Une fois n’est pas coutume, Aurora s’était de nouveau échappée de son palais pour déambuler dans les rues animées de Zephyr, le visage à peine dissimulé d’un capuchon de soie translucide et sans aucun garde pour assurer sa sécurité. Elle eut une pensée mi-amusée mi-désolée pour son pauvre frère qui devait supporter ses escapades solitaires tandis qu’elle se mêlait à la foule du marché et saluait les commerçants qu’elle reconnaissait : malheureusement pour Tristan cependant, elle n’était pas prête d’arrêter d’aller au plus près de son peuple car elle trouvait beaucoup trop de joie dans des actes si simples pour y mettre un terme.

Au milieu du monde qui s’était attardé autour d’elle, ce fut une petite voix qui attira son attention, et quand Aurora baissa les yeux elle trouva la silhouette émaciée d’une petite fille inconnue au bataillon, et son cœur se pinça un peu de la voir dans un si piteux état. Il suffisait d’un regard sur la crasse de son visage et de ses mains, sur l’état de ses vêtements et la maigreur de son petit corps pour deviner que c’était là une enfant qui devait se battre plus que les autres pour sa survie, et si une ombre soucieuse se dessina sur les traits de la gouverneure l’espace d’un instant, ce fut une colère sourde qui s’anima dans le creux de ses tripes.
Aurora refusait qu’à Grandvent les enfants ne puissent manger à leur faim.

« Bonjour ma belle, tu t’appelles comment ? »

Un sourire chaleureux se dessina sur ses lèvres néanmoins, puis elle pria les autres de quelques politesses de retourner vaquer à leurs occupations avant de s’accroupir pour pouvoir regarder la petite fille dans les yeux tout en lui parlant.

« Qu’est-ce que tu cherches à Blanchefeuille, dis-moi ? »

Un bref mouvement de recul ; Aurora haussa de peu les sourcils dans une mine surprise mais ne fit rien de l’attitude méfiante de l’enfant ni de son apparent manque de politesse. Aurora était la première à se moquer des règles parfois barbantes du protocole et de la bienséance, et l’honnêteté spontanée des enfants avaient quelque chose de rafraîchissant à ses yeux même quand la teneur de leurs mots pouvaient parfois sonner abrupte.
Elle se fendit d’un sourire doux tandis qu’une lueur amusée se logea dans son regard devant l’aplomb de son interlocutrice.

« Je m’appelle Aurora, enchantée de te rencontrer Minuit ! »

Son air enjoué se mua vite cependant, en mine interrogatrice à l’évocation d’histoires de Blanchefeuille dont elle n’avait aucune idée –qui racontait donc ces histoires ?- puis ce fut une inquiétude non dissimulée qui se dessina sur le visage de la gouverneure quand Minuit termina d’expliquer sa situation du mieux qu’elle pouvait.
Tous morts les enfants ?
Ce fut comme si son estomac s’était alourdi d’un poids terrifiant.
Et si elle n’aurait su se résoudre de toute manière à la laisser toute seule dans cet état, Aurora venait de trouver là une raison supplémentaire de se mêler des affaires de cette petite inconnue.

« Tu es toute seule ? Est-ce que tu dois rejoindre quelqu’un qui t'attends là-bas ? »

Aurora avait gardé un ton calme et amical malgré le flot de pensées agitées sous son crâne.

« Je connais bien Blanchefeuille, c’est l’endroit où je suis née. Si tu veux t’y rendre je pourrais t’y emmener bientôt si tu veux. En échange j’aimerais que tu me raconte plus de choses sur là d’où tu viens, tu es d’accord ? »

Aurora se redressa, et secoua négligemment le bas de sa robe qui avait traîné dans la poussière.

« Est-ce que tu as faim Minuit ? Ça te dirait de venir manger et discuter avec moi ? »

L’espace d’un instant, Aurora cru avoir fait un faux-pas de trop devant l’attitude de plus en plus méfiante, presque craintive, de Minuit ; elle ne se reconnaissait pas dans le regard que la petite fille posait sur elle ni dans les mots qu’elle lui adressait, ne trouvait pas une once de la confiance et de la tranquillité qu’elle avait tenté de lui convoyer en se montrant aussi chaleureuse et amicale qu’elle pouvait l’être, et son cœur se serra un peu plus encore à l’idée de ce que cette enfant avait pu vivre de terrible pour réagir aussi farouchement devant ce qui n’était que de la gentillesse avec bien peu d’arrière-pensées.
Aussi scandaleux que pouvait être le son de son estomac criant famine aux oreilles d’Aurora, le simple fait que la faim de Minuit la poussa à ne pas s’enfuir immédiatement sonna comme le glas du soulagement.

