Aleina travaillait et c’était le seul moment qui donnait à son âme le semblant de quiétude qu’elle aurait tant voulu cultiver. Ses pensées n’étaient que poison et tourment sur ses plaies ouvertes et sanglantes. L’amour avait été découvert dans son coeur mais à quel prix, à quel horreur.

Ses mots s’alignaient sur ce papier jauni tandis que ses yeux pleuraient des larmes qui refusaient de naître. C’était désormais son monde et c’était ainsi que tout devait continuer, elle qui vivait comme la dernière de son nom. Aiden soupirait sa bouche, Aiden hurlait son coeur. Le monde semblait bien vide désormais tandis que les lettres froissées s'accumulent sur le sol marbré de son étude.

Le sang pour la chaire tel était son sacrifice et les mots dessinés sur son papier, ces recherches semblaient donner à son esprit un semblant d’ordre. Voilà qui était bien, voilà qui était beau. Les chiffres font la ronde pour compenser le manque, et les théories fusent comme des galaxies perdues dans le ciel noir du chagrin.

Cheveux détachées sur son front plissé, elle n’avait pas mangé. Son repas refroidissait doucement dans cette nuitée et sur ses cuisses découvertes, des tâches d’encres les parsemaient. Dans l’étude, il faisait un froid lourd et plein de sens mais Aleina n’en avait que cure. Il lui semblait qu’elle avait toujours vécu dans le froid avant qu’Aiden lui montre la chaleur du monde. Et cette pensée serrait son coeur sous l’étau des rancoeurs et des adieux. Ses pieds tapaient un rythme que seulement elle pouvait percevoir, tandis que le monde se fit à cogner.

Premier coup épais, un cri masculin ricochant dans les couleurs. Son corps saute et ses espoirs semblent devenir une chape de plomb. Elle reconnaissait ce cri, elle reconnaissait cette voix. Alors, elle entrouve la porte, la déception se dessinant au coin de ses pensées aigris. Puis un éclair blanc qui fit trembler la lampe. Il y avait quelque chose sur elle, quelque chose qui sentait la terre et la sueur. Elle voulait pas y croire, Aleina fermait les yeux. Une enfant qui souhaitait rêver et qui souhaitait se voir dessiner la réalité dans sa perception.

Un appel discret, une sensation sur son corps. Elle ouvre les yeux et comme un mirage, Aiden était là. Sur elle et les yeux ouverts sur un monde que seuls eux pouvaient voir. Il semblait abimé et aveugle, un chaton prit par une tempête plus forte que lui. Mais elle ne le repoussa pas, doucement comme pour ne pas le faire fuir, elle le mit sur ses genoux. L’inquiétude battait son plein tandis que ses mains touchaient son visage, il parlait sans doute. Mais rien ne faisait sens, alors elle ne répondait pas. D’une voix inquiéte, les mots prirent du sens tandis que ses doigts effleuraient doucement les marques de coups et de griffures qui parcourait sa chair :

-Qu’est qui s’est passé Aiden…

Et ces mots avaient enfin la couleur de la douceur envolée et arrachée par la dernière fois qu’ils se sont vus.

-Tu ne peux pas me voir, pas vrai ? Qu'est qui s’est passé ?

Ce constat empli d’une profonde inquiétude ne pesait pas sur sa voix. Il semblait agité alors, elle ne voulait pas être une source de stress supplémentaire. Il était là, une dernière fois. Alors elle voulait le faire rester.

-Laisse moi t’aider…

Il s’agitait cet homme immense par son pouvoir mais si faible sur ses cuisses, comme un enfant déchu de ses rêves et de son futur. Les larmes qui perlaient avant de mourir détruisaient son faible coeur et Aleina voulait  les essuyer. Mais la familiarité ne devait pas être présente même si son être voulait juste essuyer ses larmes et lui dire que tout ira bien. Tout devait bien aller, il était le héros des contes de fées. Il était le mage, le roi, l’héros, le temps et l’absence de douleur. Il était Aiden et il ne sera jamais à elle.

L’écoutant, son coeur sombra. Que s’est-il passé ? Antigone l’avait attrapé et torturé? Etait-il devenu aveugle à cause d’elle ? Voilà où tout s’arrêtait, ce choix qui pendait sous son nez, les erreurs accumulées du passé lui donnait cette raison absente de ses choix. Pouvait elle continuer vers Antigone et refuser cet être qui lui donnait cette confiance pure. Mais ses doutes s'enterrent profondément en elle, tandis que sa voix chuchote comme un doux mensonge tolérable :

-Ca va aller, Antigone n’est plus là désormais. Je suis là. Je vais te soigner. Aucun démon habite chez moi, sauf le chat d’à côté.

