Penchée et perdue dans ses formules, voici comment une journée typique d’Aleina était. Travailler, encore un peu de travail et la voilà prête. Ses longs cheveux tirés dans une queue de cheval fatiguée, son nez plein des chiffres volatiles qu’elle maniait avec aisance.
Les notes s'organisent, éventail de plumes sous ses mains noircies par l’encre. Elle avait réussi par le plus grand des hasard à dénicher les notes du célèbre Merivul de Boismaison qui avait réussi à trouver une formule permettant de comprendre la magie contenue dans le vent et comment son inflexion par une force extérieure permettait le calcul de la magie nécessaire pour l’usage.

Un magnifique pavé pour remplir sa mare de vie. Soupir, elle appuie encore une fois sur ses tempes. Ainsi va la vie, et ce n’était pas son goût faible pour l’abandon qui la guidait dans ces moments. Elle devait finir cette équation, parce que sinon, elle ne la finira jamais. Ses doigts dansent rapidement, traçant tangente et parallèle dans cette feuille qui ne serai plus jamais blanche. Puis, un léger grattement. Un bruit de gorge délicat qu’elle considéra d’abord avec une certaine fatigue :

-Si c’est pour me demander où…

Puis ses yeux se levèrent sur celui qui a produit le bruit. Un homme se tenait là, longue chevelure blanche qui aurait pu être une soeur de la sienne. Ses yeux pétillaient avec la plus malicieuse complicité qu’elle n’avait jamais vu, et un léger sourire éclairait sa face solaire. Les mots se perdirent dans sa gorge, l’émotion, le choc, la joie et la colère d’être heureuse. Tout cela a crée un afflux d’émotions qui la rendit pâle, puis rouge. Ce n’était pas le moment de l’année, ce n’était pas censée arriver. Et pourtant, il était là. Aiden, son ami d’enfance, celui qui parlait aussi doucement que le murmure de l’eau et avec la force d’un torrent. Puis, il se rapproche, non, c’est Aleina qui courre vers lui. Les bras ouverts, sa longue robe blanche claquant dans le vent comme un milliard de rêves et de souvenirs. Son corps s'écrase dans ses bras, le serrant comme si il allait s’envoler. Un mirage, son mirage. Mais cette odeur douce de sucre était bien là, et Aleina sentait sous ses doigts la fraîcheur de l’étoffe de son manteau.

Elle était heureuse et cette joie était la plus impérieuse que son coeur a jamais connu. Puis elle se détache, un peu. Il fait froid d’un coup.

-Comment ça se fait que tu es là? Tu aurais pu me prévenir!! Je t’ai mis de l’encre partout, c’est complètement de ta faute.

Le rire s’envole, trahissant ce masque de colère qui a été le sien. Il est vrai qu’Aiden était devenu Dalmatien pendant ce temps.

-Et si, je suis heureuse de te voir. Très même. Avant que tu ne me fasses le coup de faire semblant de partir parce que tu mines un égo froissé.

Le sourire s’étire un peu plus tandis qu’elle recule, ses mains lâchant les siennes dans la dernière étreinte de leurs corps.

Il rit, Aiden rit avec elle et c’est le moment le plus gracieux que sa journée avait pu abriter. Il riait sans l’air de pesanteur qui habitait ses traits devant les hommes de son peuple. Ses yeux étaient animés et il secouait ses longues épaules. Ses yeux s’attardaient sur son manteau, avec cette même mine amusée qui était la sienne.

Aiden ne lui en voulait pas, c’était chose certaine. Mais il avait l’air presque fier, pensait-elle. Une vie avec lui ne suffiraient pas pour rendre hommage à cette ampleur de sentiments qui l’animait. Qu’il était heureux de la voir rendait le monde un peu plus clair aujourd’hui. C’était un regret que les lois de bienséance ne permettait pas une étreinte plus longue. Cette pensée furtive n’était pas une habituelle mais elle l’a laissé flotter dans son esprit.

Il répond à sa question et plissant les yeux, elle eut un petit éclair de bonheur. Dans son emploi du temps chargé, il avait eu le temps de venir. C’était déjà une bénédiction en soi. Curiosité étrange qui lui prit :

-Oh ? Des affaires de Sombrelune ?

Mais la question n’était pas très importante, ce qui importait, c’était le sentiment.

-Enfin, peu importe ce qui t’a amené, ça aurait été réellement dommage que tu me dises pas bonjour. Je ne te l'aurait pas pardonné.

