Ann était au début de sa carrière, mais elle avait l’impression d’être déjà au meilleur de son art. Rien ne l’alerta sur son manque d’expérience dans la gestion de ses activités. Déjà, elle aurait peut-être dû penser qu’avec un caillou à la place d’un caillou avec un dessin bancal à la craie, c’était moins glamour. Mais dans ses pupilles azur, elle n’arrivait pas à voir le revers de la médaille. Elle avançait de village en village avec son âne, le sourire sur les lèvres, impressionnant pas tant que ça son public.

Mais arrivé à Trois-Rivières, elle comprit que quelque chose n’allait pas. Elle n’arrivait cependant pas à mettre la main dessus. Peut-être était-ce en voyant sa bourse se vider, ou bien voir son cher Bernard le pigeon et ne rien avoir à lui donner que des vieilles graines pour le sustenter. Il lui fallut encore quelques jours pour se rendre à l’évidence. Elle était fauchée.

Elle avait laissé son âne à l’auberge et elle vadrouillait dans le quartier commerçant, sans trop savoir ce qu’elle allait trouver pour quelques misérables deniers. Au final, elle trouva un quignon de pain et juste de quoi nourrir son âne. A la limite, elle pourrait se jeter à l’eau pour aller pêcher, même si elle n’avait presque aucune expérience en la matière, elle aurait ses pauvres créatures à l’usure. Sur le chemin du retour, la botte de foin sur l’épaule, une pirogue retint son attention.

Elle n’avait pas encore vu cette petite pirogue sur le chemin. Sur son étalage, quelques bijoux allumèrent les yeux de la jeune femme. Elle n’avait aucune idée de leur prix ni de leur valeur, et elle n’en avait vraiment aucun intérêt. Non ce qui l’intéressait, c’était plus le fait qu’elle n’avait pas vu ce commerce les jours auparavant. Elle s’approcha, le calme avant la tempête, interpellant la pauvre vendeuse :

« Je t’ai pas vu hier, t’es nouvelle ? Tu t’es perdue ? Oh non, je sais ! Tu dois être itinérante comme moi ! »

Cela aurait totalement pu ne pas être le cas, comme les cinq autres vendeurs qu’elle avait accostés  de la même manière. Sans le savoir Ann était une adepte de la théorie des grands nombre et ne se rappelait que des réussites. Elle sautille et se jette sur la pirogue, non sans ébranler l’équilibre de l’embarcation. Elle posa le carré de foin et mis ses mains sur la table, encore plus déterminée que jamais. L’espace personnel n’avait aucun écho pour la prestidigitatrice.

«  Dis, comment tu fais ? »

Une question bancale qui était pourtant claire dans sa tête. Elle voulait des réponses et elle ne la lâcherait pas.

Son sourire n’en était que plus radieux.


@Claire Doucebrume  hésite pas s'il y a un soucis, j'ai pris pas mal de libertés. QWQ

Ann observait la demoiselle, mais rien ne semblait se produire au fond de ses prunelles. De sa question en naissait une autre et elle ne comprenait pas. Pourquoi répétait-elle ses interrogations ? Elle avait déjà dit ce qu’elle voulait. Elle désirait la connaissant, le moyen de vivre avec un peu plus quelques pièces. Instinctivement, elle penchait légèrement la tête sur le côté, et elle attendit. L’étrange chat ne l’avait pas (encore) interpellé, elle était venir à sa rencontre pour une seule raison, enfin pas vraiment.

Il lui suffisait d’un instant pour oublier.

Un ange passa et elle fronça les sourcils. L’artiste comprit que peut-être elle n’avait pas assez creusé. A vrai dire, cette hypothèse lui paraissait improbable, mais dans le doute. Ses yeux semblaient chercher les mots. «  Baaaaah…. »,  commença-t-elle. Mais elle ne continua pas, le félin venait illuminer son univers. Un couinement strident, trépignant « IL EST TROP BEAU ! », et elle devint de nouveau calme. Parce qu’elle sent que ce n’était peut-être pas la meilleure manière de commencer le contact avec un félidé.

Elle ne se rendait pas compte que son attitude pouvait être encore plus lunatique pour la marchande.

Elle se posait sur le comptoir, son menton se logeant dans sa main. Ses questions de subsistance s’envolaient loin, très loin, mais elle y reviendrait le plus naturellement du monde, quand elle réfléchirait de nouveau. Ce chat était étrange, ce n’étaient pas les courbes qu’elle connaissait. Il semblait plus beau et plus noble que tous les bijoux en face d’elle, ou peut-être était-ce la nouveauté qui la faisait pencher dans cette direction.

Ah oui la vendeuse.

Un sourire simple et elle se redressa. Elle se recula un peu, comme si elle venait de se rendre compte qu’il y avait des limites de bienfaisance qu’il fallait respectait. Sa voix se faisait plus neutre mais toujours un peu présente :

« C’est le vôtre ? Il a un nom ? Il est bizarre ! »

Elle n’irait pas plus loin dans son ressenti. Ann était fière d’elle, à ne pas aller trop loin et à s’arrêter. Pas assez pour le monde probablement.

Presque affalée, Ann fixait la marchande de ses prunelles bleu des îles. Amesta donc, mais la jeune femme ne semblait pas vraiment se satisfaire de cette réponse. « Oh ... » Elle donnait l’impression que toute son énergie venait d’être aspirée. Particulier ou bizarre, c’était la même chose, elle ne l’avait pas vraiment aiguillée. Son regard se posa de nouveau sur l’animal qui semblait… Contrariée ? Ann ne connaissait pas le langage des animaux, elle n’était qu’une simple humaine sans particularité. Mais comme on peut sentir un chat agacé par sa gestuel, elle percevait ces signes chez le félidé alors qu’elle en était incapable chez les gens de son espèce.