Elle ne mentait pas, elle qui se dévouait à ce que son sang lui avait apprit, Aleina voulait désormais se dévouer à lui. Lui donner cette vie qu’Antigone lui avait prit. Il la remercie et dans cette main tendue qu’elle s’était emparée, elle l’avait prise comme si son temps allait s’évaporer. Ses doigts sont si froids comme si la neige les avait attrapé, comme si la mort les avait revendiqué. Refusant cette idée, Aleina la porte à la joue. Laissant les doigts malhabiles d’Aiden traçant son visage, de son nez à ses yeux. Elle était là, près de loi. Ses cuisses endolories par cette présence, mais elle ne les écoute pas. Il parle pourtant Aiden. Dans cette voix empli d’une froide constatation mais d’un appel urgent, il lui dit l’inimaginable. Il a perdu, lui. Il a perdu face à Antigone. Son existence sombre et brille, Aiden avait perdu. Ce n’était pas possible, il n’avait jamais été que cette figure lointaine et idéal d’un élu des cieux. Mais il avait perdu. Et le voilà, à demander dans cet air si sombre si elle allait le trahir encore une fois. Et ses larmes viennent se mêler aux siennes, ses mots s’entrechoquent dans un sanglot etouffé :

-Non..non...non… Je ne ferai jamais ça, je ne veux pas que tu meures. Je veux que personne ne meure. Je ne peux pas te laisser partir comme avant, je ne dirai rien. Je prendrai soin de toi.

Ses promesses s’enchaînent dans un flot purificateur de ses yeux, de son âme, de ses tripes. Elle a si chaud, elle se sent si bien dans sa douleur. Contre lui et loin du monde. Glissant ses bras le long de son torse, Aleina le remonte vers sa poitrine. Un enlaçade, comme avant sauf que plus rien ne serait comme avant. Une enfance qu’elle venait d’enterrer, sans contrefaçon. Glissant sa main sur la table, Aleina en extrait un petit flacon. Des premiers soins, rien de bien grandiose . Il est toujours là contre elle, soufflant et vivant, mais il allait être soigner. Il allait bien revoir.

-Je te promets que tu pourras voir. Je te promets que tu ne perdras plus. Même si tu ne me fais plus confiance, je suis là.

Sa joue contre le haut de son crâne, tout lui parut plus beau et plus atroce. N’avait-elle pas de sens interne ?

La senteur des existences passées se mêlaient sur le bout de ses doigts agités, tandis qu’Aleina dévissait flacon et coeur pour ne pas le blesser. Aiden tentait de la rassurer avec des histoires fantabuleuses, des fantasies bien innocentes de bandeau autour de ses yeux. Appuyant doucement les premiers soins sur son visage égratigné, elle dessine un sourire sur son visage contrit par l’inquiétude et chantonne en réponse à son bâillement et à sa maigre tentative de la rassurer :

-Peut-être, tu aurais l’air. Mais tu n’es pas prêt de voir venir le besoin d’avoir un bandage.

Tout était simple et faux comme une mensonge d’avant, un mensonge qu’on a soigneusement conservé dans une bouteille de sentiments. Cette nostalgie lui brisait le coeur car elle rappelait à Aleina toute la splendeur de la cruauté du destin. Mais elle voulait conserver l’instant avant que tout s’arrête et que la guerre, notre mère irascible, arrache le dernier sourire. Il l’a perdu tout en gagnant la clarté de son coeur et ce double jeu où chacun veut être le sien de l’autre est une torture. Aleina aimerait l’embrasser et lui dire que tout ira bien. Elle est sienne, comme elle ne pourra jamais être à quelqu’un. Son coeur se brûle dans la lente coutume des amours interdits. Mais ce n’avait plus d’importance, ça n'avait juste aucune importance sous la Lune. Lune gardienne de son secret et de son murmure.

-Tu sais, je serai toujours tienne. Tu ne perdras jamais. Même si je dois combattre, même si je suis contre toi. Tu es une partie de moi. Tu es une partie de ce qui m’a créé et qui m’a rendue moi. Tu me perdras jamais.

