elle, elle l’avait remarqué, le grand brun aux sourcils froncés – le diplomate d’Ambrive, qu’ils l’appelaient et la belle a tout de suite été intriguée –
un peu prétentieuse Sixtine se pense remarquable ne serait-ce que par sa voix – mais lui, lui, pas une seule fois n’a semblé intéressé et ce malgré des efforts répétés
jusqu’au jour où elle vient avec les informations qui lui plaisent, et l’engrenage est lancé ;
visites impromptues deviennent sa passion, ne serait-ce que pour voir le visage du brun se tordre de consternation.

— Vous n’allez jamais me croire !
avec toute la délicatesse du monde – et si on demande son avis à Digory, c’est-à-dire aucune – Sixtine enfonce les portes du bureau sans cérémonie;
— Bon en fait, si, sinon pourquoi quérir mes services ?
elle s’installe sur un fauteuil dans le coin de la pièce et sort son luth, sourire jusqu’aux oreilles ;
commence à jouer quelques notes, pour s’assurer qu’il n’ait pas le temps de la chasser et l’inviter à revenir de façon plus « officielle ».
— Vous pensez peut-être que je viens badiner
mais en réalité seulement vous apprendre
et, je l’espère, vous surprendre ♪
elle s’arrête nette dans la chanson, sourcils froncés, et regarde son instrument avec perplexité ;
— Misère, il n’est plus accordé.
le pose à contrecœur au sol, et tourne sa tête vers le diplomate,
— Bref, vous dire qu’on aurait vu le Conseiller de Malronce s’entendre plutôt bien avec la gouverneure de Grandvent ♫
sans connaître la gravité des paroles prononcées.  

l'air décontenancé un bref instant sur ses traits, Sixtine se relève,
peu habituée à ne pas s'approprier l'espace une fois dedans, et semble soudain moins certaine qu'en rentrant ;
—Bon sang, quelle froideur. Si j'avais su, j'aurais pris une laine.
mais face à lui ou n'importe qui  – elle ne peut se permettre d'avoir l'air surprise et c'est un sourire qui vient se plaquer aux lèvres ; encore et toujours légère Sixtine – alors que l'homme devant elle pourrait très bien la tuer si l'envie lui prenait – reprend comme si de rien n'était.

— Sixtine, pour vous servir et je vous invite à vous en souvenir messire ♪

chantante, à chaque phrase si elle osait, histoire de balayer un peu l'austérité qui règne dans la pièce ; regarde curieusement la porte d'où sont partis les convives et réalise, non sans fierté, que le bougre est certainement très intéressé par les informations qu'elle possède.

les rumeurs sont donc fondées;
((tableau picturesque que devait être
leur idylle passée))
— Plus précise, c'est à dire, vous voulez les mots échangés entre eux deux ? Dois-je les réciter ? Quelque chose comme « toujours aussi rayonnante Dame Martell, vous rendre visite est un vent de fraîcheur fortement apprécié. » ?
Sixtine prend sa voix la plus suave par souci de professionnalisme – imiter celle du Conseiller comme elle aime l'imaginer ; sans jamais l'avoir croisé, hélas, pourtant son intuition lui hurle que cet homme a bien des secrets
mais sire Montgomery aussi
et c'est la raison première qui l'amène ici.
— Bon, j'ignore s'il a vraiment dit ça mais je sais qu'il a été de passage là-bas il y a quelques temps. Simple visite de courtoisie, il semblerait.
car elle aussi était partie se perdre à Grandvent et les langues déliées par l'alcool sont formelles : l'étendard malronçois y a été aperçu une fois.
et
tombant dans le silence,
Sixtine observe avidement les traits du brun, pour y déceler quelques sentiments mauvais.

