cela faisait trop longtemps que la liberté toquait à la porte du coeur chez Sixtine, trop longtemps que voir son père pêcher et sa mère danser lui assurait que ce n'était pas le futur qu'elle désirait

Sixtine est née
avec cette envie crevante de liberté alors qu'elle ne porte aucune chaîne à ses pieds et Sixtine n'hésite pas un instant, malgré les mises en garde de ses parents, lorsqu'elle part à ses dix-neuf ans.
embarque sur la première charrette qu'elle trouve moyennant la promesse de les distraire
quitte Pâlécaille les poches aussi légères que la tête – désireuse de remplir les deux de nouvelles histoires, en faire sa quête ;

la concession s'arrête une première fois aux abords du village et c'est sourcil arqué mais sourire plaqué qu'elle voit débarquer ce qui semble être un camarade de fortune, mandoline en main alors que les siennes  saisissent son luth, la barde autoproclamée joue des cordes pour l'accompagner.
— De Pâlécaille, juste à côté. Et vous ? Début de voyage ou retour à la maison?
sait avant même d'avoir posé cette question
qu'elle comme lui sont de ceux qui font de maisons partout où leurs pieds iront;
— Sixtine, enchantée. Barde en devenir.

— Oh, j'aime beaucoup cette phrase, il faut que. elle lâche son luth pour sortir un calepin. Je la note ♪
elle reprend l'instrument et s'amuse à imiter les notes ratées de son nouveau camarade – rate volontairement un accord particulièrement désagréable lorsqu'il s'exprime et sous-entend qu'elle est tout juste une enfant.

— C'est riche venant d'un quarantenaire, à ton âge ce n'est pas conseillé de prendre la route non plus.
sourire taquin parce qu'on lui rend bien ;
— Dix-neuf ans, et je ne sais pas ! Là où le vent m'emmènera ? Ma première destination est probablement Roseraie, on verra bien après.
car du monde Sixtine ne connaît qu'Ambrive et aspire à le voir dans son entièreté ;
— Tu ne laisses rien derrière toi ?

le doute subsiste à peine mais c'est les cris de sa mère lorsqu'elle a claqué la porte sans demander son reste, les suppliques d'y réfléchir si jeune Sixtine, si jeune
vite oubliées une fois Pâlécaille qui s'éloigne doucement à l'horizon.

le rire mélodieux ;
— Promis, je dirais que cette phrase me vient d'un barde octogénaire, ou était-ce quarantenaire ? Parti en laissant femme, enfants et amis derrière ♪
elle observe la sacoche – presque – vide et pose – à nouveau – son instrument sur le bois ; fouille dans son sac en fredonnant, et lui lance un gros morceau de poisson séché
— C'est ton jour de chance, papy, l'avantage d'avoir quinze ans, c'est que mes parents étaient suffisamment inquiets pour ne pas me laisser partir sans rien. A défaut de pouvoir me retenir, ils voulaient s'assurer que j'allais un jour revenir.
elle s'allonge ensuite, yeux rivés sur le ciel qui défile, les ferme pour savourer les accords ratés, le son des sabots qui frappent la terre et l'odeur particulière qu'a
enfin la liberté.
— C'est un paiement en avance pour utiliser ta phrase sans consentement.
ricane ;
c'est si g r i s a n t.

elle ouvre un oeil au bruit de l'instrument qu'il brandit comme une arme, éclate à nouveau de rire et se tourne sur le côté pour pouvoir le toiser ;
— J'ai le temps d'endormir tout mon public avant d'avoir fini de prononcer ça !
le regarde satisfaite déguster le poisson, fière malgré elle du travail de son père qui chaque jour partait au lac pêcher –
est ravie que sa première rencontre soit une personne qui partage les mêmes envies, au fond des yeux du brun, l'éclat singulier de ceux qui désirent toujours plus qu'ils n'auront jamais.
— Pourquoi pas ?
elle tend le bras avec difficulté pour parer le poisson avec son luth, abandonne et se vautre à nouveau sur le dos, jouant un enième morceau ;
— J'ai toujours chanté. Aussi loin que je m'en souvienne. Et il y avait ce barde, venu une fois au village. Hilarant. Il chantait des histoires plus ridicules les unes que les autres, rien de grandiose, les histoires des gens dont personne ne se rappellera le nom plus tard. Ca m'a inspiré. Regarde, quand tu seras mort, qui chantera tes louanges ? Moi, ici présente ! Et toi ?

espérant que plus tard, ils écriront l'histoire –
qu'on parlera de Sixtine et Lancelot à travers chaque ragot, et qu'ils resteront fidèles à ces idéaux – ceux que la liberté et la curiosité leur ont soufflé, la volonté de louer chaque personne méritant à leurs yeux d'être mis en chanson;
— L'amour ! Ah, l'amour, la muse parfaite pour tout barde qui débute !
et elle redresse le buste, le regard pétillant qui vient croiser celui du brun.
— Lancelot, le charmant barde à la recherche de son amour véritable, celui qui deviendra sa maison.
Sixtine laisse planer quelques notes avant de faire tomber le sourire, et parle à basse voix.
— Mentir sur son passé est toutefois rarement une bonne idée ♪ La recherche de l'amour, c'est charmant, mais la réalité, le passé de celui qui a tout abandonné ? Passionnant. Alors dis-moi, mon bon Lancelot, quel est ce commencement qui semble te peser tant ?

