Ses pas la guidaient à travers les couloirs du palais tandis qu'elle courrait aussi vite qu'elle le pouvait. Aujourd'hui, ce n'était pas une robe qu'elle portait mais bel et bien des vêtements plus pratiques, de ceux qu'utilisaient les gardes pour leur entraînements quotidien. Iphigénie était parvenue à négocier au prix d'un bon repas cette tenue hyper confortable dans laquelle elle se sentait revivre, bien loin des corsets serrés des robes que l'on lui demandait de porter la plupart du temps -et ainsi elle dépassait rapidement chaque garde et personnel croisant sa route d'un immense sourire. La plupart la hélaient de ne pas courir, certains s'étonnaient de sa tenue sans qu'elle n'en ait cure tandis que d'autres s'effrayaient de la voir passer en coup de vent.

Pourtant à peine tournaient-ils la tête qu'elle disparaissait déjà à l'angle d'un virage comme portée par le vent.

Si elle se dépêchait ainsi aujourd'hui, c'est parce qu'elle avait eu vent à la dernière minute de l'endroit où tu te trouvait, et désirant te croiser au plus vite avant que tu ne partes ailleurs, elle avait décidé de sacrifier son allure majestueuse pour quelque chose de beaucoup plus... Rustique.

Ainsi, elle arriva à temps à l'entrée de l'une des cours intérieures du palais pour te voir parcourir l'étage tranquillement.

— Général Caterna !

L'arrêt brusque sur le pas de la porte lui coupa net la respiration, la forçant à reprendre son souffle les mains posées sur ses cuisses. Iphigénie respirait fort tandis qu'elle relevait le visage vers toi, tu n'avais pas quitté ton étage et elle profita de ces quelques instants de répit pour calmer un minimum sa respiration.

— Général- ... Êtes-vous occupé présentement ?

Saurais-tu lui tenir compagnie comme elle semblait te le demander, mon cher Asharim ?

— Aaah tant mieux ! s'était-elle exclamée tout en soupirant.
— Que puis-je faire pour vous ?

Il y avait à ses lèvres un sourire immense confortablement installé, et tandis qu'elle prit toujours le temps de contrôler sa respiration, elle n'avait pas loupé une miette ni de tes mots ni de tes actions. Si tu étais impressionnant de par ta position mais également de part tout l'être qui te façonnait, Iphigénie appréciait vraiment passer du temps avec toi. Il se dégageait de ta personne une forme de gentillesse mêlée à une grande prévenance qui lui donnaient envie de te faire confiance, et si elle te savait d'ordinaire inflexible, elle savait également qu'une fois seuls les choses étaient un peu différentes.

À peine ; mais celui lui suffisait pour préférer ces instants à deux plutôt qu'avec les autres. Un léger rire s'échappa de ses lèvres avant qu'elle ne se redresse complètement.

— En effet, vous êtes perspicace !

Un éclat dans la voix et de l'amusement dans ses iris qui prirent bien vite un tour plus sérieux.

— Je me demandais si à tout hasard vous accepteriez... De m'apprendre votre savoir ?

Sans se préoccuper des derniers refus qu'il y avait eu à peine quelques jours, elle avait décidé de retenter. L'obstination était l'une de ses plus grandes qualités après tout.

— Je ne saisi pas vraiment pourquoi personne ici ne semble prendre ma demande au sérieux, mais je souhaite réellement apprendre, Général.

Tout en sachant que cela n'avait rien d'un jeu.

Elle avait eu un rire qui s'était bien vite mué en une moue embêtée -de celles que faisaient les enfants lorsqu'ils ne semblaient pas contents. Elle avait beau savoir, tu sais, à quel point tu te jouais d'elle à l'instant, Iphigénie ne pouvait pas s'en empêcher. Tu réveillais chez elle de doux instincts qu'elle ne soupçonnait pas, elle qui se croyait bien plus adulte que ça.

— Ça n'est même pas drôle Général !

Le tout dit en soupirant, parce qu'en réalité ça l'était.
Et puis, tandis qu'elle s'indignait à moitié en silence de te voir la faire tourner en bourrique, tu te décidas à ne plus faire semblant. Un grand sourire s'était dessiné sur ses lèvres à la mention de sa tenue (ton air désespéré la rendrait presque fière tu sais).

