Ça ne l’enchantait gère, mais Elizabeth n’avait pas eu d’autre choix que de convier un guérisseur compte tenu de l’état inquiétant de ses parents. Après tout, la nouvelle était arrivée d’une façon si violente que sa mère s’était évanouit tandis que son père semblait déstabilisé, désorienté et à la recherche de bois qu’il pourrait sans doute toucher. Mais la vérité était là, la perte de leur fils, de leur très cher favori. Elizabeth qui à cet instant aurait mis sa main à couper que si les rôles avaient été inversés les réactions auraient été bien moins mélodramatique.

Mais les jours étaient passés et leurs états se dégradaient tant qu’Elizabeth avait envoyé un pigeon. L’un des meilleurs qu’on lui avait dits, des conseils sages que la jeune garde avait suivit dans l’espoir de retrouver ses parents. Quelques jours d’attentes à devoirs s’occuper de ses géniteurs meurtris avant l’arrivée de ce guérisseur dont les louanges n’étaient plus à revendre. Elizabeth et ses vingt ans qui ne reflétait en rien la perte tragique de son frère cadet, si ce n’était des marques prononcées sous les yeux.

Son regard n’était pas aussi fort qu’à l’habituel, bien plus fuyant jusqu’à trouver un certain calme à la vision de ses pieds. Sa voix toujours autant calme et posé et cependant, un peu plus saccadée aux allures d’hésitations. Alors, la respiration forte qui tente à être contrôlé lorsqu’on en vient à lui poser des questions, Elizabeth qui une fois encore à besoin d’explication. Le seul témoin de ce malheur accident, de cette chute malheureuse.

Et elle trempa ses lèvres dans la tisane que l’apprentie lui avait servi.

« Cela fait plusieurs jours qu’ils ne dorment plus, et lorsqu’ils arrivent enfin à s’endormir, c’est… Des cauchemars qui les maintient éveillé. »

C’était aussi son cas, mais dans un sens ?

« Ma mère s’évanouit souvent. Beaucoup à vrai dire, et lorsqu’elle est consciente c’est toujours en pleur… Quant à mon père. »

Elle laissa courir un silence. Son père avait beaucoup moins de symptômes visibles, mais à la vue des regards parfois fuyants et d’autres fois noirs, elle était certaine qu’à l’heure actuelle, il aurait tout donné pour revoir son fils.

« Je ne sais pas. »    

La tête qui s’abaisse, comme si Elizabeth s’en voulait terriblement de ne pas savoir. Mais était-ce réellement la raison ?

« C’est compliqué. »

Qu’elle tente de relever son visage mais qui retombe aussitôt. Des larmes avaient décidé, sans crier garde d’exister dans son regard océan. La vérité aurait pu évoquer la manipulation, mes ses sentiments étaient sincères. Autant Elizabeth éprouvait une certaine reconnaissance, une impression de renaissance qui arriverait un jour ou l’autre face à la perte d’Ambrose. Autant, elle était sincèrement dévastée à l’idée qu’elle ne le verrait plus jamais, car après tout, même dans sa jalousie inavouée, Elizabeth l’aimait véritablement.

« Mon. »

Elle respire un peu, ce n’était pas un mensonge après tout. Seulement la vérité qui était difficile à assimiler.

« Mon frère, il est tombé. »

Et une fois ces mots lui étaient toujours terriblement dur à prononcer, elle s’était murée dans le silence. Car tout était de sa faute, ses pensées étaient emmêlées depuis qu’elle l’avait vu tomber, depuis que pour la première fois de sa vie, Elizabeth avait ressenti cette noirceur que l’on nommait colère. D’innombrables questions, comme si elle n’était plus certaines. La simple inquiétude que ses souvenirs n’étaient pas véritables. Ambrose était tombé, c’était un fait. Elle avait cette impression grotesque qu’il avait avancé consciencieusement, mais l’évidence était qu’il avait glissé. Car autrement, pour qu’elle raison Ambrose serait-il tomber dans l’inconnu du gouffre ? A moins, que. Et c’était bien là qu’était ce problème, ce souvenir qui avait fait battre son cœur à la chamade, pourquoi donc avait-elle eu cette impression de liberté. D’avoir enfin accomplie ce pourquoi elle l’avait suivi, un genre d’apaisement lorsqu’elle n’avait pas pu le rattraper ?