elle n’ajoute rien, Sixtine, écoute patiemment, mais n’en pense pas moins – à ses yeux, il n’est pas besoin d’enjoliver la réalité car c’est celle brute, moche, ordinaire qui l’a poussé à quitter son foyer ; il y aura bien assez de bardes dans le monde pour conter l’histoire des vainqueurs,
elle, elle s’en tiendra aux banalités.
— Si on me demande mon avis, j’aime cette version tout autant que l’autre.
la naïveté de fin d’adolescence, peut-être, lorsqu’elle ne veut paraître rien d’autre que la jeune Ambriveraine partie sur un coup de tête – sans comprendre la douleur que c’est d’avoir une famille dysfonctionnelle, la sienne était parfaite.
— C’est quoi, le fameux cas où les parents ont d’yeux que pour l’aîné qui va reprendre les affaires ? Jusqu'au jour où l'aîné disparaît mystérieusement et soudain ! C'est au cadet de tout reprendre en main !
rigole pour adoucir l'atmosphère, Sixtine a lu trop de livres – écouté trop de mensonges –et s'imagine des scénarios improbables pour pimenter le banal.

« équipe »
sonne doux à ses oreilles et rassurant car Sixtine fait la maligne mais Sixtine n’a que dix-neuf ans – et si elle s’écoutait, un instant, qu’elle prenait le temps d’y réfléchir au lieu de se laisser porter par ses caprices, peut-être peut-être que la vérité serait :
partir seule l’effraie légèrement.

alors au lieu de se perdre dans ses pensées, c’est toute son attention qui est portée vers Lancelot, lorsqu’il lève les bras et s’écrie haut – sourire amusé de le savoir aussi dramatique qu’elle dans la gestuelle, elle ne rate pas non plus le rire crispé lorsqu’il parle de faire disparaître son frère ainé ;
— Equipe complémentaire, je viens combler tes lacunes en t’apportant les bonnes idées.
plus de notes plus de luth entre ses mains, Sixtine reste un instant silencieuse.
— Mais non, aucune hélas, et avoir ça sur la conscience, merci, non merci !  
elle observe les traits du brun à la recherche d’humour – pas encore habituée aux blagues de ce genre et ne sachant pas comment y répondre avec légèreté ;
— Tu comptes pas vraiment le tuer, si ? Je rigolais, hein. J’aimerais bien que mon premier camarade barde ne devienne pas un tueur.

— Ce n’est pas ce que je voulais dire.
Sixtine
sans connaître les affres de la guerre et de la faim, Sixtine qui ne connaît encore rien d’un monde qui promet mille peines, est ce type de personne qui n’a d’avis que sur les choses qui la concernent et la mort
n’en fait pas – pour aujourd’hui – partie ; alors lorsque Lancelot parle d’intégrité et de tuer, ce n’est pas l’inquiétude de côtoyer un meurtrier qui la pousse à s’exprimer, mais simplement de voir son seul compagnon de route finir aux cachots et y moisir – la laissant seule, livrée à elle-même.
c’est de l’égoïsme, purement.
— Cela dit, avec les bonnes femmes, ça marcherait super bien. Un type avec un physique pas trop mal, en quête d’amour, mais mystérieux et dangereux. Elles vont se ruer sur toi, crois-moi !
ponctue cela de quelques notes qu’elle veut oppressante ;
— Il va falloir que je me trouve une image, une histoire, moi aussi, si je ne veux pas rester dans ton ombre.

elle éclate de rire, c'est que le coeur est si léger aux côtés de Lancelot ; ne pense plus à rien que le futur et espère que leurs routes se recroiseront lorsque de cette charette ils descendront.
— De pêcheur, je te prie. Mon père laboure les lacs plutôt les terres.
mais il a raison, l'histoire d'une pauvre jeune fille qui part à la conquête du monde, armée de quoi ? une connaissance parfaite en poissons et quelques pas de danse, cela suffira à peine pour la pitance;
— Je pourrais bien prétendre avoir partagé la couche d'un roi, ou d'une reine, ou de n'importe qui d'importance en réalité. Cela fait parler, les mégères seront comblées, et moi ! Payée. ♪
ah
si elle savait –
— Les seuls meurtres auxquels je me livrerais seront ceux du coeur, Sixtine, la bourreau des coeurs. Ca sonne bien non ?
sans le vouloir car encore jeune et le souvenir de l'amour parfait que filent ses parents, elle aimerait croire que sur la route, elle trouvera le bonheur et l'âme soeur.
— J'aime mieux cette idée que vivre dans ton ombre, soyons plutôt deux soleils, tu veux bien ?

pour l'instant qui crève d'envie de fuir ses lèvres car Sixtine s'imagine déjà courir après les reines et rois – par curiosité, certainement, et l'envie de vivre un folle idylle comme l'ont fait papa et maman ; teinté de complexité car statut social différent et l'illusion un instant, entre leurs bras, de figurer parmi les têtes souveraines.

s'en lassera vite, sans le savoir, et ira vivre son amour passionné avec le forgeron que personne ne connaît mais cette histoire attendra un autre jour, un autre détour.
Sixtine sourit, pas vexée bien que Lancelot soit tout à fait charmant ;
— Reparlons-en dans deux, trois, cinq ans ! Reparlons-en quand j'aurais parcouru Valdore et séduis la moitié de ce royaume.
((reparlons-en lorsque tu seras un peu mais pas tout à fait différent, lorsque tu auras troqué ta lyre pour les sombres secrets d'Ambrive
reparlons-en, lorsque nous ne serons plus des enfants))
— Hâte de te recroiser, bienveillant et magnifique maître à penser, Lancelot de Trois-Rivières. ♪

persuadée comme par une révélation divine que vos routes n'auront de cesse de se mêler, tant que vous vivrez.