Et c’était un autre rire qui conclura sa phrase. Que c’était simple de vivre avec lui, comme toutes les choses sans noms qui hantaient son esprit s’évaporaient face à lui. Mais, ce court moment de bénédiction fut interrompue quand il contempla ses vêtements de travail. Le commentaire piquait dans le coeur de ce qui était vrai, elle se négligeait. Autant physiquement que mentalement quand le travail sonnait à la porte de son esprit. Lissant de ses doigts fins sa robe et tripotant ses cheveux, elle était contrit. Prise en faute par celui qu’elle ne voulait pas décevoir :

-Non. Je n’ai pas pris de pause depuis ce matin. Tu t’inquiètes pour moi ?

Elle détourne la question insolente, joue un peu pour fuir. Aleina avait déjà une mère, et cette mère lui reprochait déjà bien assez sa mine blanchâtre. Et quand cet homme -son Aiden- touchait le fruit de son labeur en lui demandant des nouvelles, un bref éclair de fierté l’a prit avant qu’elle ne précipite à ses côtés pour tirer un papier recouvert d’écriture abstruse. Mais cette précipitation avait une autre source que sa joie intangible de lui parler des chiffres et des lois. Il fallait le garder, trouver une excuse. Ses affaires l’attendaient, Aleina ne pouvait pas l’oublier. Mais, elle priait les arcanes pour la laisser être égoïste un peu plus.

-Alors, je n’ai rien fais d’absolument extraordinaire. Mais, voici tu, je travaille actuellement sur les répercussions de la magie du vent sur le vent naturel. Je cherche une équation qui permettrait de calculer l’inflexion du vent dit “”magique” dans le vent “naturel”. Et si le vent a par nature des inflexions magiques en lui. Ca permettrait ainsi de pouvoir mieux comprendre les particularités magiques des différents pays et si l’air, la terre, le feu et l’eau des pays respectifs ont une influence sur les naissances pour la magie.


Elle parle, elle parle. Les mots si remplis de sens et de vérité s’entrechoquent pour laisser le vide de la complexité de ses études. Elle sourit, ses mains s’agitent mimant le vent. Pendant un instant, ils sont enfants. Lui avec la cape trop grande de son père mais brodé avec amour par sa mère, Elle avec ses petites robes violettes et son faux chapeau en feutrine.

-Enfin… Veux tu boire quelque chose?

Reste un peu plus, elle voudrait dire. Ne retourne pas à la vacuité importante de ta vie, chuchote son esprit.

Elle s’agite, comme si une marionnettiste avait prit possession de son corps frêle. Une fois qu’Aiden avait confirmé son choix d’un thé, Aleina se baisse pour ramasser la petite conserve de thé qu’elle garde pour les grandes occasions. Soufflant un peu dessus, elle écoutait avec attention ce qu’il disait, sur ses recherches et les différentes théories qui avait agité le monde des mages.

Attrapant une petite théière dans un fer rouillé par l’expérience, elle mit le tout au dessus du feu. Aleina le surveillait distraitement en regardant du coin de l’oeil Aiden. Le silence s’était installé un peu, à la fin de ses mots. Et tandis qu’elle mimait une activité réelle, elle le contemplait. Est ce qu’il allait partir aussi vite qu’il était venu? Mais l’eau sifflait dans une teinte étrange, et son attention fut détournée le temps de jeter le mélange aromatique dans l’eau bouillante. Attrapant deux tasses, Aleina les déposa en face de lui. Puis, armée d’un torchon, elle mit la théière bouillante face à lui. Mais son flot de paroles avait reprit car dans l’occupation et la présence sereine de son ami lui avait permit de débloquer un peu de ses recherches passées.

-Vois-tu, j’y ai pensé aussi. Certains écrits que j’ai trouvé date d’avant la création de la région d’Ambrive, ils font l’état de magiciens de l’eau dans le confin sud du continent. Cependant, ils sont de trop mauvaises qualités pour affirmer avec justesse que c’est vrai ou faux, et on peut pas exclure un faux document. Il me semble que la magie serait une bien raisonnable politicienne si elle s'adapterait en fonction de la politique mais ce n’est pas impossible. Et si au lieu de chercher en “dehors”, les scientifiques devraient chercher en “dedans” ? Et si c’était une mentalité commune à un peuple qui créait un attachement à la magie ? Certains ont théorisés dessus, mais beaucoup se sont moqués d’eux. Je sais pas trop quoi en penser, mais je suis plus partisane qu’il y a “quelque chose” dans notre terre, air, eau et feu qui influence les humains. Puis même, quel rôles joue les failles dedans?

Elle parlait tant et si bien, que ses longs cheveux glissaient le long de son épaule. S’animant de ses recherches, elle voulait lui dire à Aiden. Elle voulait lui transmettre comme si, cette connaissance allait le faire rester. Comme si lui dire tout ce que son esprit possédait le lierait à elle de façon irrédémiable. C’était une telle joie de le voir, que son esprit pervers lui demandait pourquoi ils ne pouvaient pas se voir plus. Quel était l’utilité d’un stupide rituel pour le voir ? Et si…

Coupant court à ce flot délicieusement intolérable, Aleina repoussa ses cheveux derrière l’épaule et lui servit de son mieux le thé avec l’épaisse gardienne du liquide.