« Minuit tu es un être humain, pas un objet. Tu n’appartiens à personne d’autre que toi-même. »

Le visage d’Aurora s’était peut-être radoucit de l’inquiétude passée mais conserva un sérieux qu’elle n’adressa que rarement aux enfants qu’elle côtoyait habituellement.

« Tu n’es pas à vendre et normalement personne n’a le droit de te faire du mal. »

Les poings d’Aurora se crispèrent sous les longues manches de sa robe ; elle commençait à comprendre, mettre bout à bout les bribes de phrase de l’enfant pour qu’elles prennent sens et bouillonnait au fond d’elle-même d’une indignation qu’elle ressentait autant en tant que gouverneure qu’en tant que femme.

« En tout cas, tu es en sécurité avec moi, c’est promis. Et c’est pas grave si tu ne me fais pas encore confiance, c’est à moi de te prouver que je peux en être digne, après tout. »

Un sourire doux et mince se dessina de nouveau sur ses lèvres alors qu’elle pointa du doigt en direction de sa demeure.

« J’habite par là-bas, à pied le trajet ne dure pas très longtemps d’ici. Et si je ne me trompe pas il y a du poulet rôti au menu du déjeuner, aujourd’hui ! »

Un peu emportée par sa nature maternelle, Aurora eu, presque par réflexe, un geste vers la petite fille et tendit la main comme pour attraper la sienne ; elle se rattrapa néanmoins au dernier moment, de peur de se faire trop envahissante, et ses doigts allèrent se perdre dans le tissu de ses longues manches.

« On y va ? »

Un discret sourire amusé s’était esquissé sur les lèvres d’Aurora devant l’expression de Minuit à la mention du menu du jour, vite remplacé un air passablement surpris quand un éclair brun se fraya un chemin jusqu’à l’épaule de la petite fille qui ne semblait pas interloquée pour un sous –au contraire, c’était à croire qu’elle s’attendait à ce que l’animal ne vienne prendre place là.
Il y avait quelque chose d’attendrissant dans le tableau loufoque qu’Aurora avait sous les yeux, et elle trouva un rien de réconfort dans l’idée que Minuit n’était pas tout à fait seule finalement.

« Tu es pleine de surprises Minuit, dit-elle dans un ricanement doux et franc avant de regarder l’anima droit dans les yeux ; si sustenter sa faim aussi était la seule condition pour rapatrier l’enfant dans un lieu sûr où son état de santé pourra être évalué, Aurora voulait bien lui laisser champ-libre dans le bassin d’agrément du jardin -enfin, façon de parler. Je ne suis pas sûre qu’on en ait d’avance dans le garde-manger au château mais s’il y’a bien un endroit où on peut trouver de la truite, c’est bien ici ! Attends-moi là, je reviens dans un instant. »

Aurora s’éclipsa pour revenir une dizaine de minutes plus tard, avec un petit panier pendant au creux de son bras, dans lequel gisaient emballées une demi-douzaine de truites fraîches pêchées le matin même. Elle tendit brièvement le panier à hauteur de l’animal et dévoila une parcelle d’écailles rutilantes à la lumière du soleil comme pour lui montrer patte blanche.

« Si cela vous suffit à toutes les deux, on va pouvoir y aller ! »

La Demeure du Gouverneur n’était pas bien loin du marché ; une vingtaine de minutes à pied tout au plus, mais c’était peut-être mieux ainsi. Aurora était à peu près certaine qu’aucune de ses questions n’aura de réponse si elle les posait au moment du repas, et elle n’avait d’ailleurs pas très envie de lui gâcher ce moment en le transformant en interrogatoire déguisé ; aussi le temps du trajet serait suffisant pour le moment pour tenter d’en savoir plus sur le parcours de l‘enfant.