Alors Elizabeth avait simplement acquiescé aux dires du guérisseur, la manche qui une première fois s’était élevé pour faire disparaître ces larmes naissantes. Puis qui appréciait chacune des gorgées qui lui avait été offerte. Ses pensées étaient toujours présente, mais l’état de ses parents l’inquiétait tellement qu’Elizabeth n’arrivait pas à mettre toute cette histoire au clair. En vérité, et à l’heure actuelle, elle n’éprouvait qu’un unique désir : que ses géniteurs acceptent la mort d’Ambrose et passent à autre chose. Et c’est de cette façon, qu’elle serait capable d’en faire de même, Elizabeth en était certaine.

Ainsi lorsqu’il avait quitté la pièce, Elizabeth l’avait remercié avec toute la sincérité du monde. Elle comprenait que le deuil était toujours difficile à vivre, encore plus à soigner. Mais l’espoir qu’il puisse au moins calmer leur crise d’angoisse, que leur vie puisse rendre un cours un tant soit peut normal même si la bancalité était largement compréhensible. Elizabeth savait que même avec tous les efforts du monde, il était impossible de faire comme si, parce que c’était arrivé, parce qu’il avait existé.

Mais plus que tout, la jeune femme avait besoin d’être rassurée. C’est pour cette raison que son regard s’était élevée vers la jeune apprentie, le professionnalisme qui était toujours bien différent d’un exprès. Pour laquelle, elle espérait tout de même avoir une réponse qui la rassurerait sur les événements.

« Vous avez déjà… Eu des patients qui ne s’en remettent jamais ? »

Car comment pouvait-elle gagner contre un être décédé ?

L’ensemble de son corps crispé à l’attente d’une réponse. Elizabeth espère que seule la négation traversera ses lèvres, qu’elle lui explique qu’il n’y a aucune raison de s’inquiéter. Que parfois, il arrive que cela prenne du temps mais que toujours, un jour ou l’autre ils finissent par s’en remettre. Mais les mots tombent, bien malheureux. Sa mâchoire qui se claque une fois mais très vite stoppée par cette joue qu’on mordille de l’intérieur.

Et plus l’apprentie continuait son explication, plus Elizabeth avait cette impression que son cœur était broyé de sa propre main. Comme si la situation ne pouvait pas être pire. Une légère impression de malaise qui l’avait forcé à déposer sa tasse de tisane sur l’une des tables de peur qu’elle puisse en venir à la faire tomber. En vérité, et compte tenu de l’amour que portait leur parent à Ambrose, il y avait fort à parier qu’ils feraient partie de ces certains patients.

L’espoir qui n’était pourtant pas effacé, une légère lumière qu’elle garderait au creux de son être, pourtant mal de s’imaginer qu’ils puissent tous deux se morfondre pour l’éternité dans la perte de leur cher et tendre petit Ambrose.  Et elle, alors ? Qu’allait-elle devenir ?

Puis un léger grincement, qui de loin, aurait pu s’apparenter à un rire que l’on tenterait de dissimuler. Un son, unique, une seule note très courte et sincère. Sa présence pouvait-il vraiment faire pencher la balance ? Etonnement, Elizabeth n’en était pas certaine. Etait-elle devenue pessimiste ? Sans le moindre doute, ses impressions avaient toujours été remplies soient de blancs, soient de noires mais jamais d’intensité de gris lorsqu’elles étaient en lien avec son frère et ses parents.