-Tu veux du sucre ? Il est à droite de toi, c’est la boîte où il y a écrit sel. Une plaisanterie de Callisto.

Un léger sourire réchauffe son visage, souvenir de son ancienne disciple malicieuse.

L’air se remplit de discussion et le monde se vide de son intérêt. Il apprécie le thé, Aiden apprécie le thé. Cette constatation stupide, nait d’un simple délicieux la remplit d’un certain malaise. Pourquoi autant de bonheur pour un simple thé? Pourquoi l’idée qu’elle puisse boire un thé qu’il a apprécié la rendait aussi sotte? Oh, c’était sans doute le contexte qui la rendait émotive. Elle qui n’avait aucune surprise dans sa vie quotidienne perdait pied à la moindre vague de joie que son coeur recevait.

Tirant une longiligne boîte à gâteau, son rire s’éleva un peu sous le plafond avec la description de Callisto. C’était parfaitement elle, et encore plus ironique c’est que son coeur se serrait un peu à l’idée qu’il la connaisse. Le monde est si petit, cela ne devait pas l’étonner. Mais, un brin de poison fraya son chemin dans son coeur enjoué.

-Elle même! C’était mon ancienne disciple, ça me surprend que tu la connaisses. Et puis pas réellement, je la connais. Elle a dû te sauter dessus pour te demander des informations et elle t’a pas lâché. Elle a fait à peu près pareil à tous les mages qui passe dans le coin. Et ne lui dis pas pour ça. Tu peux te servir si tu le désires.

Aleina pointe ainsi de ses longs doigts sur la petite boîte qu’elle a extirpé du néant de son atelier. Une myriade de petits gâteaux sucrés trônaient aimablement, petites créatures qu’elle a crée par elle même. Trempant son favori dans le thé, elle eut une petite secousse de tête pour affirmer ce qu’il disait :

-A mon sens, ta théorie se tient ! Si une nation change fortement, et que les piliers culturels et populationnel changeaient drastiquement, l’élement pourrait en être perturbé. Mais, ça serai dénié l’élement de la terre. Ce qui me perturbe, c’est comment les éléments sont attachés à des frontières. Tu parles du cas de l’adoption d’un enfant de -disons- la terre dans un pays du feu, qui est un cas très intéressant. Mais je voudrai parler d’un enfant qui est né à la frontière entre Malronce et Ambrive. Quel éléments récupère t-il ? Pour y répondre, il faudrait faire des études qui ne sont pas vraiment très éthique. Et, je ne voudrai pas faire naître un enfant pour l’arracher à ses parents pour l’élever à grandvent ahah. Je suppose que toi aussi.

L’idée d’arracher un enfant la fit grimacer. Une main se porta presque instinctivement à son ventre pour s’en détacher presque aussi vite. Ce geste n’était pas approprié, surtout pas devant un public aussi agréable soit-il. Le gâteau tomba dans le thé pour se dissoudre en milliard de petit sucre. Un soupir déçu la prit avant qu’elle grignote ce qui restait sur ses doigts humides

-Après, une autre question à se demander, est ce que la mère et le père ont réellement aucune influence sur l’élement de l’enfant ? Et l’être humain possède t-il la magie naturellement? Sommes nous des créatures de magie ou d’hasard ? Ce n’est pas mon domaine d’études, mais j’aimerai savoir ce que tu en penses.

Le ton ronfle un peu, taquine.

-Toi, le grand manitou des cieux assombris par ton savoir céleste.

Pour éviter un mauvais regard, son nez s’engouffre dans le thé.

Encore une fois, son rire tombe. Étranglé mais présent, son jeu d’esprit semble l’avoir surpris et elle n’est pas peu fière de ça. Appuyant son dos contre le dossier rigide de sa chaise, elle remonte un genou pour poser sa genou dessus. Position bien connue de lui, mais une taquinerie encore dissimulé car lui avec ses lourds pans de tissus nécessaire pour son rang. Il lui disait souvent qu’elle allait se casser le dos à s’asseoir ainsi, mais peu importe. L’ambiance n’était pas à ce passé rigide et chaleureux mais à un présent étrange et mouvant. Minant l’innocence, elle répondit en sirotant son thé :

-Oh, tu es sûr? Pourtant tu mérites des appelations bien plus honorifiques que ça.

