son corps le long de son lit. encore nue, à peine éveillée, la journée est pourtant presque terminée. un de ses seins est couvert de la couverture et l'autre s'offre de manière obscène à la lumière du couloir quand une des filles ouvre la porte.
cela fait trois fois qu'on l'appelle, la somme de rejoindre le rez-de-chaussée où un client exige absolument la voir. paresseusement, à chaque fois, joséphine grommelle en n'acceptant qu'à moitié de descendre. elle acquiesce mais ne s'agite pas.

la jeune fille qui envoie un regard démuni au loin, revient à joséphine pour entrer dans la chambre. enjambe d'abord des robes qui traînent, et se ravise pour les ramasser en les lissant du plat de sa main. elle ne cesse de lui dire : réveille-toi ! lève-toi ! mais seulement des soupirs sortent d'entre ses lèvres. quand la rousse, à peine vingt ans, s'approche, joséphine, joueuse, lui attrape le bras et la tire un peu en riant. la plus jeune tire dessus pour se libérer dans un râle excédé et lui attrape la main pour la redresser. elle lui tend des vêtements sortis d'une lourde penderie dans une pièce annexe, et l'aide à mettre son corsage. comme une enfant, joséphine se laisse faire, baille aux corneilles, et se lève sans se chausser pour se maquiller un rien. un jour de plus où elle se présentera pieds nus.

sans envie, elle se traîne dans les couloirs, puis les escaliers, et descend le domaine sinueux mais bien rempli. elle cherche dans les salons du regard (alors que sa seconde la guide, mais ne peut s'empêcher de fouiller tout de même, visuellement) et finit par s'arrêter devant la porte d'une salle où ils ont fait attendre lazare. elles ont toutes insisté pour qu'il s'assied, car le temps sera peut-être long. le lieu est vieillot et très chargé. la salle fait peut-être dix mètres carrés et tous les murs sont couverts de tableaux de paysages. le mobilier grince et la tasse où une infusion a été servie pour lazare est d'un mauvais goût abject ; des êtres y sont représentés mais relèvent plutôt de l'horreur picturale que de l'art.

elle lui sourit grand et le fait d'ouvrir la bouche invoque un bâillement qu'elle ne réprime pas et qu'elle n'étouffe surtout pas d'une main. celle-ci sert à s'élever pour le saluer. vous me sortez d'une sieste intense. la vérité est qu'elle n'est pas levée depuis le petit matin. elle reste debout, et chasse la jeune fille qui a fait patienter le mercenaire d'un regard tendre et entendu. c'est que cela doit être d'une importance capitale. pour l'instant elle ne s'assied pas et le jauge du regard, attend une réponse - peut-être que dans son semi-éveil, celle qui l'a réveillée lui a dit ce qui forçait son invocation mais elle n'a pas écouté. il n'aura qu'à se répéter face à elle, tandis qu'elle recoiffe ses boucles lentement de ses propres doigts.

les distances ne deviennent rien, entre eux. joséphine se laisse approcher et cela avec aucun dégoût. tant de fois touchée qu'elle lui aurait ri au nez de se faire empoignée par la gorge ou le poignet - mais non, non ce n'est pas de ce qu'il est question.
c'est très vicieux comme il se penche pour susurrer et c'est vrai, c'est une femme faible face à l'or, une femme faible face à toutes ces images qu'elle peut se faire face aux promesses des sommes vertigineuses.

elle frissonne et tout son corps s'hérisse. elle sourit mais ce n'est pas de désir car il est si près qu'elle pourrait l'embrasser, mais car à la fantaisie qu'il lui permet - et qu'entend-il par beaucoup d'or ? son regard glisse de ses épaules à ses pieds, elle le reluque comme une amante, mais ce qu'elle veut pour elle et qui contenterait son coeur est bien sa bourse. rien d'autre. féline, elle a un léger roulement d'épaules pour redresse son dos et son sourire s'élargit en une demi-lune bien claire. lazare sait lui parler.

évidemment. elle ronronne et cherche et son regard - le sien est avide. déjà à moitié corrompue, éhontément elle lève un bras pour lui poser sa main sur son épaule. l'enserre légèrement, sans y mettre les griffes. et même s'il en était le cas, la carapace de lazare semble trop dur pour atteindre ses organes. si ce sont des informations politiques que vous voulez, je peux tout vous avoir. moyennant salaire. je suis une des meilleures de malronce pour cela. car elle n'envisage même pas de la démesure de la demande qu'il s'apprête à faire. elle hausse doucement des sourcils, interrogative et l'excitation rampante. à cet instant, elle n'a d'yeux que pour lazare et ne le lâchera pas tant qu'il ne dira pas ce qui l'emmène et ce pourquoi il peut bien la solliciter - l'issue lui est évidente, il ne sera question de quelques jeux de séduction auprès des plus grands qui ne la soupçonnent de rien de plus qu'être une catin.

