La peine est si grande, si vive, pire qu’avant alors qu’on ne pensait pas cette douleur dépassable.

Asteria et ses mots tranchants, Asteria et son coeur de glace pour venir poignarder Selena encore et encore, réduire en cendres chaque parcelle de Selena, la détruire encore et encore avec son regard, sa stature, sa perfection.

Selena n’était rien. Elle n’est rien quand elle monte au dos de Magda, rien quand elle s’élance, fait abstraction de la douleur de la chevauchée quand la douleur au cœur la déchire encore et encore.
Elle sent les larmes qui brûlent, l’air qui brûle, le feu qui dévore tout, absolument tout en elle.

Si Selena a bien connu des peines, c’est aujourd’hui qu’est la pire douleur. Lancinante, terrifiante quand on se sent vide, débordée par ce coeur et cet être blessé trop profondément.

Hier, Selena a perdu son oncle. Aujourd’hui, Selena a perdu sa soeur, sa moitié, son tout. Et dans la gorge, tout se bloque, tout reste là quand elle asphyxie. Il faut qu’elle parte, loin, loin de tout, loin d’elle, loin d’eux, loin de tout le mal de ce monde où elle n’est rien.

Pourtant c’est dans un lieu familier d’Asteria qu’elle se rend. Le lieu des peines, le lieu des cœurs blessés où toujours, Selena a déversé ses larmes, ses colères. Chaque plante transpire de sa douleur, elle s’y est piquée trop de fois. Pourtant elle vient s’y écorcher cette fois encore, dans les dernières lueurs du jour quand le cœur se déchire dans la poitrine.
Elle glisse du cheval, couine à la vibration du sol dans toute la jambe. Et si on est venue chercher le calme, c’est pour mieux s’enfoncer dans la forêt, mieux y perdre l’esprit pour y déchainer une lame blessée.

On déchire les troncs, fend l’air avec une rage désespérée, une rage triste, si triste. Et à chaque coup, c’est Asteria qu’on entend, en boucle encore et encore, sans cesse qui vient l’abattre, elle qui est déjà à terre.

C’est ce qu’elle est. Même Asteria, même elle, elle le lui crache au visage. Des poignards dans le coeur, un feu dans les larmes, dans les veines, elle brûle, brûle si fort de peine, sourde à tout le reste quand elle hurle dans sa peine, la jambe qui saigne comme le coeur quand elle était censée guérir et pourtant, on ne sent rien, rien du tout quand l’âme tout entière est brisée par le son des mots, la voix de confiance qui se répète en écho à celle du père.

Un cri, immense, enragée, désespérée quand l’épée est lancée contre un tronc quand l’esprit cède sous le poids des mots.

Selena, tu pleures seule car ce soir, tu n’as plus personne.

Elle ne peut se relever. C’est une blessure immense qui la déchire, elle n’est vraiment plus, Selena. Il n’y a qu’un creux dévorant un gouffre dans le coeur qui vient griffer son être pour la dévorer, encore, encore, encore !

Ce sont des larmes, toujours plus de larmes qui coulent quand elle est au sol, ainsi perdue, ainsi blessé, trop blessée. C’est que Selena, si elle a quelques heures de solitude de plus, pourrait bien sauter dans ce gouffre. Elle est déjà si loin, déjà si brisée. Selena n’est plus que des morceaux. Elle est disséminée ici et là, des éclats douloureux étalés à la vue de Kleos quand les ongles se plantent dans les bras. Elle cherche la douleur, cette douleur dans le corps pour faire taire le coeur qui lui crie si fort tous ces maux.

Selena est seule avec son désespoir sans même une main pour prendre la sienne. Il n’y a que l'inattendu qui vient la cueillir, cette voix qu’elle ne pensait pas entendre -qu’elle ne voulait pas entendre– et qui crispe le corps.

C’est avec la force d’un égo ensanglanté qu’elle se lève, avec la force d’une femme éreintée qu’elle ne se tourne qu’à moitié, offre le visage -oh combien blessé– d’une âme détruite quand elle crie dans un murmure.

– Partez ! Laissez-moi !

Elle n’essuie plus les yeux (à quoi bon ?), laisse les épaules trembler, les dents claquer et le coeur s’émietter dans sa poitrine.