Et avant qu’il ne lui lance l’un de ses regards dont il a le secret, ce mélange subtil entre paix et sarcasme non assumé, elle continue de boire son thé. Dieu, que le temps semblait s’étirer en sa compagnie. La nuit pourrait leur offrir ses lueurs, qu’elle ne s’en rendrait pas même compte. Mais l’étrange comportement de Callisto lui tire un froncement de sourcil circonspect. Elle se comporte ainsi parfois, mais ce n’était pas dans ses habitudes. Qu’avait-il de si repoussant dans ce doux Aiden pour attirer sa disgrâce ? Haussant les épaules, un soulagement pervers explosa en silence dans son coeur outragé. Est ce de la jalousie? Pitoyable…

-C’est curieux, elle se comporte comme ça qu’avec les personnes qu’elle n’aime pas. Tu ne lui as pas volé sa tarte par le plus grand des hasards? Un apprenti a tenté ça une fois, et je ne l’ai plus jamais revu. On l’a perdu.

Silence dramatique

-Mais on l’a retrouvé, il était dans le placard.

Son jeu de mot devait rester inaperçu, car aussitôt, elle a voulu ignorer le sujet étrangement lourd qui commençait à se profiler. La question d’Aiden soulevait une autre de ses questions, s’approchant d’Aiden, elle appuya sa main contre la sienne pour saisir la bille de pierre qu’il avait fait apparaître. Sensation étrange qui se nouait au fond de ses tripes, qu’elle refoulait au fond de ses yeux clairs. Se reculant pour se rasseoir, elle prit la bille et la fit tourner délicatement autour de son doigt avec un mince filet d’air.

-A mon sens, il y a une vraie réalité. Je n’aime pas trop la façon spirituelle de voir ça je t’avoue. Car si j’y croyais, je ne serai pas à la Sphère aujourd’hui. Je pense que les magiciens possèdent naturellement deux éléments. L’élément de “naissance” qui est lié à notre terre, pour ton cas le feu. Et un autre élément qui est celui “interne”, qui est lié à notre existence même. Certains magiciens peuvent y accéder avec plus ou moins d’aisance, comme certaines personnes ont des sensibilités sur le futur. Mais, je t’avoue que ce n’est qu’une faible théorie. Peut-être que tout simplement, tu es une anomalie à cause d’une perturbation de ton existence. Mes réponses sont frêles mais, un autre collègue y travaille. Il souhaite pouvoir maîtriser l’eau. Si tu veux, je pourrai te recommander à lui.

Reposant la bille dans la paume ouverte d’Aiden, leurs yeux se croisèrent et un peu de ce qu’elle gardait déborda. Et d’un geste vif, Aleina reposa encore une fois sa main sur la tasse qui était d’une tiédeur consistante.

Le bout de ses doigts brûlaient légèrement comme si une douleur fantôme se nichait. Étrange sensation, ce n’est pas une qui était déplaisante au contraire. Dans ce petit atelier au mur briqués chaque jour, elle se sentait toute chose. Aleina perdait le contrôle des émotions avant de les regagner aussi brusquement que ce vol plané lui avait ôté réflexion et sens. Bien sûr que c’était logique qu’il l’invite à Sombrelune.

Sotte Aleina.

Elle connaissait par coeur les allées sombres et les personnes lumineuses de savoir qui habitaient ces lieux. Mais ces pensées pieuses ne décollaient pas, son esprit était obnubilé par cette invitation. Venir à Sombrelune, conviée. Tenir une conférence. Etre écoutée. La fierté devait l'étouffer mais la seule chaleur qui venait à son esprit était la même qui avait habité dans ses doigts, dans ses bras quand elle avait métamorphosé ce roi des mages en dalmatien de soie et de fourrure. Aiden lui tournait le dos, il fallait rapidement chasser le trouble et voir dans cette sensation puissante juste l’expression de sa fierté et de son contentement. Il fallait rapprocher la Sphère et l’Ordre. Voici les pensées qu’elle marmonnait dans son esprit tandis qu’elle s’attelait à remplir précautionneusement une nouvelle fois sa tasse. Le silence qui suit la proposition a dû être étouffant, car d’un coup, elle explosa dans une verve enjouée :

-Ah ! Moi ? Tu es sûr? Je suis pas la plus présentable et je suis mal à l’aise en public. Mais si tu estimes que des magiciens de Sombrelunes peuvent être intéressés par mes théories, je viendrai avec plaisir. Des conférences pourraient être tellement intéressantes, je devrais pouvoir essayer d’organiser quelque chose de cohérent avec mes recherches actuelles. Je devrais envoyer mon pigeon à l’aubergiste habituel pour réserver une chambre dès que possible et que tout sera organisé. Il est temps de faire évoluer notre rituel, il semblerait.