Sucre sur amertume gelée de cet homme qui représente sa destinée. Dans une autre vie, Aleina aurait pu être mille autres femmes et trouver mille autre raisons de vouloir rester à ses côtés. Et ce n’est pas l’appel désespéré d’Aiden qui fera changer cette conviction. Dans quelque chose bouge en elle à l’écoute de ses mots, une larme s’enfuit de ses yeux valides. Il lui dit à mi mots ce qu’elle aurai voulu entendre, Aleina voudrait une autre solution, une autre réponse. Comment respecter ce monde qui lui avait donné un sens, Briserune, et ce monde qui lui avait donné la vie, Grandvent. Garder Aiden auprès d’elle. Ses pensées se bousculent dans une cacophonie hurlante mais elle ne bouge pas. Aleina reste stoïque, la main levée et les pensées troublées. Il allait confesser, le dernier symbole de leur lien. Les mots s’attardent mais elle savait, elle le sentait. Il l’aime.

Ils se sont toujours aimés stupidement dans les détours de Sombrelune et de leur adolescences communes. Mais il ne lui donne pas satisfaction et son poids s’affaisse dans un douce paix ensommeillée. Elle râle mais Aleina respire mieux. Son visage est rouge et chaud et son coeur semble vouloir fuir et jouir de cette liberté retrouvée. L’homme qui hantait ses nuits dort contre sa poitrine comme un enfant malade mais pourtant la seule chose qui semblait se corrompre cet instant était les pensées parasites d’Aleina.

Mais les ignorant, elle se mit en action. Soulevant le corps endormi d’Aiden dans ses bras, elle invoqua un léger vent pour le soulever. La situation serait fort fâcheuse si quelqu’un la surprenait avec le corps d’un homme aussi placé, alors jetant sur lui son manteau d’hiver, elle pria pour que dans l’obscurité tout le monde ne voit qu’en lui son ombre portée.

Glissant dans l’ombre, le bruit de ses chaussures tapotant la pluie des sols, elle courrut presque avant d’arriver dans le confort de sa maison. Retirant le manteau, Aleina eut un sourire léger devant l’étrange tableau qui se dessinait devant elle. De toutes les façons dont elle avait imaginé ramener un homme chez elle, et de toutes les façons où elle avait effectivement ramener un homme chez elle, cette version était la plus incongrue. Mais ses pensées peuvent attendre, tandis qu’elle guide d’un geste de sa main le corps endormi sur son lit. Le recouvrant d’une couverture, Aleina se mit en action.

Soignant les petits bleus et les coupures, elle occupait ses doigts pour que son esprit avide se taise. C’était le seul moment de paix qu’elle allait avoir avant un long moment. Puis son esprit était lourd de la fatigue et du stress consommé. Attendant qu’il se réveille, elle plonge un peu dans une somnolence charmante où tout est joli et les âmes sont pour toujours entrelacés.

Miroir parfait du désarroi qui habitait son âme, son corps s’était naturellement enveloppé autour du sien. La paix avait cette sensation de la chaire sur sa chaire, de la respiration légère du sommeil. Elle dormait sans sommeil, elle rêvait sans rêve. Car son rêve avait déjà été exaucé.

Aleina avait ce qui était de plus proche de la plénitude des amants, ce moment où elle savait qu’il savait et il savait qu’elle savait. Dans le noeud de Morphée, les secrets ne valent rien de plus qu’une poudre légère et amère. Elle dormait et sans concupiscence, elle aurai jamais voulu se détacher de lui. Son sommeil se fait léger tandis qu’une main touche ses cheveux, elle comprend sans comprendre ce qui se disait.

Le sommeil épargne les esprits en voilant les âmes et sa tête ainsi flattée était comme une douce révélation. Si sa vie était ainsi, à le soigner et à le veiller, elle serait heureuse. Cette pensée était assez pour éveiller son cerveau endolori des rêves impossibles et du sommeil défectueux. Les caresses répétées se font guides de son éveil et tandis que les premiers mots tentent de franchir le bout de sa bouche ensablée

Les trois mots frappent dans son coeur. C’était une violence sans nom comme celle qu’on redoute à la guerre et qu’on attend dans le foyer. Ces mots dont elle devinait l’existence depuis quelques temps mais dont elle se refusait en voyant de la haine là où le coeur était autre. Son visage chauffait doucement, suivant la chaleur de ce corps qu’elle avait si longtemps suivi de loin. Il l’aimait et cette vérité semble suffir à lui donner envie de vivre plus longtemps, de trouver un moyen de devenir meilleure pour lui. Antigone n’existait plus à cet instant et les mots que prononçaient Aiden semblait provenir d’un lieu si lointain. Là où se bercait son ancien sommeil. Quelle heure était-il ? Aleina n’en avait rien à faire. Elle l’aimait.

