Cela faisait un peu moins d’une semaine qu’on n’avait plus vu Aurora déambuler dans les couloirs du château ni dans les rues calmes de Zephyr. D’ailleurs, on la voyait presque pas du tout depuis quelques jours et seuls une poignée de privilégiés avaient le droit d’aller et venir dans sa chambre. On la disait souffrante, sans préciser de quoi exactement, et il semblait qu’elle avait dû mettre ses activités de gouverneure en pause le temps de se rétablir –en attendant les épais rideaux de ses fenêtres n’avaient quasiment pas laissé passer la lumière du jour et tous supposaient que la maîtresse des lieux passait ses journées à dormir pour se retrouver sur pied le plus vite possible.
Pour l’employé lambda de la demeure, c’était une situation inhabituelle mais au final pas bien inquiétante tant que les guérisseurs ne s’affolaient pas.
En vérité, on avait rarement vu Aurora aussi misérable dans les murs de son propre château.

Cela faisait un peu moins d’une semaine ; à être plongée dans la pénombre et abuser peut-être un peu trop de décoctions aux plantes pour l’aider à dormir et soulager la douleur, elle avait un peu perdu le compte des heures et des journées, mais les souvenirs de la souffrance qui s’était emparé de son corps, du sang sur ses draps et de la peur indicible qui s’était emparée d’elle restaient vivides dans son esprit brouillé par la fatigue.
Ça avait été trop soudain, trop violent, trop, tout simplement –et la peine qu’elle avait accumulé en elle sans presque jamais l’extérioriser depuis l’investiture d’Adriel à Ambrive semblait avoir enfin atteint le seuil de l’insupportable.
Une fausse couche ; c’était là le diagnostic de ses guérisseurs personnels, qui l’avaient ainsi indirectement prévenue d’une grossesse qu’elle n’avait pas encore soupçonné, et la nouvelle l’avait d’abord abasourdie avant de l’attrister.
En temps normal pourtant, Aurora ne se serait pas laissée démonter par l’idée d’avoir perdu un enfant dont elle n’avait même pas conscience de l’existence et qu’elle n’attendait pas particulièrement non plus.
Mais le père était Adriel, et dans son esprit que le chagrin embrouillait, elle avait l’impression d’avoir perdu à jamais tout ce qu’il lui restait de lui.

Enfouie comme une enfant au creux de ses couvertures, Aurora ne bougea pas d’un iota quand on toqua à sa porte dans un rythme très particulier qu’elle connaissait par cœur ; sans qu’elle n’ait à répondre, la porte s’ouvrit, et elle n’avait pas besoin de lever le nez de son cocon pour savoir qui venait d’entrer.

Tristan était bien désormais le seul au monde autorisé à envahir le moindre de ses chagrins de sa présence familière et réconfortante.