Le rire semble tourner cette phrase comme une petite blague. Mais, le coeur n’y était pas. La raison est tout autre, elle veut faire évoluer le rituel. Certitude glaçante de précision qui est apparue dans son coeur tendre. Le chassant rapidement de ses pensées, elle le contempla. Aiden semblait fort intéressé par ses livres, chose étrange car c’était des manuels parfaitement basique. Mais l’idée qu’il se retourne la plongeait dans un malaise étrange. Elle voulait qu’il se retourne, mais elle ne le voulait pas. Elle voulait être encore la petite fille qui tend la main vers cette chevelure blanche en pensant être sauvée. Mais elle ne voulait plus l’être. La tempête des sentiments était éreintante, elle ne garda qu’une seule émotion délicate. Ce bonheur quand il l’a regardé dans les yeux et que tout avait un sens intense et invisible.

-Je t’ai resservi du thé aussi. Je veux pas que tu partes sans avoir rien fini. Dois tu passer la journée ici à m’entendre parler.

Cette pensée était délicieuse, comme ce thé qui se refroidissait tranquillement.

-Aussi veux tu emprunter ces livres ? Ils semblent t’intéresser. Celui-là a été écrit par le magicien dont je t’ai parlé.

Et de ses longs doigts encore chauds, Aleina pointa le lourd tome relié d’or et de pourpre.

Il semblait mesuré mais non moins enthousiasme, Aiden ne perçait que rarement avec ses mots les émotions qu’il l’habitait. En général, il montrait par la variation de ses mots comment il abordait le sujet et ce qu’il en pensait. Voici la conviction intime d’Aleina, née d’années vécues avec lui à côtoyer son destin par pointillé.

Les propositions s’enchaînent et une espèce de joie simple l’élève lentement de son esprit. Le travail semblait lentement pousser de côté et il proposait de “se voir”. Sans magie, sans raison, juste le voir. Cette justification glissante était un baume au coeur d’Aleina. Peut-être qu’il lui manquait réellement au final. Peut-être qu’il manquait bien quelqu’un dans cette pièce sombre.

-Ca me semble très convenable. C’est vrai que la bibliothèque de Sombrelune est particulièrement fournie, je me rappelle que quand j’étais petite, j’avais pris un livre et on m’avait rattrapé avec. C’était pas une très bonne idée de voler de Sombrelune, il faut croire. Mais l’idée me semble particulièrement attrayante en tout le cas, merci d’avance de te déplacer pour me chercher en tout cas ! Je suis pas très rassurée parce que beaucoup de brigands et mercenaires semblent être en activité en ce moment.

Elle avait sans doute vu dans sa vie, un voleur à la tirette et une ancienne reine guerrière. Bien assez de quoi la traumatiser. Effaçant ses soucis en secouant sa tête, elle lui offrit un sourire timide, perdu par l’expression de sentiments qui la dépassait :

-Mais, ça serait avec plaisir que je reviendrai te voir. Comme tu le dis, je prends pas assez de pause et, juste pouvoir voyager avec toi et profiter d’un temps commun me ferait du bien. Je pourrai allier travail et détente comme ça. Puis, tu as intérêt à dépasser la qualité du thé que je t’ai offert, tu es le seul à l’avoir bu depuis des années.

Rire léger puis elle se tient la tête. La question d’Aiden la plonge dans une fausse perplexité, se levant en lui tournant le dos, réponse à sa malice, elle appuie sa main sur la couche qui lui sert parfois pour se délasser les jambes.

-Je dors ici, voyons! J’ai tout ce qu’il faut.

Une pensée sans nom traversa son esprit. Une rougeur apparut mais disparu aussi vite tandis qu’Aleina reprenait son sérieux en gardant cette espèce de semi malice :

-J’habite dans une petite maison à Saintecure, 4 min à pied de la Sphère. J’ai enfin quitté le cocon familial, donc inutile d’aller voir ma mère même si elle adorerait te revoir. Et toi d’ailleurs, tes quartiers à Sombrelune toujours aussi poussiéreux ou tu t’es amélioré.

S’asseyant sur sa couche froide, une vérité la prit un peu de court. C’est vrai, Aiden était pas n’importe qui. Aiden n’était pas que son ami d’enfance, il était bien plus. Sur ses épaules reposent des vies, un nombre sans doute plus important que la capacité à penser d’Aleina. Et il était là, devant elle, à sourire et à boire un thé sans grande prétention. Il était le Chef, elle n’était eh bien qu’une scientifique curieuse et enfermée. Cette réalisation persistante ne fut pas particulièrement douloureuse mais elle chassa un peu de cette légèreté qui l’habitait. Ils étaient amis et elle devrait être heureuse d’être là pour lui.

-C’est vrai que tu peux traîner autant que tu veux, personne ne te tirera les oreilles sauf si tu venais à révéler le secret de soin pour tes cheveux.

Une blague encore, une façon d’alléger le poids présent. Puis une question, un peu personnelle, trop curieuse vient apposer la suite :

-Tu ne te sens pas seul à être entouré d’autant de responsabilité ? Ca doit être assez oppressant, puis tu m’as toujours semblé triste quand j’étais petite.