que peut-il vouloir, cet ange venu de nul part ? s'il vient avec de quoi contenter son immense appétit en or, il est forcément porteur de bonnes nouvelles ! et si elle peut accepter, elle fera de ce jour un jour férié pour la prospérité et sa nouvelle propriété.
et les doigts serpentent, qu'ils montent, qu'ils s'abaissent, qu'ils tâtent la chair de son épaule ou de son sein, elle n'en a rien à faire. son corps n'est pas sacré, et n'a jamais été un temple. elle se fiche bien qu'on joue avec et le laisse faire sans le réprimander, elle lui est déjà à moitié offerte (certes attentive à ne pas tomber pour de belles paroles) à partir du moment où il a commencé à parler.

ses lèvres sont entrouvertes dans une perpétuelle interrogation et ses sourcils haussés. joséphine tend l'oreille, et la première phrase manque de lui provoquer une crise de rire hystérique - vendre une de ses filles ! mais pour qui se prend-t-il, cet inconnu sans assez de saveur pour l'instant pour lui convenir, ne se rend-t-il pas compte de l'absurdité de la demande ? cette main qu'elle avait posé sur son épaule relâche pour venir à sa bouche, comme dans une moue songeuse, mais c'est pour cacher son sourire de hyène à la lippe retroussée. il ne faudrait pas trop le provoquer, c'est qu'il pourrait se blesser ! pourtant, ses yeux rient aussi et trahissent son amusement certain, similaire à celui qu'on accorde aux enfants qui demandent des grandes personnes en mariage.

dans l'esprit d'un tout fait sens et dans l'autre, l'idée est illusoire. mais voilà, joséphine est une hôtesse tout-à-fait convenable, tout-à-fait sociable, tout-à-fait cordiale, alors elle l'écoute jusqu'au bout, acquiesce avec une mine pincée par le manque de sérieux et une fausse conviction en ses mots. elle retire ses doigts qui bandaient sa bouche, et tourne le nez vers lui. ainsi maintenant, puisqu'il était penché vers elle, leurs visages son très proches, et si sa mine est sérieuse quelques instants encore, irrésistiblement,

elle lui éclate de rire droit dans les yeux. oh mon pauvre garçon ! la mécréante, elle s'amuse très bien de la situation. oh mon pauvre, pauvre garçon... elle secoue doucement la tête et se retient de lui tapoter la joue, ne voulant provoquer trop de courroux, ne sait-on jamais la nature des étrangers à propos de la colère. il est bien mignon de votre part de vous inquiétez pour moi, doit-elle le dire ou effectivement faire mine de ne posséder le sou ? mais je suis loin d'être sans le sou. personne ne peut prétendre connaître joséphine avant de l'avoir aperçue, ou d'avoir discuté avec - c'est un personnage d'une singularité simplette. et je ne vends pas mes filles. c'est ce qu'elle dit ! mais contre toute bonne somme d'or... la négation absolue permet de faire enfler les prix sans même qu'elle en prononce l'éventualité. la rareté rend la chose plus chère, plus précieuse. je ne les jette pas en pâture, j'aurais bien trop peur... vous savez... qu'elles finissent entre de mauvaises mains. et elle cherche à se dégager de lui, d'un pas loin d'être endormi maintenant. aaaah quelle perte de temps pour vous et pour moi ! vous avez le mérite de m'avoir fait bien rire ! et pour illustrer, elle se fend à nouveau d'une bonne tranche de rigolade, à gorge déployée et bruyamment. le dernier regard qu'elle lui adresse est plein de curiosité et sans un mot, un sourire toujours béat aux lèvres et la mine interrogative. que compte-t-il faire maintenant ? le commerce se fait dans tous les silences et elle en a bien conscience.

les rires en miroir, tant mieux si la situation le fait rire tout autant. lui non plus ne sera pas perdant dans cet échange ! du moins c'est ce qu'il imagine, jusqu'à ce qu'il prenne la parole. un loup ? une brebis ? joséphine est déjà humaine, déjà animal, alors pourquoi faire ? ses crocs sont des dents et ses yeux n'ont pas volonté d'illusion animalière. elle n'est qu'un corps et un esprit pensant - dépendante de ses besoins. et ses besoins sont coûteux, sont toujours plus grands et sa soif jamais ne se tarit. ce n'est pas le propre du loup qui prend ce qui lui est nécessaire, qui dévore une brebis, trois si elles sont galleuses avant de s'en aller - non joséphine veut le monde entier !

