our times

a part of my past

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Maladroite et hésitante. Cette nouvelle vie qui est tienne, tu n'y es pas habituée. Tu as toujours été entourée. Mal entourée, mais entourée quand même. Et maintenant, te voilà à découvrir une ville que tu ne connais pas en la simple compagnie de ton loup, qui est devenu ton tout. Les première semaines ont été rudes, et, lentement, les choses se sont améliorés. C'est triste à dire, mais les gens ont tendance à prendre en pitié les handicapées, comme toi. Et puis, il faut dire que tu n'as pas fière allure. Certains des bleus qui parcourt tes jambes et tes bras sont encore présents, sous ta peau, comme pour te rappeler ce que tu es, ce que tu étais. Mais tu n'en a que faire. Après tout, tu ne les vois pas. Tu ne vois pas non plus la maigreur qui avais déformé ton corps et ton visage. Heureusement, plus les semaines passent, et plus ton corps retrouve sa gloire d'antan. Lentement, mais surement.

Tu ne saurais même pas dire depuis combien de temps tu es ici. Anciennement abritée sous le toit d'une femme qui a eut la bonté d'esprit de te prendre sous son aile, tu as finalement, il y a quelques semaines, prit ton envol, pour te nicher dans une maisonnette à l'orée de la ville, humble, mais bien suffisante pour toi. Alors, tu apprends à vivre pour toi. Tu retrouves le plaisir de la cuisine. Celui du crépitement des flammes de ta cheminée. Des balades une fois la nuit tombée. Et surtout. La musique. Maintenant que tu t'es échappé de son joug, tu te permet de jouer autant de fois que tu veux... Et surtout, où tu veux. Et si, au début, tu étais bien trop craintive et honteuse pour te produire en public... Le temps avait fait son oeuvre, en parfaite adéquations avec les encouragements et paroles rassurantes des amies que tu trouva, et tes apparitions à diverses auberges et tavernes étaient de moins en moins rares. Et, naturellement, tu te fis un nom. Autre que "l'aveugle" ou "la pauvre".
Le Rossignol.

Alors, ce soir, comme souvent maintenant, la scène est tienne. Kronos, lui, n'est jamais bien loin. Il te guide et t'apaise, faisant disparaître sans peine la moindre trace de trac. Habillée d'une robe blanche et longue, faisant honneur à ta crinière d'argent et soulignant, tristement, ta minceur encore présente, tu restais debout pour jouer et chanter... Après avoir passé ta vie à genoux. Une renaissance. Un rossignol aux airs de phénix. La mélodie est douce, et témoigne de tes tourments. Mais, comme toujours, tu n'es pas facile à abattre. Et si la plus grande majorité de tes chansons et musiques sont empreintes de nostalgie et de chagrin... La dernière vient réveiller les esprits. Plus chantante. Plus mélodieuse. Comme le rayon de soleil après un orage, bien trop long.
Les applaudissements sont ta plus belle récompenses. Et, même si tu ne les voit pas, Kronos témoigne toujours du sourire que tu offres à ton audience. Alors, un peu plus chaque soir, ton cœur se réchauffe, se soulage d'un poids. Le brouhaha léger renaît. La vie reprend son cours, après cette interlude musicale. Et, alors que tu t'apprêtes à tourner les talons et te diriger vers la sortie après avoir ranger ton violon, fidèle partenaire, dans son étui, le grognement sourd de ton loup t'interrompt dans ton geste... Alors qu'une voix, étrangement familière, caresse tes oreilles. Un instant, tu crois que tu esprit te joue des tours. Ca ne peut pas être...

Et pourtant. Alors que l'homme s'avance, défiant la mise en garde de la bête, tu lui dis que tout va bien, et lève doucement ta main vers Kro qui, obéissant mais toujours méfiant, range ses crocs acérés... Pour planter son regard profond sur cet homme qui lui était parfaitement inconnu. Non, tu n'es pas folle. Tu demandes intérieurement à ton loup de te décrire l'homme qui te fait face, laissant alors quelques secondes Alphonse sans réponses ni réactions... Et la description correspond. C'est bien lui. Il est bien là. Réel... Et, malheureusement... Les souvenirs qu'il transporte avec lui aussi.

— Al... Alphonse?

Un ouragan de pensées déferle dans son esprit fatigué. Elle se souvient de ses attentions. De ses yeux doux. De son sourire. Une caresse éphémère couvrant la réalité qui était tout autre lorsqu'elle rentrait chez elle et avait, aux goûts de son époux, passé trop de temps dehors, venant alors lui offrir une correction indigne de sa douceur.
Doucement, tu titubes. Ton cœur bat si fort sous ta poitrine que tu penses un instant qu'il peut l'entendre. Par précaution, ton loup se place derrière tes jambes, comme pour te soutenir si tu venait à faiblir. Mais tu ne te le permet pas. Pas devant lui. Il méritait bien mieux que la vision déjà assez triste de l'ombre de la femme que tu étais devenu. Doucement, et hésitante, tu t'approches d'un pas, puis de deux. Assez pour pouvoir tendre ta main vers sa joue masculine... Que tu redécouvre sous le touché délicat de ta main gracile. Comme pour remettre en place l'image de son visage flou dans tes souvenirs. Et l'espoir d'un léger sourire étirant tes lippes naît au creux de ces dernières, ravivant ton visage d'une flamme que tu pensais éteinte à jamais. Tu ne savais que dire. Quoi penser. Mais tu avais besoin de t’asseoir.

— Je... Je crois que j'ai besoin de boire quelque chose...

Un semblant de rire, mince, s'échappe de ta bouche, concluant alors cette phrase témoignant de ton état émotionnel. Alors, doucement, ta main quitte sa joue pour se poser sur sa main. Main, que tu saisis, tes doigts s'enroulant faiblement autour de ses longs doigts pour le tirer avec toi... Et pour te diriger vers une table légèrement en retrait des autres, baignée par la lueur d'un chandelier. Sans même t'en rendre compte, tu venais de reposer la main sur un homme. Chose que tu n'avais pas fait depuis bien des années. Et tu l'avais fait... Sans te poser la moindre question.
Finalement, tu lui rends sa liberté, le privant de la fraîcheur de ta main en contrepartie, et vient t’asseoir à cette table en le laissant faire de même, Kronos s'asseyant lui aussi au pied de sa protégée. Et la première question, qui lui brûle les lèvres et la tourmente, finit par prendre forme hors de sa bouche gracile.

— Que... Que faites-vous ici...?

(c) oxymort