– J’ai pas besoin de votre analyse ou votre pitié, alors c’est la seule supplique que je vous fais : laissez-moi Kleos, vous n'avez rien à faire ici !

Il y a dans la voix une terreur, un désespoir plus grand, plus vif, plus sombre que la colère désespéré que Kleos a connu. Non, aujourd’hui, Selena part en fumée, se consume trop et il n’y a point de gloire quand elle ne cache même pas les larmes.

Si Selena se tient debout, les épaules tremblantes suffisent à la rendre bien petite. Elle est faible, terriblement faible quand les larmes roulent sans fin, quand le coeur se déverse dans la douleur -arrachez lui donc ce coeur !- sans qu’elle ne puisse même planter ses pupilles dans celles de Kleos. Il parle à un mur, dos à lui, dos à son regard perçant et son jugement.
Pourtant, il ne part pas. Il ne part pas et vient gratter les plaies encore à vif de son cœur, fait trembler ce corps plus encore quand elle murmure, désespérée.

– C’est peut-être pour ne pas céder au gouffre que je préfère me faire mourir lentement.

Oui Selena, oui, elle a cette persévérance, cette lumière même au plus sombre, cette fierté qui l’empêche de bondir sans une pensée, sans une résistance. Mais le goût de la mort semble tellement plus doux aujourd’hui que ce cœur qui hurle. Selena a beau enfoncer ses doigts dans ses plaies, celle du cœur reste la souffrance ultime, celle qui déchire, celle qui pousse à l’envie morbide de disparaître. Et Selena, elle a même trop mal pour le cacher.

– Savez-vous le pire ? C’est que j’aimerais ne pas avoir cette résistance pour pouvoir m’y jeter sans peine.

Mais elle l’a. Elle a cette résistance qui lui fait planter les ongles dans la terre pour se hisser plus haut, plus haut encore et ne jamais rester au sol. Hélas, le coeur meurtri est épuisé des combats. Pour qui se battre si Asteria n’est plus de son côté ? C’était pour elle, c’est pour elle qu’elle vit. Et désormais c’est par ses mots que la mort la guette.
Alors Selena ne peut que sentir ce gouffre immense dans la poitrine, ce trou noir qui dévore tout son être quand elle tremble, les ongles plantés dans ses bras à en rougir la chair, les dents qui font goûter le goût amer de son sang sur les lèvres et elle ne peut que rester immobile dans l’espoir vain de ne pas s’écrouler (la fierté persiste un peu).

Kleos est à ses côtés et si elle souhaite tout sauf lui avec elle, c’est lui et seulement lui qui est venu recoller des morceaux d’elle. Peut-être avec sa rudesse et son égo, peut-être par pure amusement, mais Selena n’a pas la force d’y songer. Elle ne peut que l’écouter parler de responsabilités, que pleurer encore, qu’importe s’il voit le visage ébranlé. Elle est partagée, si partagée entre cette envie de mourir et cette peur qui la fait serrer la veste autour d’elle, inhaler le parfum peu familier et pourtant ô combien rassurant d’une personne.

Car c’est au moins ça : une personne qui retient sa main. Et elle ne le voit pas forcément, Selena, mais elle a besoin de cette main pour ne pas sombrer, qu’importe le souhait immense de se laisser crever.

A l’ordre, on ne bouge pas. Selena est épuisée mais elle ne bouge pas, comme pétrifiée quand il essaye de la réparer sans aucune douceur. Le vide est si grand.


Kleos, tu as une poupée de chiffon entre les mains et tout ce que tu peux voir, c’est cette plaie béante dans la poitrine qui ne cesse de la faire souffrir.

On ne s’attend pas à avoir un coup dans les jambes. Pourtant, il arrive ce coup et Selena chute sans ménagement. Le sol fait mal, écorche les paumes et fait gémir de douleur quand la jambe se blesse un peu plus. Elle ne peut que jeter un regard vague à Kleos, que réceptionner ses mots avec une fatigue évidente quand les poings tremblent toujours.

– Merci j’ai vraiment besoin d’entendre que je fais pitié, comme si je ne le savais pas déjà.

