Depuis l'aurore Séraphin avait enchaîné les livraisons aux quatre coins de la capitale, et s'il en avait l'habitude, il savait sa journée loin d'être terminée. De retour après avoir déposé chez son mandataire le plus beau joyaux de sa collection, traversait le marché noir pour aller se reposer avant son prochain rendez-vous. C'est que la belle venait de loin et il n'appréciait pas ni le retard, ni la mauvaise apparence.

Le pas pourtant n'était pas pressé, et dans la longue allée malgré les cris constants auxquels il s'était habitué -sans jamais oublier que l'on entendait les siens autrefois- une odeur de thé fort alléchante dont il ignorait la provenance. S'il avait su qu'elle venait de chez toi, il aurait accéléré la cadence. Il n'aurait pas prit la peine de lever les yeux à ta fenêtre avant que tu ne l'ouvres en grand et ainsi il se serait évité bien des heures de beaucoup de choses sauf de repos. Pourtant tu l'avais hélé, et comme un con il t'avait regardé.

La mine un brin désespérée, surtout de lui-même, il n'avait pas prit la peine de répondre à tes salutations. C'est qu'à force il en avait prit l'habitude, et malgré les années encore il ne savait toujours pas comment le prendre. Au fond quelle importance car déjà tu disparaissais -au moins il savait d'où venait cette délicieuse odeur désormais. Un instant passé à observer la façade vide, s'il avait hésité ça n'était pas pour la demande -qu'il devinait plus être un ordre- mais bien parce qu'il savait que vous éterniseriez. Après tout à tes côtés rien n'avait jamais changé.

Sans rien d'autre qu'un léger et bref soupir il était monté.

Quelques coups contre la porte, il avait attendu que tu viennes lui ouvrir et lorsque ce fut fait il n'avait pas plus bougé.

— Je ne reste pas longtemps.

Et dans son regard vide presque l'ombre d'une étincelle tandis qu'enfin il entrait.

Pas plus que de nécessaire avais-tu dis.
Pourtant vous saviez tous les deux que ce n'était pas si vrai, pas vraiment faux non plus. Il avait prit l'habitude Séraphin, de monter te voir et d'assister à tes humeurs changeantes. Il avait prit l'habitude d'observer sans rien dire et de répondre à tes questions sans jamais demander. Alors aujourd'hui encore, sous couvert de cette routine qui s'était forgée entre vous, il t'avait suivit à l'intérieur puis s'était assit en face de toi avec ce sourire à ses lèvres qui en disait long autant sur son désespoir de voir son temps se perdre ainsi que sur l'amusement léger que suscitait ta présence à ses côtés.

Tu étais l'un des rares qui parvenait encore à le surprendre, parfois.
Ou tout du moins l'un des rares capable de lui faire étirer un sourire, même léger.

— Non merci.

Puis il avait porté la tasse à ses lèvres, l'esquisse présente s'agrandissant subtilement sous la saveur délicate que ce thé lui procurait. Un regard à ta question et le sourire n'avait pas disparu, il s'en trouvait même un brin plus moqueur sans qu'il ne l'avoue à haute voix.

— Elles se portent plutôt bien, pour l'instant en tout cas.

Tant que tu ne t'amuseras pas à tout détruire les choses iraient pour le mieux, c'est ce qu'il pensa sans grande méchanceté, simplement dans les faits tu étais actuellement la seule personne à même de tout faire foirer.

Nouvelle gorgée puis nouveau regard, il laissa le silence s'installer un court instant durant lequel il en profita pour t'observer tranquillement.

— Tu sembles contrarié, Lancelot.

Pourquoi ?

Arrêt de la cuillère dans ta tasse à thé, c’est l’instant qu’il choisit pour encrer profondément vos regards l’un dans l’autre sans pour autant ajouter quoi que ce soit. Patient, il attendait que tu veuilles bien te confier à lui -et parce qu’il savait que tu le ferais, parce qu’il en avait prit l’habitude depuis le temps, il reprit une gorgée de sa boisson.

Contrarié, il est fort vrai, avais-tu dis avec ce regard pensif qui (sans jamais l’admettre) le tuait à petit feu. Inconsciemment il ressentait la douleur de ne pas être le centre de ton attention quand le reste du temps il n’y portait aucun intérêt.

— Une marchandise ?

La curiosité piquée un court instant, il avait reposé sa tasse doucement sur la table. Pour te mettre dans un tel etat, Seraphin pensa que cette marchandise (cette h u m a i n e qui n’en avait sans doute deja plus le nom) devait être sacrément importante.

— La Maison-Dieu bénisse ta bonté d’âme Lancelot. à ses lèvres l’ombre d’une esquisse pleine d’ironie (et peut-être de compassion aussi, un peu) Elle saura te le rendre, tu verras.

Aucun doute que ses inepties devaient t’agacer, pourtant malgré l’apparente moquerie, il l’espéra réellement.

À nouveau vos regards qui se croisaient et
Il quitta sa chaise pour s’approcher de toi, observer de plus près les reflets du soleil dans tes iris.
Avant de t’embrasser, simplement.
Parce qu’il n’était là que pour jouer son rôle, te faire oublier.