« Dis-moi Minuit, ça fait combien de temps que tu es arrivée ici à Zephyr ? »

Sans se départir de son petit sourire en coin, Aurora écoutait avec attention les paroles de Minuit, autant pour ne manquer aucun mot de ses phrases déjà hachées par un vocabulaire un peu limité, mais aussi et surtout parce que la petite fille avait quelque chose de fascinant dans son assurance et son innocence presque sauvage. Elle était à mille et unes lieues de ce qu’Aurora avait connu dans sa propre enfance, elle qui était née dans l’opulence d’un nom de famille important tout en n’ayant jamais manqué de l’affection de ses parents dont le mode de vie et la philosophie étaient très simples pour la noblesse de Blanchefeuille.

« Zephyr oui, c’est le nom de cette ville, elle répondit simplement à l’interrogation de Minuit. Ici nous sommes dans la région de Grandvent, où le vent souffle beaucoup, et Zephyr, c’est la plus grande ville de la région. »

Elle nota pour plus tard dans son esprit qu’il pourrait être pratique de lui montrer tout ça sur une carte après manger.
Elle écouta un peu plus ce que l’enfant avait à lui dire et un rire franc lui échappa ; elle s’amusa à imaginer la tête des gens du château qui ne juraient que par la bienséance et les politesses de la cour s’ils avaient entendu cette petite fille toute sale la traiter de folle, et l’envie de rire redoubla davantage.

« Je te donne à manger parce que ça me fait plaisir de t’aider, c’est tout. »

Aurora, souvent victime de crises introspectives régulières, questionnait souvent son propre altruisme comme pour y trouver des vices, des arrières pensées moins pures que ce qu’elle voulait être, comme l’envie de laver une culpabilité pesante en offrant son aide à un peuple qu’elle n’avait pas aidé à protéger pour ne citer que le plus lourd des exemples en son cœur. Mais avec Minuit, c’était différent ; elle ne se sentait même pas le besoin de questionner ses véritables buts car ils étaient d’une évidence toute trouvée. Elle avait été touchée par sa situation, et elle avait l’envie et les moyens de l’aider –ça n’allait pas plus loin et c’était étrangement reposant que de se sentir aussi apaisée grâce à une enfant inconnue.

« Tu sais mon travail, c’est de faire en sorte que le plus de monde possible à Grandvent soit heureux et en bonne santé. Alors comme tu es là, toi aussi, c’est normal que je t’aide. »

Elle posa les yeux sur Minuit et songea sans trop y réfléchir qu’à quelques années près
elle aurait eut presque le même âge.

« D’où est-ce que vous venez Nuit et toi ? Le vent souffle fort là où tu es née ? »

Après un ricanement discret, Aurora à son tour accéléra la cadence suite au changement de rythme imposé par Minuit, sans manquer de noter mentalement chaque détail qui lui semblait important. Il lui était un peu compliqué de faire le tri dans les informations apportées par l’enfant car elles étaient loin d’être précise ; « à l’eau », cela pouvait bien signifier le Lac au joyaux comme les bords de l’Azurée ou bien encore une quelconque rivière de Valdore. Mais deux choses plus importantes encore lui sautèrent aux oreilles et effaça le sourire nonchalant qui s’était dessiné sur ses lèvres.
Un nouveau nom pour commencer, et puis la mention d’un autre à tuer.
Quelque chose se tordit dans l’estomac d’Aurora à l’idée qu’une enfant si jeune puisse déjà avoir en tête des objectifs de vengeance et de meurtre.
Elle ne lui posera pas de question à ce sujet là tout de suite cependant ; devant elles la silhouette du grand portail du château se faisait plus grande et plus nette à chaque pas, et bientôt elles étaient assez proches pour distinguer le visage des gardes qui, s’il reconnurent Aurora du premier coup d’œil, louchèrent un instant sur l’enfant d’un air un peu interloqué.

« Elle est avec moi, ne vous en faites pas, fit Aurora d’un ton détaché. »

Il lui suffit ensuite d’un simple hochement de tête pour faire ouvrir les portes avant de s’avancer dans la grande allée.


Il ne fallait pas être affamé depuis des jours pour saliver à l’odeur qui s’échappait des cuisines lorsqu’elles passèrent devant pour rejoindre les quartiers un peu plus calmes du château. Dans un soucis de mettre l’enfant la plus à l’aise possible, elle s’était figuré que la faire manger dans le hall principal, si grand et si vide lorsqu’il ne recevait pas du monde, serait plus impressionnant que de l’accueillir dans son salon privé.
Une fois arrivées, Aurora passa le mot à un domestique de faire servir le déjeuner ici une fois prêt, puis posa son panier sur une table avant de poser les yeux sur Minuit.

