Cette journée là, Lazare avait pris son après-midi pour se rendre au marché noir accompagné de Harmony et de son majordome Robin. Si sa chère et tendre lui avait faussé compagnie à l'entrée du domaine pour aller faire courir les limiers dans la forêt, il était rentré en compagnie de Robin, exténué et surtout frustré de n'avoir rien trouvé à acheter. Ses caves étaient presque vides et Lazare dépérissait d'ennui.

Il retira son veston de cuir qu'il jeta dans les bras de Robin puis s'avança vers la cuisine, un sourire glacial étiré jusqu'aux oreilles.

— « Bianca Arngrim. »

Il avait rit nerveusement, à moitié fasciné par sa présence à moitié agacé par l'idée qu'elle puisse se trouver chez lui lorsqu'il n'était pas là.
Lorsqu'il ne pouvait pas être en plein contrôle de la situation.

— « Excellente, celle-là ! » Il gloussa en roulant des yeux pour observer sa cuisine. « Tu es très drôle comme femme, tu sais. »

Lazare restait debout, les mains derrière le dos. Il adoptait une attitude aussi innocente que confiante. Il lui montrait qu'il n'avait en rien peur d'elle, et qu'il demeurait en parfaite sécurité.
Après tout, elle était là chez lui. Dans l'antre du diable en personne.

— « Je suppose que tu es venu parler argent. Combien de dores veux-tu, pour cette fois ? »

Il releva les yeux pour les braquer dans les siens.
Pour cette fois.

Il n'avait pas perdu son sourire lorsqu'elle avait qualifié leur relation d'amitié. Il n'aurait pu trouver un terme plus adéquat et se satisfaisait de ces mots qu'ils ne prononçait que trop de fois sans qu'il n'en savoure réellement la valeur.
Lazare était loin d'être stupide et laissait les sous-entendus létaux glisser des doigts de Bianca jusqu'à son col (trop près de sa gorge).

On ne tue pas ses amis, pas vrai ?
Lazare s'était raclé la gorge. Il ne tuait pas ceux qui lui étaient fidèles, ceux dont il pouvait extorquer les services ou ceux qui dont la mort ne saurait lui procurer du plaisir. Il ne savait pas ou ranger Bianca Arngrim dans ces choix-là et il avait choisi de la qualifier d'amie, pour ne pas s'en retrouver frustré.

— « On ne tue pas ses amis, exactement. Tuer, c'est mal ! Ses amis, encore plus. »

Si elle voulait jouer à l'ingénue, Lazare pouvait revêtir pour elle tous les rôles qu'elle désirerait.

Les mains le long du corps, il les avait lentement remonté pour attraper fermement ses poignets.

— « Six cents dores. Je suis honoré que ma personne vaille aussi chère. »

Il aurait certainement valu encore plus si le nom des Priest était davantage reconnu.
A cette pensée, Lazare pressa légèrement sa prise sur sa peau et étira un sourire des plus carnassiers. Il la lâcha et tourna les talons.

— « Que dirais-tu d'un prix pour m'amener ce malotru Bianca ? J'aimerai m'entretenir avec lui. Je sais que tu te spécialises dans l'assassinat mais ça devrait être dans tes cordes, n'est-ce pas ? Pour un ami. »

Lazare avait mimé un soupire de déception, amenant une main à son front pour se tenir la tête qui pendait de désarroi.
Il avait râlé comme si l'évidence ne l'arrangeait pas du tout. Et car il la savait que peu convaincue par son jeu d'acteur un peu trop grossier, il avait souri, les yeux écarquillés de folie.

— « Bien sûr que non. »

Il avait posé sa main sur son épaule, qu'il avait ensuite effleuré comme pour en recueillir de la saleté. Son pouce et son index se frottèrent et il écarta les doigts pour lâcher la poussière.

— « Tu es dure en affaire. Mais ne pourrions pas nous arranger autrement ? »

Ses yeux se dirigèrent - sans qu'il ne bouge la tête - vers la fenêtre d'où on entendait aboyer les limiers qui couraient dans la cour.
Il sortit deux poignards de sa ceinture qu'il exhiba devant elle, l'arrogance marquée au coin des lèvres.

Après les avoir fait tourner le manche entre ses doigts, il éclata de rire et la contourna pour venir les planter dans la table.

— « Je plaisante, évidemment. »

Il détacha sa bourse de sa ceinture et la glissa entre les deux lames.

