On est enfin libre, enfin vraiment libre.

Mais on découvre le monde, on fuit. Yekun a fuit Sombrelune et les mages tout comme il a fuit sa famille - peut-on appeler ça une famille ? Il erre et admire chaque parcelle du paysage, il erre et apprend la vie.

Mais, dans la précipitation, dans l'euphorie du départ, on avait oublié qu'on avait rien, on avait oublié qu'on ne savait rien et que pour vivre, il fallait de l'argent, des pièces sonnantes et trébuchantes. Alors, on a vendu la seule chose qu'on avait, notre corps.

Échoué dans une auberge de Haut-Chant, Yekun a glissé à l'aubergiste qu'il vendait ce genre de service, ce dernier aimable, l'a accepté pour quelques jours. Quelques jours pour se poser, et réfléchir à ce qu'on va devenir à cet avenir entre incertitude et exaltation.

L'aubergiste lui glisse quelques dores dans la main et lui indique une chambre à l'étage. Yekun sourit et s'engage dans les escaliers. Ce n'était pas son premier client et il avait toujours été à l'aise avec son corps malgré les cicatrices qui pouvaient marbrer son dos et ses cuisses, vestiges d'une enfance désastreuse.

L'homme ne le regarde pas. Dans ses mains, des pierres tournoient lentement. Yekun craint un instant à un mage en promenade et se demande si on ne va pas le ramener à Sombrelune. Mais il dégage de lui une telle impression de tristesse et de mélancolie qu'on oublie les craintes et qu'on s'approche avec la douceur d'un souffle.

- C'est moi monsieur, je m'appelle Yekun.

Il pose un genoux sur le lit et se glisse aux côtés de son futur client. Il détaille son profil avec curiosité. Il est beau, très beau, royal, altier mais il a l'air si triste. On aurait presque envie d'essuyer les larmes imaginaires qui coulent sur ses joues pâles.

La question le déstabilise. Comme si l'autre ne savait pas ce qu'il était. Ce qu'il vendait. Interloqué, il ne réagit pas tout de suite.

- Je pensais qu'en faisant appel à quelqu'un comme moi, vous saviez déjà à quoi vous attendre ...

Trouble, étrange rencontre au creux de cette chambre en désordre, naissance de quelque chose qui ne grandira jamais.

Yekun a compris rapidement que parfois, quand on appelle quelqu'un comme lui c'est plus pour oublier un mauvais moment que pour en passer un bon. Il fait office de tampon, il essuiera de nombreuses larmes au cours de ces nuits sans retours. Des larmes et des soupirs contre quelques dores. On attrape la tristesse du monde et on l'envoie au septième ciel.

- Je ne dirai rien à personne, jamais.

Il sourit, doux. C'est la première fois qu'on se préoccupe aussi de son plaisir, de lui. Alors qu'il n'avait l'impression de n'être qu'un passage entre leurs draps, qu'un sourire, qu'un baiser pour les distraire, il devient quelqu'un.

L'autre se laisse tomber sur le dos et on admire les muscles qui se laissent entrevoir par le tee-shirt. Ses doigts viennent caresser la nuque de Yekun qui courbe l'échine pour s'offrir à ses caresses. Il délaisse son manteau et jette ses chaussures dans un coin. Doucement, il vient se placer au dessus de lui, les mains de part et d'autres de sa tête.

- Euterpe ...

Il le murmure, comme un souffle, il parait le chérir. Ses doigts viennent effleurer sa joue, presque hésitant, presque perdu. On le voit rarement désemparé Yekun, on le voit rarement aussi fasciné, aussi ... séduit.

- C'est beau ... vous êtes beau.

Il voudrait l'embrasser, se perdre contre lui plus qu'il ne s'est jamais laissé aller mais il n'ose pas, on a que dix-sept ans, intimidé et fasciné. Ses lèvres planent au dessus des siennes, comme en suspens, comme un rêve, un point de basculement sur lequel jamais on ne pourra - ne voudra - revenir.

- Je peux ?