Le chemin du retour est aigre. L’air est si dur, la joue si brûlante quand les mains pourtant ne se lâchent plus depuis qu’elles ont pleuré ensemble. Les larmes ont lavé la rage, pour l’instant. Et pleine de boue, Selena a chevauché jusqu’à Roseraie avec sa soeur, silencieuse.

On apprécie le silence, le savoure tant qu’on est en paix, fatiguée de la bataille. Et quand on marche vers le palais, vers l’écurie, on s’attend à tout sauf voir la silhouette de l’oncle Asharim.
Alors Selena soupire, serre un peu la main de sa moitié quand elle couine.

– On va se prendre un savon s’il remarque qu’on s’est battues Aste, on fait comment, on prend la fuite ?

Oh, il faut bien qu’elles soient complices pour échapper au courroux d’un oncle fatigué de leur bêtise.

Si Asteria dit d'affronter les répercussions de leur bêtise, alors Selena hoche la tête, avance d'un pas trop certain pour quelqu'un qui va vers la mort. Après tout, mieux valait être digne que misérable, non ?

Sauf qu'Asharim leur jette ce regard. Celui plein de dédain, la fatigue déjà sur les traits. Et à ce moment-là, Selena sait. Elle sait qu'elles sont fichues et on couine un peu. Baisse la tête, en acceptant les remontrances. Car elle est certaine qu'Asteria le lui crie mentalement et elle veut survivre.

La joue brûle, Selena est honteuse et pourtant, pourtant, il y a un sourire qui tire les lèvres malgré elle, un rire qui menace d'exploser quand elle garde difficilement son sérieux.

–… pardon Oncle Asharim. Je crois qu'on a pas besoin de t'expliquer la raison de notre état… Vu que… Un gloussement lui échappé, sacrilège.Pardon- vu que tu as déjà deviné je disais.

Et Selena essaye. Elle essaye de toutes ses forces, les lèvres pincées et le visage rougi de retenir le fou rire nerveux qui menace bien trop. Tient-elle tant que ça a mourir de la main de son oncle et sa sœur chéris ? Il semble bien car le rire ne tient plus, résonne contre le sol qu'elle regarde pour ne pas faire affront à son oncle. Et Selena pouffe. Elle pouffe sans pouvoir s'arrêter.

Bordel de merde quelle idiote.

Oh, on tente bien de faire taire le rire mais c’est une fanfare qui ne peut pas cesser. Entre deux rires, elle s’excuse à maintes reprises, tente d’étouffer la raison de sa mort de ses mains avec peine.. Et c’est uniquement le seau d’eau qui vient arrêter ce fou rire nerveux.

Que de fraîcheur, Selena en perd son souffle un court instant et soupire, retrouvant son calme dans la froideur. Regard désolé à son oncle, Selena tente un sourire attendrissant qui ne marcherait pas.

– Je suis navrée oncle Asharim, c’était nerveux, promis je ne me moquais pas de toi.

Soupire, Selena mord la lèvre la mort dans l’âme quand elle croise le regard dur. Elle sait qu’elle ne trouvera aucun soutien en Asteria qui doit tout autant souhaiter sa mort que leur oncle. Mais pourtant, Selena serre la main un peu plus fort, baisse la tête et se joint enfin au sérieux.

– Je suis désolée mon oncle, nous le sommes toutes les deux pour t’avoir déçu. Et merci pour le seau d’eau, ce fut suffisant pour calmer ma.. Nervosité.

Et quand la tirade de l’oncle s’étire, quand la déception vient peser sur les épaules, Selena mord la lèvre, serre la main, déçue elle-même par le fait d’avoir déçu le seul parent Caterna important à ses yeux. On se retient d’ouvrir la bouche, de couper les mots pour s’expliquer et quand l’oncle demande des explications, c’est honnêtement que Selena lui répond, la tête haute et le regard fixé dans le sien.

– Je suis émotive, mon oncle, tu le sais. Et ces dix jours, je suis certaine que tu le comprends, ont été des plus éprouvants. Asteria voulait me réconforter et, je ne sais pas, tout est parti si vite, comme une flamme sur de l’huile.

Les larmes menacent. Car aussi fier que soit le port de tête, parler des sentiments ne peut que fragiliser cette coquille déjà éreintée qu’elle est devenue, Selena. Alors elle chasse les larmes comme elle peut de sa manche, admet les torts en toute franchise, car il n’y a rien d’autre à faire.