« Le poulet arrive dans quelques minutes, fit-elle comme pour rassurer l’impatience de l’enfant, en attendant… »

Elle avisa ses mains et son visage.

« On va aller se débarbouiller un peu d’accord ? La salle de bain est par-ici suis moi. »

Et sans lui forcer la main, Aurora invita l’enfant à l’imiter quand elle se trempa les mains dans une bassine d’eau tiède avant de faire mousser un morceau de savon au creux de ses paumes. Elle lui tendit ensuite un tissu humide et lui indiqua comment se nettoyer un peu le visage, et c’était dans ce genre de gestes anodins qu’elle se sentait presque mère et sentait son cœur se serrer un peu à cette idée qu’elle n’osait plus trop laisser éclore dans son esprit.
De retour dans la pièce principale, plats fumants et couverts avaient été disposés sur la table, et même Aurora se sentit une gourmandise d’enfant à l’odeur du festin auquel elle était pourtant habituée.

« Mange ce que tu veux, mais fais attention à ne pas te rendre malade, d’accord ? »

L’excitation soudaine qui avait remplacé la méfiance dans l’attitude de Minuit tira à Aurora des rires amusées et des regards tendres qu’elle posait sur l’enfant avec une affection dont elle ne se cachait pas –il était très facile, à cet âge là, de gagner le cœur de la jeune femme ; bien plus facile que ça ne pouvait l’être à l’âge adulte.
Avec calme, elle s’installa à table et commença à manger sans jamais vraiment détourner le regard du spectacle d’éclaboussures que Minuit lui offrait, sans s’en offenser le moins du monde car elle s’y attendait.
Elle ne s’attendait pas en revanche, à voir aussitôt de grosses larmes ruisseler sur ses joues toute occupée à manger qu’elle était, et son cœur se serra plus fort que toutes les fois précédentes ; elle ne savait pas tout à fait ce que signifiaient ces larmes là, mais devinait aisément l’ampleur du gouffre qui habitait le cœur de l’enfant.
Quand Minuit la remercia, Aurora se contenta de lui sourire aussi chaleureusement que possible mais elle aussi avait envie de pleurer un peu.

Elle hésita un instant ensuite, incertaine si elle devait la laisser finir de manger avant de reprendre, mais se risqua finalement à tendre le bras vers elle par-dessus la table et poser une main tendre sur l’avant-bras de la petite fille.

« Tu es en sécurité ici Minuit, d’accord ? Fit-elle en caressant sa peau du bout du pouce. Personne ne va t’empêcher de manger où te disputer parce que tu as faim. Alors tu peux prendre ton temps pour terminer ton assiette, si tu manges tout ça trop vite tu vas te faire mal au ventre. »

Elle retira sa main pour la ramener vers elle et s’emparer enfin de ses couverts pour attaquer son propre plat.

« Ce serait dommage de rater le dessert à cause de ça, non ? Elle ajouta, le regard pétillant. Et quand on aura fini de manger, on parlera de Blanchefeuille toutes les deux. »

Aurora comptait bien entendu tout faire pour la retenir le plus longtemps possible pour mieux comprendre comment elle en était arrivée là, et décider quoi faire pour l’aider au mieux.

Une fois de plus, Aurora songea avec crainte avoir outrepassé les limites de l’enfant en lui effleurant le bras. Minuit sembla perdre tout entrain à manger et sa figure s’était peinte de nervosité mais aussi d’une tristesse silencieuse et éprouvante.

« Sécurité, répéta-elle à son tour, ça veut dire que personne ne va te faire du mal ici. Ni te vendre, ni te frapper, ni t’affamer. »

Aurora laissa échapper un soupir léger –elle aussi avait un peu perdu son appétit– et repoussa son assiette pour croiser les mains sur la table.

« Je peux entendre ton ventre, Minuit, je sais que tu as toujours faim. »

Il n’y avait pas l’ombre d’un reproche dans sa voix, mais elle avait perdu un peu de sa douceur –la gouverneure songea que l’enfant serait peut-être plus réceptive à un sérieux un peu plus froid qu’à trop de gentillesses qui pouvaient sembler trop belles pour être vraies à ses yeux.

