On était venu le trouver pour l'informer que quelqu'un d'important attendait à la porte. Lazare avait resserré son veston de cuir, et ses bottes s'étaient enfoncées dans la boue pour rejoindre le grand portail de la demeure Priest. Il n'était pas ravi de devoir quitter ses occupations pour gérer "un petit problème dont il serait forcément à la hauteur" s'il reprenait les dires de son majordome Robin.
Et pourtant, alors qu'il réduisait peu à peu la distance qui le séparait du dit problème, il crut reconnaitre la silhouette de son très cher ami qui attendait derrière la porte en bois à gauche du portail. Au travers des barreaux (de prison) se dessinait la carrure d'un homme qu'il tolérait (plus qu'il appréciait) dans son univers.

Il ouvrit la porte, et son visage se feignit d'un rictus habile. Les yeux mi-clos, il jaugeait Lancelot, mu d'une exaltation malsaine à l'idée d'être provoqué directement chez lui. Lazare songea un instant à toutes les manières dont il pouvait faire payer au gérant du marché noir l'affront qu'il venait de lui faire.

— « Un heureux hasard que tu saches lire les écriteaux, en effet. Et une chance que je sois apte à recevoir à tout instant. »

Lazare avait souris avec toute l'hypocrisie qu'il pouvait feindre. Son ami-ennemi saurai très bien deviner qu'il était faux dans chacune de ses expressions, sauf celle-ci. Lazare était réellement piqué à vif et son désir de vengeance ne faisait qu'accroitre sa sympathie.

— « Entre, donc. Je t'en prie. »

Il s'écarta pour le laisser passer et claqua la porte derrière lui pour le rejoindre avec le sourire, les mains derrière le dos.
Sa démarche était assurée et presque enfantine tant il trottinait presque à ses cotés.

— « Pourquoi me rends-tu visite ? Aurais-tu des bonnes nouvelles à m'annoncer ? »

Il perdit son sourire et se plaça devant lui, les pieds joints et le menton relevé. Il avança légèrement la tête, le dos droit, pour parler plus doucement.

— « Je suis de très mauvaise humeur aujourd'hui, alors j'espère que ce n'est rien de décevant, Lancelot. »

Il n'avait aucune bonne nouvelle mais Lazare s'en doutait. En réalité il savait pertinemment pourquoi son "ami" avait franchi la porte de son portail.
Il n'estimait que ceux capables de venir le trouver chez lui, dans son terrain, dans son arène aux pires ignominies.

Lancelot lui témoigna de sa mauvaise humeur, venant succéder la tienne. Lazare prit la peine de feindre un air compatissant. Etait-il la raison de sa frustration ? Il l'espérait au fond de lui, d'avoir gravé sa place dans son coeur de pierre.

— « Triste journée, triste rendement. Tu vas me faire pleurer Lancelot. »

Il le suivit, marchant derrière lui, les mains dans le dos et la démarche assurée. Il avait l'air d'un enfant arrogant - certes - mais d'un enfant confiant. Car Lazare gagnait toujours quand il jouait dans la cour des grands.

Alors il le suivit jusqu'à la porte d'entrée, fit un signe à Robin de préparer du thé. Il repassa devant Lancelot pour l'escorter jusqu'à la salle à manger, le fit s'asseoir au bout de la table alors qu'il prenait une chaise pour s'y installer à l'autre extrémité.

— « Pourrais-je peut-être te dépanner ? Cela ne me gênerait pas le moins du monde. Je suis prêt à tous les sacrifices pour aider mes amis. »

Lazare avait attendu la sentence comme un enfant impatient de voir ses parents en colère. Ses yeux avaient brillé de suffisance, braqués dans les siens. Dans le silence s'était élevé une fragrance meurtrière, une tension qui aurait coupé le souffle de quiconque qui se serait invité dans la pièce.
D'ailleurs, Robin savait pertinemment que ce 'était pas un bon moment pour proposer un accompagnement.
De toute façon, plus personne n'avait faim.
Enfin, si. Lazare avait un appétit insatiable.

Dans ses rêves les plus fous, il se levait. Il se rapprochait de lui, faisant glisser ses doigts sur le bois. Une fois à sa hauteur, il poserait délicatement sa main sur son épaule. Sortirait son poignard pour lui enfoncer dans la poitrine.
Le tourner lentement, pour le laisser savourer de sa propre mort. Et abandonner son corps comme un tapis qui s'imprégnerait de son parquet.