« Il doit bien exister quelques choses ?  »

Outre les potentiels plantes ou conseil que pourraient leur prodiguer le guérisseur pour qu'ils aillent un peu mieux. Outre sa simple présence et l’amour supposé qui devrait les aider à redevenir les humains d’autrefois.

« Quelques choses que je pourrais faire pour leur changer les idées ? N'importe quoi. »

Puisse encore qu’ils seraient enclins à suivre ces essais.

Au point où elle en était, toutes informations étaient bonnes à prendre. Même si ils ne s’agissaient que de suppositions ou de propos utopiques. Elizabeth avait mal pour bien des raisons. Une douleur existentielle, mais bien différente de celle de ses géniteurs. A vrai dire, elle n’arrivait même pas à comprendre l’extrémité de leur mal être tant cela lui semblait… Etrange. Il est vrai qu’Elizabeth ne pouvait ressentir ce qu’était que de vivre à la suite de la perte d’un enfant. Mais…

Un soupir de lassitude. Long et glacial. Autant Elizabeth était capable de comprendre la distinction entre les maux physiques et ceux qui résultaient d’une perte chère. Car elle avait l’habitude des hématomes sur sa peau blanche, les coupures si profondes qu’on aurait pu y apercevoir l’os parmi ce flot écarlate.

« Je vois. »

Et c’était dommage. Non pas qu’elle comprenne, mais qu’ils leur soient impossible de guérir l’esprit. Peut-être devrait-elle se renseigner s’il existait de tel guérisseur dans d’autre royaume éloigné. Les stimuler ? Elizabeth acquiesça machinalement face à ce conseil. Bien qu’en vérité, le simple fait de vivre dans cette maison devait être un stimulant en lui-même. Les souvenirs des cris lorsqu’ils étaient plus jeunes, Ambrose qui s’entraînait à l’épée avec Elizabeth dans la cours arrière de l’habitation. Tout n’était que souvenir constant, même tourner la tête pouvait amener à une anecdote sur le décédé.

Alors elle renifle un peu. De toute évidence, l’envie de pleure n’avait pas évacué et même si son corps sentait le rejet constant, il lui était incapable de rester silencieux face à une telle discussion.

« Non vous faites bien, c’est plus facile que l’éternel, tout va bien se passer, demain ils seront de nouveau souriant. »

De toute façon, Elizabeth avait l’habitude de la franchise, notamment avec celle que lui apportait Azazel depuis tant d’années qu’elle ne voyait pas de souvenir sans son existence.

« Je comprends. Enfin, je pense comprendre là où tu veux en venir. »

Mais elle, ce qui l’accrochait véritablement à ce deuil était bien différente que le ressentit de ses géniteurs.

« Et j’ose imaginer que plus les sentiments étaient fort, plus ça sera long à accepter. »

Presque une raillerie.

Alors Elizabeth attendrait. Prierait la Maison-Dieu dans l’espoir que ses parents arrivent à passer outre, à accepter la disparition de leur cher Ambrose. Que parfois ils s’en remémorent amoureusement, mais toujours dans l’acceptation qu’il ne repassera jamais le pied de la porte. Qu’ils acceptent et qu’ils comprennent, car après tout, elle était là devant eux.

« Ah ! »

Un léger sursaut sur sa chaise, comme si Elizabeth avait été plongé dans ses pensées durant quelques secondes. Mais bien trop profondément pour ne pas être surprise comme si elle était redevenue seule, unique présence face à ses parents anéantis.

« Oui je veux bien, merci. »

D’un geste bourru, la garde vient récupérer la tasse qu’elle venait de déposer quelques minutes plutôt pour la tendre à la brune.

« Est-ce que tu penses que ton maître va au moins leur prescrire quelques choses pour les calmer et les aider à dormir ? »

Car pour arriver à l’acceptation de sa mort, il faudrait déjà qu’ils arrivent à se calmer et sortir de cette torpeur. De là, Elizabeth essayerait d’improviser pour leur retrouver le goût de la vie.

