Cela fait des heures maintenant, ma chérie, que tu vomis sans relâche. Tu trembles, tu pleures, et les fluides se mêlent avant de s’écraser au fond de la baignoire dans un bruit grotesque.

C’est dégoûtant.

Tu fais de ton mieux pour garder le silence, mais tu as beau presser tes mains contre tes lèvres, tu ne parviens pas à garder la peur en toi. Elle finit par s’échapper sous forme liquide, quand tu ne gémis pas de terreur. Et tu as l’espoir que, quand tu te seras enfin vidée de tes forces littéralement comme figurativement, il ne restera rien d’assez puissant en toi pour mouvoir ton corps et l’amener à saccager je-ne-sais-quoi. Oh, tu te trompes, mon amour ; ton petit manège n’a jamais empêché quoi que ce soit d’arriver. Tu te rends malade pour rien car la transformation est inévitable. Toi qui grimaçais déjà à l’arrivée de tes menstruations un peu plus tôt dans le mois, tu te doutes bien que c’est une partie de plaisir comparé à ce qui t’attend ce soir.

Et tu ne seras même pas là pour le voir.

Mais moi je le verrai, rassure-toi. Je verrai ton corps hideux se transformer. Je verrai la créature hirsute que tu es. Je te verrai, te débattre et arracher tes liens (comme tu le fais à chaque fois) ; et tu sortiras avec fracas de la grange où l’on t’a confinée, grande bête noire, férocité aux dents et animosité aux yeux. Une créature de haine et d’agressivité. Peut-être que tu arracheras la porte de ses gonds, ou peut-être que tu choisiras la solution de facilité en détruisant le mur en bois. Il n’est plus si solide depuis que tu y as fait tes griffes la dernière fois.

Peut-être que tu ravageras les champs et réduiras à néant les récoltes. Peut-être que tu auras faim.

Je sais que tu auras faim, ma chérie. Tu n’y peux rien. Peut-être alors que tes crocs s'abattront sur la nuque du chien de tes bienfaiteurs. Tu l’aimes tellement, lui qui est si gentil avec toi, qui mange les restes du repas dans ta main. Gentil Reinhold. Tu t’en voudrais tant. Le pire serait de savoir que son corps, son coeur, repose au fond de ton estomac.

Tu vomis encore. Et si ton ventre vide était ce qui affame la bête ? Tu n’y avais pas pensé mais soudain tu t’en veux. Tout est sans doute de ta faute. Mais il ne te reste qu’une petite heure avant que la lune ne se lève. Et même si cela suffisait, tu ne pourrais rien avaler après cette purge. Tu rinces la baignoire et nettoies sommairement la salle de bains ; tu y repasseras au petit matin, quand tu seras de nouveau “toi”. Nul besoin donc de la récurer de fond en comble.
Tu te rends à la grange (ta grange). Tu te dénudes et poses tes affaires dans un coin. Au moins tu gardes ton intimité ici ; tu sais que tout le monde a trouvé refuge plus loin, beaucoup plus loin. Ils seront de retour le lendemain pour constater les dégâts tandis que tu t’excuseras encore et encore pour une erreur qui n’est pas vraiment la tienne. Tu t’attaches comme on te l’a montré par le passé ; les cordes sont déjà en place de sorte qu’il ne te reste plus qu’à les passer autour de toi et à faire un pas pour qu’elles se serrent d’elles-mêmes.

Tu grelottes. Ce mois d’octobre n’est pas tendre avec toi. Tu serres les dents, tentes de lutter. En vain.

Tu perds connaissance.