— « Sers-toi donc, fais comme chez toi, Bianca Arngrim. »

Lazare avait osé rire.
Tous les deux le savaient : il n'y avait de drôle que d'imaginer l'autre bouillir intérieurement face à l'affront. Il n'y avait d'excitant que cette tension meurtrière qui les enchainait à une réputation, qu'ils savouraient.
Lazare avait osé rire, comme un enfant.
Puis son regard s'était fait noir, intense, dévastateur. Lazare savait être innocent mais il jouait dans la cour des grands.

— « Je ne veux pas que tu fasses passer un message Bianca. J'aurai aimé m'en occuper moi-même. »

Il s'était fait des ennemis, mais il se pensait pourtant trop craint pour qu'on tente d'engager des mercenaires pour le tuer.
La notoriété du succès garanti des Arngrim donnait trop d'espoir et Lazare voulait être le seul à pouvoir s'assouvir de leurs désillusions.

— « Je veux qu'ils comprennent que le fait qu'ils soient encore en vie n'est du fait que de ma pitié envers eux. Je refuse de passer pour ce que je ne suis pas. Ma grande compassion à leur égard ne doit pas être confondu pour de la faiblesse. »

Son corps mort ne lui importait peu.
Car c'était bien vivant qu'ils porteraient le blason de la sentence, qu'il sentirait sur lui s'accumuler le poids de la souffrance.
La vraie, celle qui n'achetait plus les regrets.

— « Cela a plus de saveur de ma main, ne le prend pas mal. Prend ce qu'il te faut et - »

Il se figea, et posa délicatement sa main sur la bourse pour lui empêcher d'en prendre plus.

— « Avant cela, je veux un nom. »

Lazare était moins capricieux qu'il n'était rancunier. Il accorda un regard noir à Bianca, n'ayant même pas la force de feindre un sourire lorsqu'elle lui avait parlé de mariage. Elle était belle et son nom avait du poids, mais Bianca n'était pas une proie de choix. Déjà car elle n'était pas une proie.
Lazare n'avait aucun code et aucun honneur sinon celui d'asservir ses envies.
La mort n'était pas assez forte, pas assez puissante. Et elle était surtout salvatrice de toute la douleur qu'on pouvait infliger à quelqu'un de bien vivant. Celle qui fait réfléchir et un peu crier.

— « Je vois. »

Lentement, il enleva sa main pour la laisser se servir de nouveau. Il avait pris un peu de distance pour bouillir en silence. Au moins, ses détracteurs ne seraient plus.
Mais gagner de cette manière, par un intermédiaire, c'était incroyablement frustrant.

Il avait pris un siège de la table d'à côté pour s'asseoir et croiser les jambes, la tête accoudée au plan de travail derrière lui.

— « Et dis-moi Bianca Arngrim. Pourquoi ne me tues pas aujourd'hui ? Pourquoi trahis-tu ton cher code pour me laisser en vie ? Est-ce pour l'argent ? Ne me fais pas croire que c'est parce que nous sommes amis. »

Elle avait l'habitude qu'on lui demande pourquoi elle tuait.
On lui demandait aussi, à lui, et il ne savait jamais répondre autrement que par
"je ne te tue pas, regarde, j'ai pitié de toi."
Lazare Priest n'avait aucune pitié et il savait que Bianca Arngrim n'en avait pas non plus. C'était précisément pour cela qu'il était aussi fasciné.
Il n'aimait que ceux incapables d'aimer.
Il l'imaginait aussi froide que cruelle quand elle assassinait.
Il aimait l'imaginer.

— « Je suis satisfait, tu peux compter là dessus. »

Il se leva pour la rejoindre, marcha rapidement pour annihiler la distance qui les séparait l'un de l'autre. Il s'octroya le droit de passer ses doigts dans ses cheveux, audacieux.

— « Je rêverai de te tuer. Je rêverai d'entendre ta voix hurler mon nom. Dans quelle situation, je ne l'ai pas encore décidé. »

Il n'était pas toujours rationnel. Quand il s'agissait d'obsession, Lazare était un homme binaire. Crier de douleur ou crier de plaisir.
Ses doigts descendirent sur sa joue et finalement il enleva sa main, battant des cils pour finalement fermer les yeux.