sourire victorieux jusqu'au bruit sourd du papier qui vient frapper légèrement la surface du bois, elle reste pieds scellés sur place – ravie en son for intérieur d'avoir fait mouche du premier coup – et observe Adriel se lever ;
la surplomber, plus exactement, lui trop grand, elle trop petite, et – sa main
qui vient saisir ses joues, lui ôter son sourire, Sixtine retient un souffle
h y p n o t i s é e
— De ma propre part. Vous n'écoutez pas, hein.
perdue dans ses yeux, il lui faut quelques secondes pour se concentrer et ne pas répondre à côté – car elle n'a ni maître à qui rendre des comptes ni dessein très haut, Sixtine est aussi libre que le vent quant à ses allégeances et intérêts ; ne trahit pas, se contente de disparaître sans un mot pour les concernés.
— Je suis barde, je distraie. J'informe, aussi, comme c'est le cas ici.
elle tait la frustration qu'il n'ait vraiment rien retenu à son sujet mais tant pis ! ferme dans ses intentions de l'emmerder à présent, il aura tout le temps de découvrir à quel point la barde est un cadeau empoisonné – dorénavant ;
— Vous n'aviez pas l'air convaincu que je pouvais vous être utile, je viens donc prouver le contraire.
scrutant son visage fermé
où s'y cache mille secrets
le flair ne trompe jamais – sous ses ordres, Sixtine voit la promesse d'une vie mouvementée

comme elle a toujours aimé.
— J'ai gagné le droit de m'asseoir, maintenant ?

souffle retenu – encore et cela promet d’être toujours avec lui, Sixtine le sent – jusqu’à ce que sa voix perce le silence pour l’autoriser enfin à s’asseoir ;
et la belle n’attend pas une seconde de plus, se jette dans le fauteuil et rattrape son luth, jouant quelques notes mal accordées mais plus plaisantes que l’austérité de la pièce.
écoute attentivement, chaque mot,
observe attentivement, chaque geste,
n’en perdre aucune miette lorsque le gouverneur trahit sa nervosité et c’est le sourire de la victoire qui orne ses lèvres – encore et peut-être pas pour toujours mais cette fois au moins, il se souviendra d’elle.
— Ce n’est pas mon métier mais j’en fais ma spécialité, il est vrai.
parce qu’il n’est rien de mieux pour connaître les gens que connaître leurs amants, dans les moments intimes qui se prêtent à la confession plutôt que des diners politiques et autres pitreries des hauts placés ;
— Qui n’aime pas les potins, après tout !  
remarque alors qu’elle est observée et Sixtine prend le temps de faire de même, en continuant de jouer –
— Tout dépend de ce que vous voulez savoir et combien vous payez pour. Je pense être en mesure de tout apprendre, si on me le demande correctement. A défaut d’avoir les infos, j’ai les contacts ♪
liste longue comme le bras de gens qu’elle a fréquenté avec qui elle a fricoté ceux qu’elle n’hésite pas à emmerder,
sa petite fierté, Sixtine ne sait rien mais aime mieux dire pas encore ;
— Je peux aussi être vos mains et oreilles, aux endroits où vous n'êtes pas le bienvenue.

un frisson
qui lui parcourt l’échine
et la tension monte, Sixtine joue une dernière note avant de lâcher son instrument – yeux levés vers le brun décidément trop grand trop confiant ; l’envie de lui prouver quelque chose, quoi, elle ne sait pas, mais la barde dégage sa nuque d’un geste de main et mord ses lèvres
elle n’a qu’une chance et ne doit pas la gâcher.
— Quelle rudesse, j’ai juste toujours été libre jusqu’ici.
alors pourquoi vouloir s’enchaîner, maintenant, à lui, elle
ne sait pas – peut-être d’avoir revu Digory peut-être la lassitude d’être sur la route peut-être
peut-être un coup de tête comme toujours avec elle et elle n’aura de loyauté que sa curiosité, celle qu’Adriel a piqué en elle suffira ((ou pas, Sixtine ne sait pas, pas encore))
— Parce que vous m’intriguez, voilà.
((la simple vérité))
— Et vous me plaisez, également.
sur ces mots, elle se lève nonchalamment du siège et vient poser une main sur le torse du brun – sans gêne, Sixtine, car jouer les prudes l’a rarement mené quelque part ; en glisse une autre contre sa nuque et tant pis si sa tête tombe demain pour cet affront, elle est curieuse – insatiable – de savoir
ce dont cet homme est capable –
— Et bien que Dame Martell soit une beauté redoutable, j’ai une fascination pour les bruns aigris qui se renferment sur eux-mêmes. Je vous serais fidèle tant que ce minois ne change pas, reconnaissez que ça garantit une fidélité sur pas mal d’années.
murmuré à peine, Sixtine penche la tête pour le regarder –
— Vous pouvez toujours acheter mon silence, si besoin.
elle laisse ses doigts pianoter jusqu’au col du gouverneur, lui accordant quelques longues secondes pour repousser sa main.