Ou peut-être l’imaginait-elle.

Elle aurait voulu la questionner davantage, mais une autre question intercepta le cours de sa pensée. Son nom ? Etrange interrogation. Que ferait-elle la vendeuse avec son patronyme ? Ann resta interdite. Finalement ce fut avec l’annonce du patronyme de sa comparse qu’elle raccrocha les wagons. Claire était un joli nom, si elle devait choisir elle prendrait celui-là. Comme Bernadett il y avait quelques secondes auparavant et tous les autres noms des personnes qu’elle avait croisées. « C’est mignon ! » ,tonna-t-elle en se redressant. Ce regain la faisait presque sautiller sur place.  La grandventeuse ferma les yeux et fit une jolie révérence en se présentant.

« Je suis Ann Teyrieur, artiste itinérante depuis peu. Je pense que je vais bientôt partir pour Tombe-à-Pic… OH D’AILLEURS !»

La voix claquait dans l’air à une dizaine de décibels au-dessus du raisonnable. Elle venait justement de décider de sa nouvelle destination et elle se rappela la raison de discuter avec la jolie demoiselle. Elle applaudissait doucement, comme pour canaliser son attention.

«Ca se passe bien ton commerce ? Moi,  J’ai de quoi nourrir George mais j’ai l’impression qu’il y a quelque chose qui ne devrait pas se passer ainsi… »

Ann  semblait chercher la réponse dans le ciel, mais elle n’en trouva aucune. Sa pensée n’allait pas plus loin que cette sensation de fausse note. Seule, elle n’arriverait pas à se dire que c’était important de gagner de l’argent pour manger. Seule, elle pourrait oublier même la raison de son périple. Elle s’accrochait alors aux paroles des autres pour la guider.

Ce jour-là, son phare était une vendeuse de bijoux qui se prénommait Claire.

Ce sentiment étrange ne la quittait pas. Si la jeune demoiselle n’avait pas de réponse sur le moment, elle n’en aurait jamais, et c’était l’une de ces situations. Elle n’avait jamais été une intellectuelle, elle se laissait guider par ses ressentis et les dires d’autrui. Elle cligna des yeux et se reconcentra sur son interlocutrice, cette fois alerte. Elle avait la conviction que Claire serait de bon conseil, mais sans doute qu’elle aurait ce même à priori avec une tout autre âme.

Elle fut cependant surprise d’entendre le nom de son frère aîné.

Son sourire s’étira, comme à chaque fois que l’on nommait un membre de sa famille. Ann était fière de ses origines, même si elle n’avait aucun don de guérison et qu’elle s’est éloignée de la magie. On lui avait souvent dit qu’elle était tellement différente des siens par son énergie et ses capacités aquatiques, mais elle ne l’avait jamais ressenti. Malgré tout, elle appréciait cette reconnaissance. Elle hocha la tête enjouée.

« C’est cela même ! Aaaah mon frère est un magicien tellement connu, je l’envie … »

Elle était sans doute la seule à imaginer que c’était par sa réputation et non parce que la bijoutière avait déjà croisé sa route. Après tout, son frère était un mage, un vrai de vrai. Il avait tout sacrifié à la Maison-Dieu, qu’elle honneur cela devait être. Ann ferma les yeux, s’imaginant un instant à sa place. Même si elle n’avait pas réussi à passer l’Eveil, on lui avait tellement raconté que c’était comme si, ou moins une version fantasmée. Cela lui procurait une joie indicible.

Elle avait déjà oublié que l’on avait parlé d’Alex.

Mais il semblait que Claire aimât répondre à des questions  par d’autres questions. Son sourire disparu, ne laissant qu’une légère grimace. Elle était un peu gênée de cette situation car elle ne savait pas comment décrire davantage «  Bah quelque chose qui ne va pas ? », tenta-t-elle ? Ann n’avait pas ni les mots, il l’intuition qui permettrait d’exprimer son désarroi.

Elle réfléchit bien une seconde, avant de se dire que c’était une bonne idée de le mimer. Elle arrondissait son dos et écarta les bras pour prendre du volume. Elle tapa alternativement les pieds, faisant vibrer l’embarcation malgré elle. La brunette y ajouta des grondements et des petits cris aussi agréables que de la craie sur un tableau. Lorsque son odieuse présentation se termina, elle se redressa comme un i, avec un air aussi gêné qu’amusée.

« … Cela doit être comme ça à peu près ! »

Même si elle vivait quelque fois dans un autre monde, elle était totalement consciente que cela n’aiderait Claire. Elle était simplement à court d’option. Mais sur un malentendu, elle tenta une dernière fois, avec des mots étrangement compréhensibles :

«  … C’est comme quand tu as faim et que tu n’as pas mangé depuis longtemps parce que tu n’as pas les moyens… J’ai faim maintenant. »

Elle aurait sans doute dû commencer ainsi, mais en réalité cela lui paraissait encore plus lacunaire comme explication. Elle devrait sans doute aller pêcher un peu pu loin, elle n’était pas douée pour trouver des légumes. Après elle ignorait comment pêcher, mais cela ne devrait pas être si compliqué. Peut-être l’étrange chat pourrait lui apprendre, mais elle ne savait pas parler le félin. Elle ne pensa pas un seul instant à ce qu’elle pourrait acheter.

Après tout, elle était totalement fauchée.