'elle ne le remarque puis soudain sur son dos et
Elle se braque, les doigts serrés sur ses dagues prête à dégainer - te trancher.
C'est parce que tu hurles et qu'elle comprend qu'il ne s'agit que de toi qu'elle n'en fait rien, se contente de te dégager brusquement d'elle avant de se tourner vers toi.

Encore toi, Eglantine.

— La prochaine fois que tu fais ça je te tue.

Le regard est menaçant et le ton froid, elle n'est définitivement pas d'humeur aujourd'hui. Elle laisse planer deux courtes secondes avant de se détourner de toi, pour terminer d'accrocher correctement sa monture.

— Je rendais visite à de vieilles connaissances, et elle en retrouvait d'autres alors elle ne sait plus vraiment ce qu'elle fait ici finalement. Et toi tu écumes toujours les tavernes.

Elle se tourne le visage vers toi pour te jauger un instant, tu as l'air bien trop sobre alors elle imagine que tu ne t'es pas encore rendue à celle-ci.

— Tu tombes bien.

Un léger sourire qui apparaît tandis qu'elle se tourne entièrement dans ta direction.

— J'ai besoin de me changer les idées.

D'oublier Altaïr et même Lazare (impossible) pour le reste de la journée.

— Méchante, moi ?

Non, simplement naturelle et présentement énervée, mais peu importe. Harmony n'est pas du genre à se préoccuper de l'avis des autres alors son air surprit laisse bien vite place à l'évidence, et même celle-ci tu ne sembles pas la comprendre. Tu es désespérante Eglantine, est-ce que tu sais ça ? L'avantage c'est que ta simplicité d'esprit, elle, n'est pas bien compliqué à comprendre et aussi idiote puisses-tu être aux yeux d'Harmony, elle sait qu'il n'y a qu'avec toi qu'elle peut boire et oublier tous ses soucis. Du moins elle l'espère, autrement cela voudra dire que tu n'as plus aucun intérêt.

Harmony t'ignore alors pour se diriger vers l'entrée, une main sur la porte, elle t'adresse un bref regard avant de t'interpeller.

— Peu importe, ce ne sont pas tes affaires. Dépêche toi de venir et allons boire.

Allez jouer !
Encore et encore comme les enfants que vous étiez.

Toujours un peu grincheuse pourtant, Harmony pousses la porte pour entrer sans prendre la peine de te la tenir, et va s'installer à une table au fond de la pièce en attendant que tu la rejoignes. Adossée nonchalamment contre le dossier, elle te lance un regard un peu plus vif cette fois, tandis que le tavernier s'approche pour prendre votre commande.

— Ma mise sera la tienne, alors surprends-moi.

En espérant que cette auberge contienne assez d'alcool pour anesthésier son esprit torturé.

Deux c'est peu.
Trop peu.

Alors le soupir est au moins aussi grand que sa déception présentement.

— Petite joueuse.

Le regard dédaigneux, elle lève ensuite le visage en direction du tavernier pour rééquilibrer les doses à votre niveau. Harmony n'a rien contre le fait de commencer doucement, seulement elle a besoin de boire et deux choppes ce n'est même pas un amuse-gueule, alors..

— Mettez-en trois chacune.

Le minimum, pour un duel entre deux habituées.
De nouveau elle te regarde, les iris moqueurs et le sourire carnassier. Elle est effrayante, Harmony énervée.

L'homme vous apporte donc rapidement les six choppes commandées avant de vaquer à ses autres occupations tandis qu'Harmony te jauge un instant du regard. Tu comptes la battre, Eglantine ? Pourtant, tu sais, il n'y a rien à battre. C'est qu'Harmony ne veut même pas de cette victoire en vérité. Si tu es là, c'est simplement parce qu'elle a trouvé l'idée de ne pas boire seule plus attrayante que l'inverse, mais s'il te plaît de croire à un concours entre vous alors fais toi plaisir.
Donne-lui envie de te battre, Eglantine.
Et ensuite bats-la.

— À la tienne ! salue-t-elle en faisant trinquer vos premières pintes.

Puis sans demander son reste, elle en siffle autant qu'elle le peut en une fois avant de la claquer, au trois quart vide, sur le bois de la table en soupirant.

— Fais mieux que ça pour commencer.

Après on verra.

Tu as le sourire rayonnant et Harmony se laisse happer par ton énergie. Même bruyante et fatigante, tu as cette capacité à entraîner les autres avec toi. Parfois ça fait du bien, aujourd'hui ça ne dérange pas. Alors tranquillement elle boit, et -bien peu sérieuse- t'observe d'un oeil faire de ton mieux pour l'emporter. Tu as cette hargne qu'elle n'a pas envie d'avoir pour l'instant, tandis que son sourire s'étire lorsque tu t'exclames enfin.

J'ai gagné !
Oui tu as gagné, Églantine.

Pour cette fois, cet instant seulement.
Demain Harmony t'écrasera parce que c'est ce qu'elle fait de mieux, tu sais ? Écraser les autres. Pour son bien à elle, pour celui de Lazare elle enfermera ses sourdes peines et Altaïr -oh si beau soit-il- ira pourrir au fond d'elle lui aussi. Elle l'a aimé et l'aimera toujours.

Mais il l'a brisée, d'un simple mot.
C'est à cause de lui qu'elle n'a plus envie aujourd'hui.
Alors elle boit, à ta santé encore, à la sienne, à la leur à tous.
Elle boit boit boit boit boit encore encore encore !

— Cinq.

Pourquoi moins ?
Pourquoi pas plus.
Parce que c'est un bon chiffre, cinq.

C'est dangereux, cinq.
Mais le danger on l'emmerde, alors elle boit de nouveau.
Cette fois termine sa première choppe du second round d'une traite et en un temps record avant d'entamer la seconde sans même t'adresser un regard -concentrée.
Oubliée.

Si ce n'est ni son coeur ni Lazare alors c'est l'alcool qui la tuera.
Mais avant de s'effondrer elle gagnera une dernière bataille.
Au moins celle-ci.