aucune déception, non, ni crainte lorsqu’il inverse les rôles sans difficulté – Sire Adriel doit jouer à ce jeu depuis plus longtemps qu’elle –
elle garde le sourire narquois pour ne pas trahir le cœur qui s’affole en dessous – de j o i e
et elle manque de rire lorsqu’il invoque l’instinct de survie ; aimerait en avoir un mais le passé lui a démontré qu’il était fort incompatible avec sa curiosité qu’elle ne sait tempérer, Sixtine se contente juste d’hocher la tête avant que sa main ne vienne toucher ses lèvres –
((la tête qui tourne d’allégresse))
— C’est bien noté, sire.
qu’elle susurre presque, inconsciente du danger ou trop consciente peut-être et c’est l’adrénaline qui prend le relais – mordille le doigt impudent et glisse ses jambes contre le brun ;
— N’ai-je donc rien comme paiement pour cette première information ? Ou alors allez-vous faire semblant de ne pas vous soucier des fréquentations de Dame Martell ?
toujours plus loin et ne se satisfait de rien, se laisse porter par son instinct malgré les tendances de ce dernier à l’emmener dans de terribles guêpiers – Sixtine aime mieux trouver ce qui anime la passion chez son interlocuteur que sa froideur,
qu’Adriel laisse déborder – ne serait-ce qu’un peu – les sentiments forts qui sommeillent en son creux.  
— Ma première mission ne serait-elle pas d'aller l'observer ?
bien que si on lui demande, elle préférerait que sa première mission soit d'apprendre à mieux connaître cet homme.

chaque seconde où ses doigts l’effleurent et Sixtine courbe le dos à la recherche de plus – encore
laisse filer un grognement sourd lorsqu’il s’éloigne et parle – trop – elle est pourtant souvent bavarde mais en cet instant elle désire plus de gestes et moins de mots – las,
— Misère.
passe une main distraite dans ses cheveux pour y remettre de l’ordre et souffle un coup, fesses toujours posées sur le bureau, Sixtine se contente de pivoter pour faire face à Adriel ; joues rouges mais sourire amusé, elle jette un bref coup d’œil aux papiers avant de le fixer.
— Vous savez comment motiver vos employés.
descend finalement du meuble pour récupérer son luth, négligé au sol ;
en le voyant, c’est une infime prise de conscience – la liberté, la curiosité, deux muses toujours qui lui tirent dans les pieds et Sixtine se retourne une dernière fois vers le gouverneur pour lui signifier son départ
— J’y mettrai du cœur Sire, promis, ne serait-ce que pour avoir la suite de cette conversation.
l’air un peu trop goguenard mais c’est elle tout craché.

une fois la porte du bureau franchie, portes claquées, c’est main sur le visage et un soupir de fatigue qui s’échappe de ses lèvres – Sixtine a encore la sensation de son souffle sur la nuque, son doigt explorant ses courbes – ((suffit)) –
on lui a pourtant répété, que sa frivolité – curiosité – finirait par la perdre et la voilà qui troque sa liberté pour encore
et toujours
un brun, maladroitement humain ;
excédé, Sixtine quitte le palais direction Grandvent.