Finalement tu acceptas, et jamais elle ne saurait t'être plus reconnaissante qu'elle ne l'était à l'instant. Lorsque tu disparus, Iphigénie se redressa et lorsque tu ouvris la porte de la pièce elle se trouvait en son centre plus heureuse que jamais.

— Je vous remercie, Général, d'accéder à ma demande.

Elle t'exprima toute sa gratitude dans une révérence des plus gracieuses -et si le ton parut plus sérieux on ressentait quelques trémolo d'excitation dans sa voix. C'est qu'enfin, enfin après tout ce temps quelqu'un daignait l'écouter alors le sourire à ses lèvres ne s'effaça pas, même lorsqu'elle se releva pour te faire face correctement.

— Par quoi devons-nous débuter ?

Le regard brillant de détermination.

Elle te laissait faire tranquillement, chercher et parler en même temps, sans chercher à t’interrompre malgré la curiosité grandissante qui l’assaillait.

— Je vous en fais la promesse, et seule la maison-dieu savait à quel point elles étaient importantes malgré qu’elle ne soit pas toujours capable de les tenir.

Plus tard, ces promesses soufflées du bout des lèvres lui éviteront bien des ennuis, tu sais ?

Doucement elle se saisit du bouclier, le soupesa pour s’y acclimater avant de passer son avant-bras dans la sangle. À peine eut-elle le temps de l’enfiler que déjà tu attaquais et d’inconscience elle avait lâché un cri de surprise puis levé l’écu pour parer le coup. Peu habituée aux chocs, même à d’aussi faibles, elle recula de quelques pas en arrière ; pour autant elle resta debout, campée sur ses deux jambes tandis qu’elle se repositionna droite face à toi, le corps en position de défense comme elle avait vu faire et imité Uriel, Clovis et les gardes durant les entraînements.

— Vous m’avez fait peur général !

Et pourtant aucun de ses mots ne sonnait comme un reproche, tandis qu’elle esquissait un sourire déterminé. Elle était prête à apprendre et à suivre tes consignes, général Asharim.

— Vraiment ? Excellente nouvelle.
Ah d'accord.

Assez perplexe néanmoins, elle avait haussé les sourcils sans pour autant te couper la parole. Elle n'était pas certaine de la nécessité de vérifier une telle chose, car se connaissant elle se savait capable de réagir de cette façon naturellement. Néanmoins elle n'en dit rien, de peur de paraître trop présomptueuse, et se contenta de prendre l'épée que tu lui tendis.

À l'instar de ton action précédente, elle attendit à peine que tu te sois remis en position pour lancer l'assaut. Ses pas n'étaient pas vraiment coordonnés et ses coups ponctués de léger gémissements sous l'effort demandé bien trop faibles et faciles à parer, mais sa détermination était grande et, par chance, certains de ses coups -les plus rares- feraient presque mouche si tu n'étais pas si expérimenté.

— Pour- le débit saccadé par l'essouflement, elle ne cessait pourtant pas les coups. Mon peuple. -Je veux... Le protéger !

Empli d'une volonté féroce, l'estocade qu'elle porta à ta hanche sembla plus puissante que les autres.

— Et pour- moi ! Je dois savoir- me protéger. Aah ! Je ne- ...veux pas. Dépendre des autres. -Toute ma vie !

Je veux être libre, hurlait son regard tandis qu'il se plongeait dans le tien lorsqu'elle reculait pour enfin reprendre sa respiration.

Une seconde, tandis qu'elle reprenait sa respiration, les mains posées sur ses cuisses, elle avait eu un regard mauvais. Son visage s'était alors relevé et elle t'avait regardé, l'expression sombre et le souffle saccadé, sans prononcer le moindre mot. Comment osais-tu douter de sa dévotion envers son peuple, Asharim ? Elle avait eu envie de hurler, de s'enrager encore sans pourtant y parvenir et la suite de tes paroles sonnèrent à ses oreilles d'une vérité si grande étrangement, une vérité à laquelle elle n'avait songé jusqu'à ce jour mais qui lui semblait si réelle qu'elle ne pu que se calmer. Alors ses traits s'étaient adoucis, et en silence toujours elle avait écoutée.