Il est si haut quand elle est si bas. Selena a l’impression d’être au fin fond du monde, totalement perdue et le cœur en miettes. Et le pire c’est qu’elle aimerait avoir la force de s’opposer à lui, la force de nier. Mais il ne sort que des murmures, que des larmes qui ne cessent jamais quand il s’assoit à ses côtés et l’attaque avec tant de vérité, toujours trop de vérité. Du moins, c’est comme ça que Selena le ressent même quand on a l’espoir même minime d’avoir du courage.

Les mains serrent la veste sur ses épaules, le regard qui se plante dans le sol, quand on ne peut même plus nier.

– Je me punis sûrement, oui. Mais j’ai très envie actuellement de crever. Et une raison ridicule ? Avez vous même posé un pied dans la réalité ces derniers jours ? Je suis la risée de l’armée et en plus de ça, même ma jumelle, mon seul soutien ne m’aime plus ? Je suis seule, Kleos, totalement seule ! Et vous ne pouvez même pas le comprendre vu le coeur de pierre que vous semblez avoir.

Les poings se serrent alors qu’elle tourne un regard blessé sur l’homme qui appuie toujours si bien sur ses plaies. Pourtant, c’est contre son épaule que le visage se cache, c’est à lui qu’elle confie les douleurs si profondes. Il n’y a plus que lui pour écouter.

– Si même Asteria me voit comme tous les autres, à quoi bon continuer ? Asharim est mort, Asteria préférerait me voir me jeter dans le gouffre, je n’ai même plus la fierté de réussir mon travail puisque même ça, ça ne suffit jamais ! Le souffle s’emballe, les sanglots semblent remonter, plein d’angoisse quand elle murmure. Je suis bien une lâche, la plus ratée de toutes les Caterna sur cette terre. Vous m’aviez dit que j’étais une des femmes les plus fortes de Malronce, vous aviez tort. Je ne suis qu’un échec ambulant. Qu’est ce que je vais pouvoir faire ? J’ai l’impression que quoi que je fasse, je resterai cette chose qui…

Qui ne la satisfera jamais. Les mots restent bloqués dans sa gorge, le visage s’enfouit dans les mains, tellement misérable Selena. Peut-être qu’elle pourrait l’avoir, ce courage. Celui de bondir dans le gouffre et ne rien laisser d’autre qu’un pâle souvenir sur Valdore. A quoi bon continuer ? A quoi bon écouter cette résistance au fond d’elle quand il suffirait de plonger ? Si c’est là le seul courage qu’elle peut avoir, pourquoi pas ?

Pourtant, le gouffre est bien loin et elle ne peut que pitoyablement gratter ses plaies. Selena n’a plus la force de rien. Pas même de lutter si Kleos la moque. Elle n’a même plus une larme quand il n’y a plus qu’une lassitude sans fin dans le coeur. Selena est fatiguée, épuisée Alors elle se laisse choir au sol, observe le ciel qui s’étend derrière le sommet des arbres si paisible quand son être tout entier est déchiré par les coups.

Elle ne sait plus. Et tout ce que peut apercevoir Kleos, c’est qu’elle ne veut plus se battre. Pas maintenant.

– Je suis fatiguée de lutter. Ça ne vous arrive jamais ? J’ai passé toute ma vie à attendre qu’ils se tournent enfin vers moi sans jamais que ça ne se passe. C’est stupide n’est ce pas ?


Peut-être que dans ce mal, Kleos pourra découvrir plus de sincérité, plus de vérité. Tout est si flou, vaporeux quand le coeur plonge. Et les mots fusent alors qu’il n’y a que lui pour l’écouter.

– J’ai toujours aimé ma soeur. Énormément. C’était censé être elle et moi contre le reste du monde, quoi qu’il arrive. C’est ça qui fait si mal. Mon ego pouvait bien se remettre d’une médaille oubliée. Mais la déception dans ses yeux ? Le fait de ne plus être aimé d'elle ? C’est comme.. Comme perdre un bout de moi. J’ai l’impression de perdre tout, Kleos. Et vous devez vous en foutre, vous pouvez bien rire de ma faiblesse même, je n’ai même pas la force de lever un seul petit doigt de toute manière.

Le coeur qui s’ouvre et qui saigne, la tête basse et pourtant plus d’honneur dans la misérable Caterna.