Ces mots la replongent dans l’avant. L’Avant tout ça. l’âge adulte et les rêves oubliés.

Dans le bruit perpétuel de leurs voix combinés, vivaient des semis-vérités. Aleina voyait bien les récits des Grandventois qui ont eu affaire à des brigands de grand chemins, mais ça ne l’a jamais vraiment inquiété. Elle pensait que si elle faisait attention, tout ira bien. Mais elle avait un petit pincement au coeur à l’idée d’errer seule sur les routes alors la demande d’Aiden la rassurait un peu. Pour ça qu’elle n’avait pas voulu s’étendre sur le sujet, trop de craintes silencieuses. Sa peur appuyait contre son torse, et elle suffoquait lentement à l’idée d’être seule à avancer. Mais, Aleina concentra son esprit sur autre chose. Les mots d’Aiden, le secret familial capillaire, tout ça s’enchaîne dans une rythme endiablé et son rire suit aussi.

C’est bien vrai qu’Aleina a toujours été fasciné par la chevelure d’Aiden, si longue et douce avec cet aspect presque cotonneux. Un moment, elle a songé à le croire. à voir dans sa chevelure, une preuve intangible des légendes sombreluniennes. Mais sa malice pousse le rire d’Aleina à sortir, encore une fois. Décidément, elle trouvera ce secret.

Puis elle a été trop curieuse, comme une réponse directe à ses pensées. Il claque les livres, comme si il claquait la porte de ses émotions passés. Elle ne dit rien, elle écoute. Elle ne veut pas imaginer son enfance, ses douleurs. Mais elle veut lui dire qu’elle va être là. Elle va rien lui dire, au final. C’est mal venu, il a raison. Elle sourit un peu, la mêche l’empêchait bien de voir. Ce geste banal était réconfortant, comme si elle craignait sa colère. Aleina savait qu’il était humain, mais parfois, elle aimerait connaître sa colère. Il n’avait pas le droit, chuchotait son esprit. Alors, elle prit dans ce geste, la paix que son coeur cherchait. Elle hocha la tête, murmura un faible pardon entre ses lèvres tirées et but du thé. Un sujet léger, un sujet joli. Elle repense à Maia et à ses énigmes impossibles qu’elle lui tendait.

-Tu as raison, changeons de sujet. Vois-tu, parfois des pèlerins viennent à la Sphère pour nous remettre des plantes. Et mon favori vient de Malronce. C’est un homme très sage et à chaque fois qu’il passe, il nous donne une énigme. Je vais te raconter celle que je préfère le plus.

Sortant un petit morceau de tissus, elle l'agrippa à un l'anse de la théière. Invoquant un léger vent, elle fit ainsi battre le morceau de tissus au gré des impulsions de son doigt :

-Selon toi qu’est qui bouge ? Le drapeau ou le vent? Et pourquoi ?

Un sourire nostalgique flottait sur ses lèvres :

-Je me rappelle qu’avant on aimait bien ça! Et, tu ne m’as jamais répond sur l’énigme que tu m’avais posé il y a 3 ans. C’est pas très juste ça monsieur Hawthorne. C’est pas ton secret capillaire pourtant.

L’air était légèreté, et là voilà qui jouait à nouveau par ses règles.

Elle sirote innocemment les larmes de thé qui viennent s’entrechoquer dans sa bouche. Une grimace se tord sur son visage placide quand sa langue se rend enfin compte que le thé est trop chaud. Aiden l’avait tellement captivé que son être avait oublié les petites défaillances classiques de l’existence.

Un hochement de tête vient confirmer la réponse de son énigme, les questions sans réponses sont ses favories. Les paradoxes d’un monde fait parti des nuances du monde qui a toujours été particulièrement fascinante pour elle. Aiden le comprenait bien, car n’était ce pas lui qui l’avait initié à ce monde anormal ? Reposant un peu brusquement la tasse sur la soucoupe, elle lui adressa ses quelques mots la bouche en feu et en sang :

Comment je pourrai oublier? Tu m’as chèrement fait payé la fois où j’ai oublié ! Puis, surtout, je connais un certain adolescent de 15 ans qui a piégé une enfant de 11 ans avec un paradoxe de sa connaissance. Je sais pas si tu le connais, il a un haut poste à Sombrelune désormais. Je me demande si ils sont restés amis les deux.