Lorsque tu fus au plus proche d'elle, elle s'était totalement redressée pour planter son regard avec force dans le tien.

— Personne ne devrait être prêt à se sacrifier pour moi, Général, le souffle encore légèrement saccadé. Pas même vous. Personne.

Elle refusait d'être un poids pour les autres parce qu'elle ne pouvait accepter que des vies soient gâchées simplement en la protégeant.

— Pourquoi devriez-vous mourir pour moi tandis que l'inverse est impossible ? Je n'ai pas le droit de mourir pour vous, alors c'est idiot.

Elle n'en avait ni le droit ni l'envie en réalité.
Il n'y avait aucun intérêt à mourir en se sacrifiant pour quelqu'un, si tant est que le paradis existe, les morts ne revenaient pas à la vie et parler d'honneur dans pareilles conditions lui semblait totalement absurde et ridicule. Alors peut-être que tu avais raison, lorsque tu disais qu'elle ne faisait tout ça que pour elle. Par égoïsme malgré son trop bon coeur.

Un sourire déterminé vint étirer ses lèvres, elle se recula de quelques pas, souple, pour se remettre en garde.

— Apprenez-moi comment rester en vie, Général. Apprenez-moi votre sagesse.

Donne-lui les clefs pour se sauver sans gâcher aucune vie.

Une moue contrariée face à l'évidence, que tu ne pouvais voir car tu étais tourné. Tu étais plus fort qu'elle (le restera sans aucun doute) mais le fait de le prononcer à voix haute laissait résonner en elle une jalousie légère qu'elle n'appréciait guère entre deux soupçons d'envie balayé par son esprit de compétition qui s'éveillait.

Lorsque tu lui fis face de nouveau, tout ceci avait disparut, soufflé par la sagesse de tes mots. Tu avais prit l'habitude de ne jamais la paterner avec ces phrases toutes faites que les autres lui sortaient pour la calmer et tenter de la dissuader. Alors bien que ta franchise l'agaçait un peu parfois, elle te remerciait pour ça. Pour l'honneur des Vaudreuil elle cesserait donc de faire l'enfant, mais accepter des faits qu'elle avait mit tant de force à nier pour servir à ses convictions ne serait pas si simple. Il lui faudrait du temps, et plus de soutient qu'elle ne l'aurait imaginé afin d'y parvenir.

Elle t'avait longuement fixé après ça, silencieuse, digne et droite mais l'émotion présente au fond des yeux. Iphigénie s'en trouvait être bien plus ébranlée qu'elle n'aurait cru l'être par toutes ces vérités.

— Vous avez raison, je ne suis plus une enfant. Veuillez m'excuser, général Caterna.

À l'expression plus adoucie de son visage tu pouvais lire sa sincérité, elle tenterait vraiment de faire un effort et, sans que celà ne soit ouvertement dit, elle comptait sur toi pour ne jamais la ménager.

Quelques instants encore avant qu'elle ne décide de se reprendre, elle t'avait adressé un sourire déterminé avant de se reculer. Elle t'observait sans baisser sa garde, et écoutait ta leçon tout en te suivant du regard -sans croiser tes yeux, bien trop occupée à être attentive au moindre geste suspect que tu ferais. Il faut analyser, pas vrai ? Ne négliger aucun détail. C'est comme ça qu'elle avait su capter le mouvement de ta main, et si elle ne s'attendait pas à du feu, elle fut assez rapide pour sauter sur le côté avant que la gerbe ne l'atteigne. Un sourire à nouveau, après qu'elle ait tourné sur elle-même en se réceptionnant, pour ne pas trop forcer sur sa cheville en cassant brusquement un mouvement. Le combat est une danse, ça aussi elle l'avait retenu.

— Vous usez déjà de votre magie ? Je ne m'y attendais pas si tôt..

Et si les mots sonnaient comme une plainte il n'en était absolument rien.

— Mais cela me va.

Sans se départir ni de sa volonté ni de son sourire, Iphigénie avait décidé d'attendre et de t'observer sans attaquer comme tu le lui avais demandé. Il lui faudrait plus qu'une bonne technique à l'épée et de bons instincts pour survivre alors elle suivrait tes conseils.

Avec le sourire aux lèvres et toujours l'air de s'amuser.
Fais la donc danser jusqu'à l'épuisement, Asharim.