« Je ne sais pas ce que tu veux faire à Blanchefeuille, mais si c’est important pour toi, il faut que tu prennes des forces pour y arriver. Tu ne deviendra pas plus forte si tu t’empêches de manger quand tu as faim. »

Elle croisa les bras, un peu dépassée par les tourments internes de l’enfant et le flou dans lequel ses difficultés à communiquer la plongeait.

« Qu’est-ce que tu veux savoir sur Blanchefeuille ? Est-ce que tu aimerais que je t’y emmène ? »

Un sourire un peu narquois –mais loin d’être condescendant– s’esquissa brièvement sur les lèvres d’Aurora devant l’aplomb renouvelé de Minuit. L’enfant revint à son assiette qu’elle dévora goulûment tout en parlant la bouche pleine pour répondre à ses questions.
À nouveau, le prénom de Keira au bout de ses lèvres –les autres aussi, et puis tous morts, une fois encore. Le sourire de la gouverneure fana bien vite pour laisser le sérieux de la situation reprendre ses droits.
Une promesse à tenir.

Lorsque l’enfant eu fini de manger et demanda de façon plutôt autoritaire à ce qu’on en vienne au sujet qui l’intéressait, Aurora se leva de table et tendit à Minuit une serviette.

« Tiens, essuie-toi les mains et le visage avec ça, je vais chercher quelque chose. »

Laissant la petite fille à ses occupations, elle l’éclipsa un instant dans sa chambre et sortit une grande carte enroulée sur elle-même d’un coffre qui trônait dans la pièce ; elle l’avait déjà déroulée le temps de revenir à table et poussa d’un bras les assiettes pour libérer de la place avant d’étaler le papier à plat sous les yeux de Minuit, dans son sens de lecture.

« Ceci, fit-elle en levant les yeux vers elle pour attirer son attention, est une carte de Valdore. »

Est-ce que Minuit savait ce qu'était une carte ?

« C’est un dessin qui montre les différents endroits du monde, si tu préfères. Ici, c’est Grandvent, fit-elle en entourant la région du doigt sur le papier. Nous nous trouvons là, à Zephyr. Et le domaine de la Blanchefeuille se trouve… –elle fit glisser son doigt jusqu’à l’autre bout du territoire– ici. »

Elle se redressa.

« C’est petit sur le dessin mais en vérité il faut deux jours pour y aller en partant de Zephyr. Et j’ai encore du travail ici alors je ne pourrais pas t’y emmener tout de suite. Alors tu vas devoir faire un choix. »

Aurora se rassit et remercia d’un hochement de tête silencieux les quelques domestiques venus débarrasser la table en vitesse avant de poser de nouveau les yeux sur Minuit. Elle s’était efforcée, avec des mots simples qu’elle pouvait comprendre, de lui faire entendre qu’elle prenait son cas au sérieux.

« Premièrement, tu peux décider d’y aller tout de suite toute seule –enfin, avec Nuit– mais à pieds le chemin sera encore plus long, et toute seule tu risques de te perdre. Deuxièmement, je peux te confier à quelqu’un en qui j’ai confiance et qui t’y emmènera à cheval, mais il faudra que tu fasse toi aussi confiance à cette personne et que tu l’écoutes pour que le voyage se passe bien. »

Elle marqua une petite pause pour la laisser enregistrer toutes les informations et croisa les doigts devant elle.

« Et troisièmement, si tu es d’accord pour attendre trois jours ici au château, le temps que je finisse mon travail, je pourrais t’y emmener personnellement. Tu auras droit à une chambre pour dormir, des vêtements propres et trois repas par jours comme tous les autres qui vivent ici durant ces trois jours, et tu pourras prendre plein de forces avant d’aller à Blanchefeuille. »

Parce que c’était plus fort qu’elle, l’ébauche d’un sourire, discret et sincère, se dessina au coin de ses lèvres alors qu’elle se fit violence pour la laisser choisir et ne rien lui imposer –quand elle voudrait pouvoir la garder sous son aile et la couvrir de tout ce dont elle pouvait avoir besoin.