Sans qu’aucun ordre ne soit donné,
Sans qu’aucune demande ne soit formulée.
Simplement par habitude
(jamais par envie)

— Ton thé. Il va refroidir si tu ne le bois pas maintenant.

Avant de repartir s’asseoir.
Simplement.

— J'avais souvenir qu'on t'avait élevé mieux que ça.
Le corps qui se tend.
La respiration qui se coupe.

Ça n'avait duré qu'un seul instant avant que son regard ne se pose lentement sur toi, mais il savait, Séraphin, que tu l'avais remarqué -parce que ses réactions n'avaient pas changées depuis les années. Toujours les mêmes.
Il avait déglutit
Semblant presque
E f f r a y é
Tandis que tu buvais ton thé d'une traite.

C'est que ton regard réveillait en lui les souvenirs de sévices bien moins doux que ceux que tu lui faisais subir -lui qui pensait les avoir surmontés- et s'il savait que tu n'étais pas ton père, il ne pouvait s'empêcher d'y repenser. De douter. De (te) craindre, au moins un peu.

Alors il t'avait laissé faire, l'interrogation dans les yeux, et tes bras l'avait porté de la plus humiliante des façons (à ses yeux) sur le canapé.  Désormais sous toi, sans plus aucune échapatoire, il n'avait pu que t'écouter. T'écouter, te comprendre en captant la profondeur de ton regard et
Obéir.
Simplement.
À cette demande qui ne serait jamais ouvertement un ordre.

Un demi sourire à ses lèvres, empli d'excuses silencieuses tandis qu'il relevait doucement un genoux contre ton corps
Entourait ta nuque de ses bras pour se rapprocher de toi
S'accrocher (encore et encore et encore) à toi.
T'embrasser.
Tes lèvres d'abord, ta joue ensuite avant qu'il ne se faufile jusque dans ton cou -et tandis qu'il embrassait encore ta peau ses doigts caressaient ta nuque pour jouer doucement avec quelques mèches de tes cheveux.

— Je te demande pardon.

Murmuré dans le creux de l'oreille avant qu'il n'en mordille le lobe.

Je te pardonne qui sonna en lui la délivrance, et soudain il se sentait moins coupable moins honteux de n'avoir pas correctement répondu à tes attentes. Il avait fermé les yeux un instant, tes lèvres souriantes accrochées aux siennes lui laissaient entrevoir cette lueur qui le rendait vivant -et il n'y avait que lors de ces moments, presque toujours qu'avec toi, qu'il se sentait ainsi. Simplement bien et avide à l'idée de continuer. Alors Séraphin avait embrassé encore, légèrement les lèvres pour descendre ensuite dans ton cou encore, appréciait les sensations et se délectait des arômes que ton corps lui offraient -se dit dans une éphémère pensée que ça lui avait manqué, que ça lui manquerait toujours finalement. Qu'il aimait ça, ces instants-là passés avec toi.

Il saisissait à présent pourquoi lui s'accrochait encore. Tu n'étais pas comme ton père, Lancelot -et là où lui était son tortionnaire, tu serais son Roi.

Alors ton corps soudain s'affaisse et Séraphin s'arrête, un peu bête il restait là sans comprendre, t'accueillant néanmoins avec douceur contre son torse. Qu'avait-il a dire si tes lubies changeaient, Lancelot ? Il n'avait qu'à te laisser faire, tout lui allait tant que tu ne le rejettais pas.
Tu n'oserais pas, hein ?

L'abandonner.

Son coeur s'était serré, pourtant.
Il ne t'avait pas fallut grand chose, seulement ces mots dans votre situation. Séraphin loin d'être idiot, n'était pas certain de tout saisir mais avait bien compris l'essentiel alors-
Ses doigts s'étaient crispés, à peine.
Délicatement posés autour de toi, dans tes cheveux et contre tes hanches.

— Une nouvelle contrariété ?

La question à peine murmurée, le timbre qui semblait presque blessé. Il n'y avait rien à faire mais c'est qu'il n'avait jamais pensé à cet après, Séraphin. Cette après sans lui. Sans toi.

La main dans tes cheveux avait finalement soulevé légèrement ton menton pour t'inciter à terminer le geste tandis qu'il baissait son regard pour espérer croiser le tien. Est-ce que tu voyais à quel point il avait mal, Lancelot ?
Pourtant il avait tenté un faible sourire.

Il s'était révélé bien trop triste et peu convaincant.

— Je ne pensais pas quelqu'un capable de te mettre dans cet état..

Même lui en était incapable, et jusqu'à aujourd'hui il n'aurait jamais cru ça possible.

— À qui est-ce que tu penses Lancelot ?

Où étaient passés ces jours ou tu ne pensais qu'à lui dans vos instants à deux.

Les lèvres qui se rencontrent - de force et
Séraphin comprend qu'il est allé trop loin, encore. Il ne se confond plus en excuse mais à la place t'embrasse avec plus de vigueur, et il s'accroche, à tes lèvres à tes vêtements à tout ce qui pourrait lui permettre de ne pas te voir partir loin de lui.