elle n'a pas le temps de se remettre de ses émotions qu'elle doit être contrariée donc, elle le lit à la mine de son interlocuteur qui embrasse ses doigts pourtant vils et sales, pourris par la bassesse humaine et la crasse sentimentale. joséphine n'a jamais prétendu être quelqu'un de bien, et c'est peut-être pour cela cette comparaison faite - maintenant tout fait sens et elle revient sur sa première réflexion. elle est celle qui déchire les chairs, et pas l'inverse, c'est bien cela ? alors elle accepte le baise-main d'un loup.
elle se laisse conduire, sans crainte, et s'assied dans un épais siège. si lazare gouverne c'est bien elle qui est la maîtresse des lieux et en mimétisme elle aussi, se permet de se morfondre dans le siège confortable. la tête penchée sur son épaule, et les épaules basses, la poitrine alors un peu tombante dans le cuir du corset qui se plie, elle semble prête à s'endormir, pourtant bien éveillée. davantage de la nonchalance.

le début de l'histoire la fait sourire comme une idiote, le manque de formes aussi, enfantine et facile à amuser, encore. elle n'est convaincue de rien, fait passer le temps, est prête à l'écouter si ça lui fait plaisir lui. pour l'instant elle est ferme dans sa prise de position. et cette histoire de bague, elle ne comprend pas directement, trop littéraire, trop compliqué, elle est idiote. c'est une métaphore donc ? ses yeux se plissent avec perplexité, perdue, mais tout s'illumine à la menace qui suit.

ah ! les mains tombent, et le sang ruissèle, et les empires brûlent. maintenant elle fronce sincèrement des sourcils, piquée dans son intégrité. si elle accepte, il y a de l'or et de la paisibilité, et si elle refuse - si elle refuse le néant et la destruction d'une vie entière. naturellement, sans y réfléchir, elle se redresse, perturbée par l'éventualité d'une fin proche. et tout cela pour une femme ? vous devez être sacrément amoureux. son ton s'est raffermi, elle est davantage quiète. calmée par les murmures de lazare, elle ne le lâche pas du regard, cherche à comprendre ce qui pourrait motiver tant d'engouement. le prix dépend de quelle fille dont il est question. avoue-t-elle enfin. c'est le début de la victoire pour son adversaire, mais elle n'a pas l'impression d'y perdre. c'est donnant-donnant.
elle croise ses mains sur la table, se penchant aussi dans l'interrogation, jouant encore sur les proximités de l'un et de l'autre, les gueules des bêtes si près qu'ils peuvent discerner leurs respirations.

il faut se méfier des dernières fois, surtout celle des hommes comme lui. malgré ses apparences, elle n'aime pas particulièrement jouer avec les feux car elle en connaît les dangers et cède un peu à lazare sur ça. elle se méfie de toutes les âmes et de tous les hommes qui n'ont pas cédé leur coeur à sa beauté vive.

et theodora n'est pas seulement un prix monétaire, mais aussi la promesse de ne pas toucher à tout ce qui lui appartient. la discussion est ferme, ne s'étend pas inutilement dans mille courtoisies, il vaut mieux aller directement au but pour ne pas se perdre dans des divagations inutiles au sujet. elle reste penchée, la respiration intense mais calme - de longues inspirations silencieuses, le regard qui dévie dans sa réflexion, et dans une audace pourtant calculée et loin d'être si onéreuse en sachant combien theodora peut lui rapporter (une de ses plus précieuses et plus utiles, puisqu'elle manie l'art du mensonge), que pensez-vous de sept milles dores ? rien que ça, elle recule aussi lentement son torse pour appuyer son dos dans le siège, reprenant ses appuis. sa mine est floue et ses lèvres ne sont pas vraiment promptes à un sourire, toutefois ce n'est pas la mauvaise humeur qui flotte. les coudes sur les accoudoirs, le regard impérieux, elle dépose le plat de sa main sans se brusquer sur la table et ses irrégularités. toutefois, elle aussi a ses conditions et on réaperçoit la madone adorée, la mère de toutes ces femmes dans le manque de mou de ses mots. ce ne sont pas des requêtes mais une obligation. vous devez me faire un serment sur la maison-dieu que vous ne lui ferez aucun mal, ne lui infligeriez aucune blessure, et ne la tuerez pas. vous la traiterez comme je la traite ici : bien. et la protégerez. sinon vous pouvez toujours aller courir. car les revers de manche sont aussi terribles, elle a mille amants et bien des défenses - elle ne veut pas la guerre mais peut s'y préparer, a ses valeurs et jurer sur le ciel et les arcanes est la plus haute des promesses. elle attend le verdict et la richesse, corrompue mais droite dans ses bottes dans sa morale.