Si Selena a pu croire quelques secondes à une entente possible, un partage, là, contre son épaule, c’est bien vite que la raison reprend contrôle de son cœur. Elle saigne en vain devant cette statue de glace et tout ce qu’elle y gagne, c’est des coups en plus dans un ego déjà trop éreinté.

Sauf que les mots, ceux que Kleos lui crache, ravivent la colère, fort si fort quand elle est tant blessée. Les tremblements l’animent à nouveau quand elle retire sa tête de l’épaule de Kleos, amère et honteuse d’avoir pu croire un instant une certaine sympathie de la part de cet homme exécrable.

– La Maison Dieu doit bien me jouer des tours encore une fois, je ne sais pas. Et je me demande plutôt pourquoi diable vous êtes ici. Pourquoi venir à mes côtés si c’est seulement pour un peu plus m’enfoncer ? Vous êtes… Insupportable ! Je pensais pouvoir me confier un peu ! Quelle stupidité ! Vous ne faites que…

La phrase ne finit jamais que par un hurlement étouffé entre les mains. C’est la colère qui grimpe à chaque mot, la fureur quand elle se lève et fait face à Kleos, tremblante mais la tête si haute et pourtant toujours tant pitoyable.

– C’est faux ! C’est faux, faux totalement faux ! Jamais ma soeur ne m’abandonnera, je refuse de le croire ! La voix éreintée par la douleur et l’amour qui se débat pour perdurer, aussi douloureux soit-il d’aimer Astéria, elles avaient promis. Vous ne comprenez rien, vous ne pouvez pas comprendre ! Vous me demandez de vivre sans un bout de moi.

La gorge qui se noue quand on dresse la tête, les larmes qui brillent dans les yeux enragés. Selena ne veut plus être une pauvre bête blessée et elle sait bien qu’il a raison, cet homme si contrariant mais pourtant, elle reste butée, terriblement têtue quand la douleur l’aveugle. C’est qu’on ne veut pas. On refuse de perdre Asteria, c’est impossible, inimaginable. Comment vivre sans une part d’elle ?
Mais Kleos, lui, continue de tirer sur l’animal mutilé sans aucune pitié. Il dit une vérité qu’on refuse, fais preuve d’une insensibilité immense et froide quand il préfère une terre au coeur massacré. Alors la claque résonne sur la joue de Kleos, brutale et pourtant bien trop faible pour un coup asséné par Selena.

– Je ne vous permets pas. Vous êtes.. Terrible ! Insupportable ! Vous ne me connaissez pas et vous vous amusez juste de choses que vous ne pouvez comprendre ! Malronce ! Malronce ! Malronce ! Vous n’avez tous que ce mot à la bouche quand JE suis tout autant en cendres !

Les mains qui agrippent le col, le corps qui tremble quand elle crache égoïstement sa peine. Bien sûr que Kleos a raison, évidemment qu’il a raison. Mais Selena refuse dans sa peine d’admettre la défaite, l’incohérence d’un cœur en proie à la terreur d’une peine trop grande. Il n’y a plus de logique, comment pourrait-elle encore en posséder lorsque le désarroi est si grand ?
Et ce corps qui essaye de frapper, fort, plus fort sans réussir car c’est pleine de fatigue qu’elle s’épuise contre Kleos. Un poing, deux poings qui s’abattent sur le torse, une jambe qui se lève pour frapper sans jamais venir donner le coup. Car Selena s’est écroulée dans ses bras, les jambes coupées quand le manque de sommeil et les entraînements trop nombreux s’ajoutent à la torture psychologique que lui impose la vie.

Le corps tremblant, il n’y a plus rien d’autre qu’un souffle surmené pour l’agiter, un gémissement quand le corps fait si mal, le cœur, la chair, tout. Elle ne peut plus bouger et c’est seulement Kleos qui la retient de tomber au sol comme une vulgaire marionnette sans ficelle. La figure pâle et les traits tirés, le monde tourne, tourne sans qu’elle ne puisse plus rien.

Selena se perd encore sans pouvoir être autre chose qu’une pitoyable ombre. Et tout ce qu’elle peut penser, c’est que Kleos a raison.