— « Mourir, c'est disparaitre. Et je ne suis pas encore prêt à accepter que tu cesses de me menacer. »

Car il prenait du plaisir aussi, quand sa vie était en danger.
Peut-être que c'était qu'on ose le défier, depuis tout ce temps, qu'il attendait.

Lazare avec haussé les épaules avec insolence. Il n'était pas le genre d'homme à fuir, mais à provoquer jusqu'à la fin. S'il pouvait marquer l'esprit jusqu'à la dernière seconde de sa vie, il mourrait le sien serein, comblé, rassasié.
Il sourit donc avec complaisance.

Il avait déclaré sa flamme de la pire des manières et Bianca Arngrim l'avait attiré de la meilleure (des manières).
Il était d'autant plus comblé car elle lui offrait la conquête, sur un terrain boueux qu'il n'avait pas peur de traverser pour la rejoindre. Il l'étranglerait de ses mains, ou ferait en sorte qu'elle vienne d'elle même pour le faire.

— « Je te l'ai déjà dit. Quitte à ceque cette crapule souffre, je préfèrerai le faire crier de moi-même. Vois-tu Bianca, la seule chose qui nous différencie toi et moi.. »

Il étira un sourire carnassier.

— « C'est ton manque cruel d'imagination. »

Il se tourna dos à elle, les mains liées à la cambrure de ses reins. Elle pourrait le tuer là, tout de suite, lui planter son propre poignard dans ses omoplates.
Ou dans les cotes, pour qu'il perde encore plus de sang.
Elle pouvait mettre fin à leur amitié, il lui laissait cette chance ingrate.

— « Faisons-cela. »

Il avait tourné la tête car un des limiers avait aboyé à la fenêtre de la cuisine.

— « Je suppose qu'une petite partie de chasse ne t'intéresse pas ? »

Lazare savait que sa proposition ne trouverait aucun satisfait car Bianca ne comprenait pas ses plaisirs et pire - elle les moquait comme si sa position la légitimait à le souiller.
Et elle avait raison.

Lazare s'était d'abord décomposé, le visage mutilé il en aurait presque été humilié tant le terme avait été si bien trouvé.

— « Je vais prendre cette remarque pour un refus. »

Il avait feinté un sourire arrogant pour dissimuler sa colère et lui tourna le dos une nouvelle fois pour regarder par la fenêtre les chiens courir autour d'Harmony, à la lisière des bois.

— « Il n'y a aucun mal à se faire du bien. Et le but premier de la chasse n'est pas la mort, qui vient les prendre à la toute fin, comme une délivrance à leurs loyaux services. »

Il s'était adossé au rebord de lucarne, le fesses contre le renfoncement de la cloison.
Il avait croisé les bras.

— « On parle de se prêter à un exercice et mon jeu est un art noble qui laisse une chance à tous. »

Menteur.
Il ne créait que l'illusion de l'espoir.

— « Je ne touche qu'à mes affaires, contrairement à vous, qui ne laissez aucune chance à vos proies contre de l'argent. Tu ne vaux pas mieux que moi Bianca. Ce n'est pas un sang différent qui tâchent tes mains. »

Il éclata de rire d'une voix forte et guttural et celui résonna jusqu'au grenier.

— « Quoi que tu penses, le sang reste du sang. Alors ne me prends pas de haut. »

Devant son jeu d'acteur, Lazare plissa les yeux pour la dévisager en silence. Il n'avait rien trouvé à répondre, grondant d'une colère muette.
Finalement, il s'autorisa à ricaner lorsqu'elle eut lever les bras dans une feinte de défaite. Lazare avait rêvé à ce moment là de lui enfoncer son poignard dans la poitrine, droit dans son coeur, pour vérifier lui-même si celui de Bianca battait réellement.
Mais comme à leur habitudes, il n'en fit rien. Elle non plus.
Il avait quelque chose de satisfaisant dans la frustration qu'il ressentait à ne pouvoir la tuer, tout comme de l'ennui dans son plaisir. Lazare n'arrivait pas à déterminer s'il était heureux ou non en cet instant.

— « Du respect. »

Il avait répété ce mot, lourd de sens.
Puis ce fut à son tour de capituler, un visage nerveux forcé aux coins des lèvres tant il se sentait acculé.

— « Justement, tu vas devoir vivre. Réjouis-toi en. »

Il s'éloigna un peu d'elle, pour poser ses mains sur le plan de travail.

— « Maintenant, sors de chez moi. Tu connais la sortie. »