Les soupirs sont étouffés
Ses doigts brûlants glissent au creux de ton cou
Sans un mot il te laisse défaire défaire ses vêtements, relève la tête pour capturer tes lèvres encore, encore tant qu'il le peut - tente de te faire oublier sans que lui même n'y parvienne et ses yeux se ferment bien vite quand tes lèvres parcourent sa peau. Alors Séraphin soupire doucement, continue de défaire ton haut et il se demande, tu sais ?

À qui est-ce que tu penses quand tes baisers marquent sa peau ?
À lui, ou à elle ?
C'est qu'il se découvre jaloux, Séraphin.
Possessif.

Alors le silence fait mal pourtant il se contentera de l'accepter - et de s'offrir à toi, encore encore encore autant de fois qu'il le faudra. Ses doigts glissent alors sur ton dos, griffent la peau doucement tandis qu'il se laisse bercer par tes envies. Ils caresses les reins puis s'enfuient dans tes cheveux quand il se colle plus encore à toi, que vos bassins s'accrochent toujours plus et il sourit, doucement.

Un soupir puis un sourire
Le visage qui s'approche de ton oreille - il te fait relever la tête doucement, simplement pour souffler quelques mots.

— Fais ce que tu veux..

De lui
De vous
De tout ça.

Une autorisation qu'il n'a pas besoin de te donner mais qui réaffirme encore, réaffirmera toujours qu'il n'y aura que toi. Alors avant que tu ne retournes à son corps il attrape tes lèvres une fois encore, avant de glisser à ta nuque y laisser une marque légère et dans ton dos des traces de son passage tandis qu'il s'amuse à redécouvrir encore chaque parcelle de ta peau.

C'est une façon de te dire qu'il s'excuse, encore
D'avoir trop forcé
De s'être inquiété.

Il ne fallait pas, pas vrai ?

Des passions échangées il demeure désormais vos corps amants allongés sur le sofa. Séraphin haletant pose sa tête contre ton torse, entourant celui-ci d'un bras épuisé - sans dormir avait fermé les yeux voilà quelques minutes à présent. Comme un enfant, il se berce des battements de ton coeur et des sons environnants, du calme après l'ardeur comme pansement à ses peurs qui reviennent en trombe une fois l'adrénaline évaporée.

Des craintes qu'il gardera pour lui et ces pensées - horribles - dont il tentera de se débarrasser. L'esquisse à ses lèvres semble alors un peu plus triste que d'ordinaire, mais qu'importe puisque tu ne peux la voir; lorsqu'il se redresse, après ce long moment contre toi, c'est un demi-sourire plus prévenant qu'il t'adresse. Le même que d'habitude malgré un regard qui ne ment pas. Tiraillé, Séraphin. Entre tous ces sentiments dont il ne connaît pas les noms et la culpabilité de ne pas simplement se sentir serein comme avant puisque tu es là.

Il ne se comprend pas,
Et ses doutes le forcent à se lever, s'asseoir au bord du canapé.

Un regard par la fenêtre puis il s'abaisse pour récupérer son haut traînant au sol, en silence - les mots coincés qui l'étranglent. Lesquels il ne sait plus, trop nombreux pour qu'il soit capable à cet instant de les ordonner et pourtant la pensée inconsciente au fond qui le hante,
Qui demande,
Qui supplie.
Retiens-moi encore un peu.

Ou laisse-le fuir à jamais.

Tes doigts sur son poignet, il avait eu l'espoir un peu naïf qu'ils ne se défassent pas. Quand ta main l'avait saisit, son coeur avait tressaillit et alors, surprit il s'était tourné vers toi. Le souffle coupé, le temps d'une seconde seulement.

Une seconde éternelle qui semble soudain figer le temps.
Ce n'était pas grand chose,
Juste un émois inconscient.
Juste l'envie de ne pas tout briser.
Et il s'était dit, lorsque finalement tu avais lâché et que le froid l'avait envahit, que son coeur s'était serré à l'en asphyxier d'avantage encore, qu'il était désolé.
Sans savoir réellement pourquoi il l'était.

Les mots qu'il aimerait pouvoir te dire ne sortent toujours pas, et à force ils ne ressemblent plus à rien. Alors Séraphin doucement ferme les yeux, un instant le temps d'encaisser, le temps de renflouer bien trop profondément la douleur qui le crève pour ensuite les reposer sur toi.
Retiens-moi ou ne me retiens plus jamais.
Il s'était pendu à tes désirs et tu avais finis par choisir, Lancelot.
Plus jamais.

Ça sonne comme un adieu, lorsque ses lèvres s'entrouvrent, inspirent puis se referment sans être parvenues à évacuer le moindre son. En silence alors son corps quitte la chaleur du canapé (celle de tes bras) avant qu'il ne se rhabille sans t'adresser un regard. (il aurait préféré) Avant de partir, il se tourne doucement, un léger soupir qui passe ses lèvres pour l'aider à reprendre contenance. Une légère esquisse et-

— On se voit plus tard.

La porte qui se referme.
Adieu, Lancelot.