Les oreilles qui sifflent et la vue troublée jusqu’à se faire sombre. Tout ce que Selena peut faire, c’est rester tremblante contre Kleos, rester au sol et être transportée comme un vulgaire objet quand tout semble si loin, si distant. Il faut un moment pour qu’elle entende les sabots qui claquent sur le sol, un moment de plus pour sentir Kleos qui retient son corps inerte, encore une pour réussir à refermer ses doigts sur le tissu sous sa main et murmurer.

– Kleos.. Pas chez moi..

Un supplice quand l’idée même de retrouver les Caterna l’empoisonne. Et si elle sombre entre conscience et inconscience, elle reste désespérément accrochée à Kleos même quand il te laisse choir au palais. Tout tourne, tout est si incertain et Selena ne peut que garder sa main serrée contre la seule présence que les arcanes lui offre, qu’offrir un regard suppliant à Kleos quand elle murmure sans barrière, la vue troublée par l’épuisement.

– Ne me laissez pas seule..

C’est qu’on a peur, si peur d’être seule avec ses pensées, c’est un trou dans la poitrine qui la dévore, cette terreur. Et qu’importe les mots et les gestes, Kleos est là, il est bien le seul à être là et elle ne peut qu’amèrement s’y accrocher. Murmurer un presque silencieux “vous avez raison” quand elle ferme fort les paupières, voit les étoiles après trop de nuits éveillée, la main glacée par le froid de la soirée serrée sur une main qu’elle n’aurait jamais saisie dans une autre situation.

Elle chavirera sans cette main, l'idée même, aussi pitoyable soit-elle en fait naitre des larmes, qu'importe la personne face à elle.

Tout va si vite, tout est si bien pris en charge. Selena n’a pas le temps de retrouver ses esprits qu’elle est déjà déposée avec une délicatesse surprenante sur le lit. Kleos prend tout en charge quand elle ne peut qu’observer, la vue trouble. Qu’observer et prendre cette main sans réfléchir puisqu’on ne peut pas, on ne peut plus réfléchir avec toutes ces blessures au cœur. Un instant de chaleur qui bien vite fuit quand la main se dégage, l’abandonne elle aussi.

Le regard qui se baisse quand il parle de la présence des domestiques. Le regard qui se baisse car c’est la présence d’une personne qui n’est pas forcée à la servir qu'elle veut. Il la dit fiévreuse et Selena ne peut le nier. Mais les mots sont sincères car il n’y a que Kleos pour rester à cet instant, personne d’autre que lui. Alors cette présence, on l’accepte aujourd’hui dans la fièvre et la douleur.

Ils s’observent un instant, sans un mot, et c’est bien la première fois que le silence les accompagne si longtemps. Un instant où Selena espère ne pas être laissée seule et où les yeux finissent pourtant par se clore trop vite sous la fatigue. Les mots s’entendent mais elle réagit à peine, gémit sa peine à l’idée de rester cloîtrer dans cette chambre inconnue seule et désemparée. Elle le maudit tout en sachant qu’elle lui doit des remerciements qu’elle déteste lui devoir.


Elle abandonne bien un instant, trop épuisée, laisse les domestiques s’occuper d’elle sans un mot avant de se laisser tomber dans le sommeil. Si un médecin s’est occupé d’elle, elle ne le remarque pas. Tout est brumeux, là, blottie dans les draps au parfum qui devient trop familier (celui de Kleos) et c’est une bonne partie de la nuit qu’elle passe comateuse.

Selena a pourtant vite essayé de fuir et rien ne lui a résisté bien longtemps. Aussi fragile soit-elle à cet instant, elle reste plus forte que de simples domestiques et les piètres nœuds ne suffiront pas à la retenir. Selena ne veut plus suivre, Selena ne veut plus se laisser porter par les attentes de ses proches. Alors Selena fuit comme une voleuse avant que Kleos ne revienne, quand le soleil perce à peine la nuit, ne laissant qu’un piètre mot derrière elle “Ne vous faites pas d’idées, je ne vous apprécie toujours pas. Mais merci.” Elle fuit avec les mots de Kleos en tête, ces mots qui persistent et elle ne se laissera plus écraser, plus maintenant, il le faut.