Une taquinerie légère pour rendre au centuple cette petite pique sur sa nuit sans lune. C’est vrai que parfois elle n’avait pas de lumière à tous les étages, mais c’est pas une raison pour le rappeler. Levant les yeux au ciel, elle eut une petite mine désemparée :

-Hélas, mon ciel nocturne sans lune a été ébloui par votre Sainteté et je ne peux plus supporter la lumière du soleil de mon intelligence sans complexer par rapport à la Lune absolue que j’ai connu. C’est si dure d’être en vie parfois face à vous et vos yeux d’une profondeur folle. Acceptez moi comme votre humble disciple, amie et gardienne de vos secrets immémoriales pour que mon existence possède enfin un sens.

Les yeux humides, dans ce mélange de pleurs et de rire, elle baissa la tête pleine d’une fausse timidité jouée sincèrement. Derrière ses cheveux qui coulaient le long de ses bras, et dissimulant son visage :

-Je suis convaincante pour rentrer à Sombrelune maintenant ? Au cas où si on me demande mon avis sur toi, que personne puisse me soupçonner d’un truc bizarre.

Et elle explosa de rire, rejetant en arrière sa gorge déployé dans un rire ni moqueur ni méchant.

Donner un sens à son existence…
La pensée était séduisante belle et langoureuse, Aleina pouvait la sentir tout contre sa chair respirant à son oreille blanche. Le rire était parti en même temps que les réflexions légères d’Aiden, son esprit n’était pas suffisamment inconséquent pour ne pas saisir cette implication. Les yeux de celui qui lui avait fait cette proposition semblait désespérément visé au fond de la tasse, comme si il souhaitait découvrir les secrets mirages de cette boisson.

Les pensées s’emmêlent comme ses doigts qui tremblent sur sa tasse, le temps semblait s’être engourdi dans l’esprit de la jeune femme. Elle entendait les chants de ses ancêtres, la vigoureuse pression de ses origines décadentes mais glorieuses. Elle doit les rendre fiers, elle doit être la Briserunienne qui poursuit la légende des Cybelus. C’est ça, le sens de son existence.

C’est pour ça qu’elle a juré sang et fidélité à Antigone, cette Reine désormais Sa Reine. Face aux yeux d’Aiden, ça vacille encore. Tout tremble et elle aimerait lui dire oui. Elle voudrait hurler et chuchoter, s’exclamer et suffoquer, ce oui.

(Oui, donne moi un sens à mon existence. Force moi, attrape moi, bloque moi. La violence n’est que douceur après la torture d’un choix éternellement déviant.)

Mais les mots se taisent tandis que les joues prennent une couleur ni pourpre ni amer, un confession qui se manifeste doucement :

-Je la connaissais, cette fille. Celle qui était amie avec le garçon de quinze années. Je ne la connais plus maintenant, j’ai peur que je ne la connaîtrait plus jamais. J’ai…

Les choix flottent devant ses yeux et, elle plisse les lèvres dans une moue défaitiste. Les arcanes de son être ne veulent pas ouvrir encore une fois.

-Je pense pas que le garçon de quinze ans voudrait donner un sens à cette fille. Elle ne sait pas au fond, si elle mérite. Peut-être que oui, peut-être que non. Peut-être que donner un sens, ça serait perdre un lien profond entre n...eux.

Elle est fatiguée, tout au fond de sa chair. Comment elle aimerait être esclave, être le disciple d’Aiden. Juste vivre et obéir, sans pensée ni possibilités. Quelle vie délicieuse ça serait, sa loyauté lui serait entièrement acquise.

-On est bizarres pas vrai ? Pour ça qu’on a pu rentrer à Sombrelune. Toi l’homme qui n’est perturbé par rien, et moi celle qui perturbée par tout.

Aiden était l’exception de ce monde étrange et révolutionnaire, ce rocher paisible qu’elle avait peut-être sacrifié. Ce soleil doux qui lui avait donné un peu d’un autre monde.

Et c’est dans ce familier noir que les mots d’Aident viennent la toucher. C’est dans ces petites hésitations  ces tremblements infimes de son existence qu’elle a entrevu quelque chose d’autre. Une issue à ce dilemme qui le tourmentait les tripes et ce dilemme qui était autant le sien que celui qu’on lui avait donné à la naissance.

Elle lui offre sur ce sourire tendu, des années de doutes et de douleurs. Ces hypothèses qui sont devenues des questions qui ont disparu dans un tourment d’anxiété. Ce monde qui a été le sien mais qu’elle ne reconnaît plus. Aiden lui donne cette possibilité comme une façon différente de voir le monde. Peut-être que tout ce qu’elle fait au final importe peu, peut-être qu’Aiden est le bon mais pas pour cette vie. Comme une Arcane, peut-être que le concept d’Aleina est destiné à recommencer encore et encore. Et au final, ce n’était qu’à Aleina de décider si elle prenait ce monde pour exister. Si elle acceptait Aiden comme celui qui porterai les tourments de son futur.