— « Entendu ! Je serai ravi d'aider, bien sûr. De combien as-tu besoin Lancelot ? »

Lazare se leva, guilleret.
La colère toujours intériorisée, la frustration d'avoir été découvert mêlé à la satisfaction d'avoir réussi sa provocation. Désormais, Lancelot aurait comme une dette envers lui et Lazare en était subjugué ; il fantasmait à cette idée.

— « Les bons comptes font les bonnes affaires, n'est-ce pas ? »

Il s'approcha, faisant glisser ses doigts sur le bois de la table. Comme dans son rêve. Son autre main effleurant son poignard avec discrétion. Finalement, il s'assit sur la table juste à coté de lui, le surplombant d'un rictus maléfique.
Et il murmura :

— « Et profitons-en, pour négocier mes parts. En remerciement de ma générosité. »

Lazare attendait, satisfait, insolent et surtout provocateur. Il savait pertinemment que Lancelot n'oserait pas le tuer et c'était pour cette raison qu'il se permettait d'en tester les limites. Jusqu'à où pouvait-il aller, jusqu'où pouvait-il risquer sa vie pour admirer le visage déconfit de son très cher ami Lancelot ?

A la vue du poignard, Lazare ne bougea pas d'un millimètre et se laissa attraper par le col en ricanant. Son rire s'évanouit dans l'air alors que le chef du marché noir le menaçait yeux dans les yeux.
Lazare n'était pas qu'un homme de parole, il était surtout de ceux qui agissent.

— « Moi, si j'avais été à ta place, je t'aurais tranché la main sans aucune hésitation. C'est ainsi qu'on punit les voleurs, non ? »

D'une main habile, il attrapa le poignard que le tira hors du bois pour coller la lame à sa gorge. Pressant un peu, Lazare leva les yeux au ciel avant d'éloigner l'arme pour la ranger à sa ceinture.
Il l'avait obligé à le lâcher et s'était éloigné, les mains derrière les dos comme à son habitude.

— « Tu es faible Lancelot. Et c'est pour cela qu'un jour prochain tu mourras. Je saurais être assez cruel pour te rappeler qu'aujourd'hui tu as choisi d'être plus doux qu'une catin. »

Il se tourna dos à lui.

— « Tu es un monstre qui s'ignore. Tu es comme moi, mais ce que tu prends pour de la clémence te rend fragile. »

Lazare leva les bras au ciel et l'affronta de nouveau, un sourire totalement fou au visage. L'expression de ses traits tirés exposait sa démence à son monde entier : et en ce jour Lancelot en était le seul témoin.

— « Je pourrais t'apprendre. À être impitoyable. »

Lazare s'était laissé approché, il l'avait observé - pendu à ses lèvres - le regard presque fasciné par l'allure de Lancelot.
Par ses mots qu'il crachait avec aisance, par l'audace dont il faisait preuve alors qu'il n'était pas chez lui mais bien dans la demeure de celui qu'il osait insulter.

Lazare dissimula toute la colère et la haine qu'il éprouva en cet instant, muselé par le sentiment qu'il détestait le plus : la raison.
Il se devait de l'être : raisonnable.
Ployer le genou pour mieux faucher ses jambes. Même un genou à terre, il saurait le mettre à terre. Même au sol, il l'enjamberait.

Lazare se l'était juré, il l'anéantirait.
Mais pas aujourd'hui.
Quand finalement Lancelot se déclare (sous-entend) qu'il a le droit de vie ou de mort sur lui, Lazare étire cette fois un sourire fou, cette fois c'est trop tard il est -
déraisonné.

— « C'est ça ! C'est ça que je veux voir ! J'ai eu froid dans le dos je dois te l'avouer... Terrifiant. Impitoyable. »

Il se moquait ouvertement de lui, dans son attitude burlesque et fantasque. Il le montra du doigt en ricanant.

— « Tu es fort... haha, tu es très fort. »

Et il lui tourna le dos, étouffant ses rires rauques peu à peu en raillerie ponctuée de gloussements caverneux.
Les mains derrière le dos, Lazare inspira un grand coup et reprit une attitude plus solennel.

— « Tu auras ton or dans la quinzaine. »

Encore une fois, il abusait un peu. Il prenait son temps comme s'il n'était pas alarmé. Lancelot l'avait bel et bien énervé, dans l'indifférence qu'il avait porté à ses menaces, dans l'audace des siennes, et pourtant Lazare se devait d'agir de même.
Un signe de faiblesse amenait la mort.
Un clignement d'oeil et cela suffisait à la semer.

— « Attention à la marche en sortant, Lancelot. Il ne suffit de rien pour tomber. Ça serait malheureux. »

Et il passa sa langue sur ses lèvres pour se délecter nerveusement de la vision, l'imaginant s'effondrer à ses pieds.