Il l’accusait désormais de sa voix amère de faire semblant, et elle n’a jamais voulu autant prouver qu’elle était là. Mais le choc et l’émotion la rendait lâche, pendant un instant, elle ne dit rien. Aleina restait là, à chercher dans son coeur cette résolution paisible de briser encore une fois tous ses sermons.

-Je t’aime aussi Aiden.

Cette fois coupant la torpeur et ravivant l’aveu de sa main sur ses cheveux

-Je t’aime et te voir partir a été sans doute la pire chose que je n’ai jamais vu partir.

Elle avouait, confessait sans détour ses sentiments pour que la fin quoi qu’elle soit soit sans regret. Se relevant lentement, elle planta ses yeux fixes dans ceux nébuleux de son héros et némésis de fidélité :

-C’est vrai que j’ai dormi aussi.

Voici qu’elle boucle sa confession sous une touche stupide, une fuite en avant car leur destin était si ironique. Dans une autre vie, sans guerre ni sang, tout aurait été si beau. Son visage s’approche et se niche dans le coin du cou de son aimé, elle l’enlace et pour une fois, il n’a plus le droit de partir. C’est son lit, sa maison, ses règles. Et elle l’aimait.

Le rêve ne se dissipe pas malgré cette sensation éthérée d’un bonheur non méritée. Dans ses bras, dans cette protection tendre elle se sentait unie et entière. Aleina avait toujours rêvée de cette sensation, de cette plénitude chaleureuse. Elle lui était offerte dans ces bras et dans cette puissance protectrice. Il la serrait et pour ce moment, le reste du monde n’existait plus. Et même si il existait, rien ne voudrait cette sensation qu’elle ressent.

Peut-être qu’elle l’avait toujours aimé, peut-être que quand ils étaient jeunes tout était déjà en place. Il semblait toujours avoir cette place dans son coeur, jamais rognée par ces autres hommes qu’elle avait caressé de sa main. Il avait toujours existé en elle depuis le moment où elle l’avait vu, il y a si longtemps en arrière. Aleina connaissait l’ironie de la situation mais tout était si beau, si ordonné dans son coeur que son souffle se suspend. Un en deux, se séparer de lui n’était que cruauté désormais.

Il semble profiter de la situation, son souffle chatouille la pointe de ses oreilles qui sont dressées pour écouter les paroles fluctuantes de cet homme, son homme -pouvait désormais dire son coeur empli d’espoir-.

L’idée qu’il ne parte plus jamais était d’une douceur telle que des larmes perçent sous ses cils translucides. La douleur fantôme de leurs adieux s’insère dans son esprit, se faufile à travers les ramifications de son être. Cette douleur la hanterait même quand son corps serait un autre, même quand son esprit ne se rappelerait plus de la lutte qui déchire Valdore, sa douleur serai là. Elle ne le quittera plus jamais, cette promesse s’imprime sur ses lèvres tandis que ses bras se desserrent. Il fait déjà si froid, comme avant mais un avant magnifié.

-C’est horrible pour moi aussi…

Les paroles suspendues d’Aiden résonnent curieusement en elle, elle ne pourrait jamais être son ennemi. Ses yeux aveugles et la lente agonie infligés par son infirmité est un poids trop dur. Jamais elle ne pourrait tolérer de le voir souffrant, blessé, mourant, son dernier souffle comme la malédiction d’un souvenir éternel. Non, elle ne voudrait jamais être son ennemie.

-Me séparer de toi, te voir blesser, te blesser, te voir mourir, c’est trop dur. Je ne peux pas. Je n’ai jamais pu.

Peu importait désormais ce qui arrivait à la réalité, voici comment le monde était défini. Son corps pourrait se déchirer sous les flammes, son souffle pourrait se perdre sous l’eau du lac des joyaux, du moment qu’un sourire et qu’une joie habite cet homme. Si seulement tout pouvait être aussi simple.

Pressant ses paupières dans l’espoir de changer ce désespoir qui humidifiait ses yeux vifs, l’élan de vie le plus féroce la prit et cette union fût scellée. Elle lui offrait son amour cette preuve de leur lien éternel par ses lèvres. Aleina l’embrassait sans y mettre les formes, la politesse et les rougissements de ses manies de jeune fille en fleur. Le baiser emportait tout de ses troubles à sa peur pour garder l’essentiel, elle l’aimait et elle le voulait avec elle, toujours n’est pas assez long pour ça.