Il attend, à la fin de sa tirade. Son esprit bouillant de volume de givre lui donne une lègere pensée à son coeur flambant. Ils sont complémentaires, et malgré toute la puissance et la sévérité qu’Aleina veut mettre dans sa déclaration, cette constatation la rend toute émue. Elle savait qu’il avait raison, ce n’était que moment avant qu’elle revienne à cette vérité simple.


-Tu vois...Je pense que tu as raison. Si je n’écoutais que les possibilités, les moments ne seront que des successions de possibilités que je n’ai jamais pris. Les moments peuvent s’enchaîner et c’est à moi de décider si c’est les bons ou pas.

La respiration se perd, mais Aleina ne s’arrête pas :

-Tu sais que mon père est de Briserune. Tu sais aussi que ma famille, les Cybelus, sont très liés à la royauté Brisunienne. Ma famille, celle de mon père, a passé toute l’enfance que j’avais eu à me rappeler que mon existence, mon être dépend de Briserune. Ils ont toujours méprisés les Riegel de leur faiblesse et de leur duplicité envers Malronce. J’ai toujours cru...je crois toujours que mon entière existence doit être dédiée à ce but. Donner à Briserune une raison d’être encore plus vigoureux que ses hivers. J’ai rencontré Antigone, qui est venu me transmettre l’alliance de mon père. Il est mort...Et les chants de mes ancêtres se sont aggravés dans mon esprit.

Elle les entend encore quand son esprit se ferme. Sa tante qui chante plus fort que ses pensées de vérité.

-Je lui ai prêté fidélité et sang, et, je ne sais pas si je l’ai fais par conviction ou par honneur à mon sang. Je...je ne veux pas perdre quelque chose et je suis incapable de choisir ce que je dois perdre pour être fidèle à ce que je veux gagner. Je ne veux pas te perdre comme ça, mais  si un jour je dois être tuée… J’aimerai que ça soit toi qui le fasse. Je veux plus jamais avoir le choix.

Cet aveu était le fermoir de son propre cercueil.

Sa silhouette s’efface plus lentement qu’elle ne peut le tolérer. Chaque pas lui est insupportable cet écho interminable qui la fuit. Elle n’a pas su répondre, Aleina n’a pas pu faire un bruit. Elle aurai pu courir lui prendre la main lui dire tout ses voeux et ses désirs. Lui dire qu’elle ne voulait pas qu’il soit triste qu’il ne devait pas partir. Elle voulait lui offrir un autre thé et une myriade de raisons de rester. Mentir comme elle a subi ce regard détruit d’Aiden.

Son ombre est partie de sa pièce et quelque chose coule sur ses joues. L’hiver de Briserune qui coule dans sa gorge, lui arrache des gémissements qu’elle ne pensait pas produire. Son coeur brisé remonte, elle voudrait le vomir. Antigone est morte - Antigone est vivante. Pourquoi c’était ainsi? Pourquoi tout avait ce goût ? Adien doit revenir - il ne reviendra pas.

L’amour est ce qui avait maudit sa naissance, maudit sa vie, maudit son sang. Aiden ne doit pas partir, son thé touché semble l’attendre. Comme le coeur d’Aleina, comme cet organe qu’elle n’avait su l’usage avant maintenant. Pathétique femme vagissant sa peine infligée à elle même, ces erreurs prises comme des non-choix. Aiden ne devait pas le voir ainsi.

Sur cette table où des jolis mots ont été donnés, des jolis promesses sous entendus, la tête lourde d’Aleina tombe. C’est fini, tout est fini. Son coeur est mort. Antigone voulait la mort d’Aiden, Aiden voulait la mort d’Antigone. Et elle n’était que la bâtarde de ses deux mondes. Elle voudrait se soulever, courir, s’enfouir dans ses cheveux et lui dire ses milles promesses qu’elle rêvait de lui montrer.

Le sang d’Antigone coule dans son corps doux poison qu’elle a choisi, nécessité cruel de son héritage. Des centaines de mains lui touchent le dos, des promesses d’une magnifique récompense se cache dans les plis de sa douleur. Se levant brusquement, laissant glisser cette stupide boîte à biscuits sur le sol froid, Aleina a tenté d’atteindre la porte de sa main. Ses jambes lâchent traîtresse, montrant la faiblesse qu’était la sienne. Aiden, ne pars pas. Aiden était déjà loin. Aiden dis moi que tu me tueras, Aiden lui a refusé ça.

Aiden…
Dans un long soupir, Aleina s’appuya contre la bibliothèque. Elle n’était ni choquée, ni triste, la douleur rendait tout ça muet. Elle n’a jamais été personne, ni reine ni femme. Se berçant lentement, les chants des ancêtres lui donnant un tempo qu’elle s’obstinait à ignorer.

Aiden…
Il porte le poids du monde.
Aleina n’a que le poids léger de son monde
à détruire.