– Clovis me manque mon oncle. Je culpabilise tellement de notre échec, de mon échec ! Et cette usurpatrice sur le trône ! Je.. C’est insupportable. Dès que je ferme les yeux mon oncle, je ne peux que les voir. Les corps. Imaginer le pire.

Pour Clovis. L’amitié d’enfant, l’amitié et la dévotion se lit, on ne peut cacher cette faute professionnelle et Selena ne peut que baisser la tête.

– Tout ça pour dire que je me suis emportée, j’ai été injuste avec Asteria, pardonne-moi. Et ne lui tiens pas rigueur de sa colère, j’ai été vile.

Quitte à subir le courroux, Selena tente le tout pour le tout. Protège la moitié qu’elle a déjà roué de vilénie. Et on garde sa main dans la sienne, toujours car rien n’est plus fort que l’amour après avoir cru le perdre pour toujours.

Faites que l’oncle pardonne, Selena prie toutes les arcanes en regardant ses pieds. Quelle ridicule vue elles offrent. La froide Asteria et l’imbécile Selena, trempées jusqu’aux os par leurs bêtises.

Les remontrances sont écoutées, la tête est hochée quand elle répond d’un murmure.

– Oui mon oncle, je ferai attention à ma conduite.


On hoche la tête tout du long, promet d’être plus digne. Et on ne dit rien quand il accule Asteria, quand il pousse les mots hors de ses lèvres. Car malgré la peur, Selena, elle attend, avec trop d’impatience, qu’enfin, la pensée de sa moitié soit dite. Car même si elle doute d’elle, Selena, toujours, a envie d’avoir foi en elle, de la voir assurer qu’aucune sympathie n’est éprouvée, que le deuil la silence.

Alors les yeux attendent, supplient Asteria d’être du côté des Vaudreuil, de leur côté, de ceux qui veulent la tête de cette usurpatrice assise sur le trône.
Et là, nouveau rire, Selena ne peut le retenir, même s’il est faible quand elle sourit à son oncle avec fierté.

– Mon oncle, je n’accepte un seau d’eau sur ma tête que quand c’est toi qui me le verse, ne t’inquiète pas que ma dignité de Caterna est là.

Les yeux suivent le regard d’Asharim, ce regard trop triste pour le visage de cet oncle qu’elle a toujours admiré. Selena voit les sacs et ses doutes se renforcent. On serre la mâchoire, fronce les sourcils avec affliction. Car Asharim est cette figure, ce modèle qui jamais n’abandonne dans l’esprit de Selena.

– Tu t’en vas.. ? Plus qu’une question, un reproche. Comment peut-il ? Les dents grincent, les ongles mordent la paume des mains. Comment peux-tu nous abandonner ? C’est dur pour nous aussi mais…

Mais quoi ? Mais quoi Selena ? Comment dire la rage, comment dire l’envie dévorante d’enfoncer la lame dans les entrailles de cette chienne sur le trône ? Comment dire à Asharim qu’elle aurait voulu son soutien, son épaule où s’accrocher pour rester saine.
Et les mots restent là, dans la gorge, dans un sanglot étouffé quand on perd le seul parent qui importe. On ne peut pas, on arrive pas à lui dire de rester, de ne pas les laisser seules dans le noir. Juste de la dureté.

– Nous restons pour notre devoir. Pas pour servir l’autre catin. Je veux avoir sa tête et je ne pourrais pas me faire face autrement.

Pour les Vaudreuil. Pour leur honneur. Et surtout pour Clovis.

Elle soupire, s’attendrit quand les pas la portent jusqu’à son oncle. Une étreinte comme elle en offre souvent, une étreinte qu’Asharim fuira sûrement mais que Selena renforce, tremblante face aux au revoir qui sont peut-être des adieux.

– Reviens-nous vite oncle Asharim, tu vas me manquer… Les larmes montent quand elle attire Asteria dans leur étreinte. Ca va me manquer que tu sois là. Ecris-nous si tu peux, d’accord ?

C’est comme une enfant soudain, qui a du mal à relâcher sa prise sur Asharim, une enfant qui respire une dernière fois le parfum familier de ce parent qu’elle aime tant. Les conflits sont derrière eux, c'est la crainte et la tristesse qui envahissent désormais les coeurs.