« Si tu veux mon avis, je pense que la meilleure solution est la troisième. Mais c’est ta promesse, alors c’est à toi de choisir. Qu’est-ce que tu préfères ? »

Après avoir tant parlé, Aurora garda le silence pour laisser la petite fille faire le tri des informations. Elle se doutait qu’elle venait d’abreuver un peu trop son esprit privé des clés de communication les plus basiques en société, et qu’il lui fallait un peu de temps.
Elle songea alors, tandis que Minuit cherchait ses mots, à tout ce qu’elle avait envie de faire pour elle –la nourrir, la loger, lui offrir un toit pour dormir et s’épanouir en sécurité ; lui apprendre à lire, écrire et compter aussi, que ses lacunes soient comblées pour qu’elle ne soit plus en proie à cette frustration qui crispait ses traits quand elle ne comprenait pas tout.
Lui apprendre à se défendre aussi –que plus personne ne puisse profiter de sa faiblesse d’enfant.
Et puis l’aider à surmonter l’horreur qu’elle avait du vivre, enfin. Panser les plaies du cœur, et à défaut d’effacer tout à fait les cicatrices, en estomper les contours tout du moins.
Un soupir dépité lui vint alors qu’elle réalisa avec amertume et autodérision à tout ce qu’elle voulait faire pour elle et le peu de temps qu’elle avait à sa disposition pour le moment.

Une joie retenue, néanmoins, vint lui enserrer le cœur quand Minuit consentit à la laisser choisir pour elle et lui tendit la main. Elle ne s’imaginait pas qu’il serait aussi simple de gagner sa confiance, aussi elle n’osa pas encore affirmer que c’était le cas, mais c’était un premier pas plus qu’encourageant.
En trois jours –cinq en comptant le trajet jusqu’à Blanchefeuille– elle avait du temps devant elle pour peut-être la convaincre de rester un peu plus longtemps.

« Dans trois jours alors, fit Aurora avec un sourire doux tout en attrapant délicatement la main tendue dans la sienne. C’est promis. »

Du bout du pouce, elle caressa doucement la main de l'enfant avant de la lâcher et se relever de table.

« Et ne t'en fais pas pour la carte, ou les mots. Ici tu vas pouvoir apprendre. Mais pas aujourd'hui, tu dois être fatiguée, il faut de reposer. »

Sourire plus léger.

« Ça te dirait un bon bain chaud ? »

Aurora pencha la tête sur le côté et esquissa un rire léger. Elle aurait préféré que Minuit dise oui, autant pour éviter de salir les draps propres avec la terre et la saleté qui lui collait à la peau que pour avoir le plus vite possible l’occasion de jeter un œil à l’état de son corps et user de son don de guérison sur elle si c’était nécessaire. Mais Minuit avait dit non, alors pas de bain.
Ça n’empêchait pas Aurora de tenter la ruse pour la pousser à accepter autre chose, ceci étant dit.

« Hmm, d’accord pas de bain. Mais il faut attendre un peu pour qu’on te prépare ta chambre pour dormir alors une simple toilette ça te dit ? »

Rien d’extravagant, pas de sels de bain aux parfums fleuris ni d’huiles pour la peau ou les cheveux –juste de l’eau et un peu de savon pour alléger le corps. Minuit ne connaissait peut-être pas le plaisir simple qu’était celui de se glisser dans des draps propres après s’être lavé et il serait dommage qu’elle passe à côté.

« On dort beaucoup mieux dans un lit quand on est propre, tu le savais ? Le temps passera plus vite si tu es plus à l’aise. »

Et alors qu’elle ne s’y attendait pas, Minuit tendit la main en exigeant qu’elle lui prenne de nouveau, et la chose eu le don de faire rater un battement au cœur d’Aurora. C’était presque rien, et pourtant elle se sentait incroyablement bénie en cet instant.
Alors elle s’approcha ; contourna la table pour rejoindre Minuit de l’autre côté et s’accroupit de nouveau pour être à sa hauteur. Avec douceur, Aurora pris sa petite main dans les siennes –la prise était ferme mais douce, et pas assez serrée pour l’empêcher de se retirer si elle se sentait soudain submergée.

« On ne t’a pas beaucoup habitué à la tendresse pas vrai ? elle murmura d’un ton doux, presque plus pour elle-même que pour la petite fille dont elle n’attendait pas réellement de réponse. »

Ça va changer, elle s’en faisait la promesse.