« Je me dis que j’en aurais surement besoin aussi. »

Pas d’être calmée, car étrangement, calme tu l’étais. Plus encore lorsque tu étais la seule personne présente, la messagère de mauvaise nouvelle, dont les souvenirs tournent en boucle, un Ambrose face à face qui disparaît dans la brume du gouffre. Mais dormir, ça Elizabeth aimerait bien pouvoir retrouver un sommeil normal, elle en aurait besoin lorsqu’elle devra retourner au sein de l’armée.

C’était déjà un bon point, l’idée qu’Elizabeth n’est plus à gérer certaines crises de sa mère, bien que rare tant elle était devenue amorphe, la rassurait légèrement. Il est vrai que l’apaisement pouvait être minime, mais dans le pire des cas Elizabeth s’arrangerait, pour réfléchir à une meilleure façon de faire passer les événements. Et dans un sens, un rien serait sans doute suffisant compte tenu de leur état actuel.

Alors, elle avait finalement réussi à se reprendre. Quelques larmes qui finissent leur descente, perlant sur son visage blafard. L’idée qu’elle puisse dormir quarante-huit heures d’affilié lui était totalement impensable, aussi puissant que pouvait être le remède. Évidemment, cela était bien différent pour ses parents. Notamment sa mère qui pourrait facilement plonger dans un désespoir profond et ne jamais sortir de son lit, respectant certes les doses prescrites, mais toujours dans l’excès du manque de réaction. Et Elizabeth avait acquiescé simplement, un petit haussement de tête qu’elle avait accompagné d’un court.

« Je comprends. C'est assez compliqué. »

Car tout était question de fragilité. L’humaine était fragile et l’esprit de ses géniteurs d’autant plus lorsque cela concernait Ambrose. Mais rien d’étonnant, depuis son premier jour, leur quotidien ne tournait qu’autour de leur premier fils. Ainsi, il était normal que leur réaction soit aussi excessive. Bien qu’à l’inverse de celle d’Elizabeth qui pourrait paraître bien insensible ou simplement, beaucoup plus forte. Parce qu’elle était bien incapable de comprendre le sens de cette perte.

Et finalement un léger sursaut lorsque sa tête se tourne à l’arrivée du guérisseur. Les mots tombent, s’enchaînent d’un soupir de soulagement. Peut-être que le deuil était bien plus compliqué à combattre, mais la garde était rassurée de savoir que ses parents ne craignaient aucune maladie physique en plus de la difficulté à accepter les événements. C’est alors qu’Elizabeth abandonne sa chaise, pour remercier sincèrement l’homme.

« Merci beaucoup, c’est parfait et la rapidité est très appréciable. »

Elle ne s’imaginait pas qu’un traitement puisse être apporté aussi vite, à dire vrai, Elizabeth n’avait aucune connaissance médicinale alors l’ensemble de son avis était biaisé.

« Pour combien de temps, ces potions dureront exactement ? Est-ce qu’il faudra vous recontacter si leur état ne s’améliore pas et que le stock n’est plus au rendez-vous ? »

Et de ce fait, elle avait plusieurs questions. Parce qu’elle s’inquiétait de devoir les gérer tous deux et de la durée que cela pouvait prendre.

« Comptez-vous revenir pour suivre leur état ? »

Ou est-ce que vous avez pleinement confiance en leur état pour que la difficulté du deuil finisse par disparaître naturellement.

En vérité, c’était bien la première fois qu’Elizabeth faisait appel à un guérisseur. C’était un pas vers la nouveauté, l’enfant qui avait besoin de s’occuper de ses géniteurs après une erreur impensée. A dire vrai, même dans ses lointains souvenirs, Elizabeth n’avait même pas l’impression qu’elle puisse déjà avoir croisé l’un d’eux. Elle n’avait pas souvent été malade, ou du moins toujours de légers symptômes qui avaient fait lever les épaules de ses parents. Quant à Ambrose, ça avait été un peu plus différent n’est-ce-pas ? Le garçon en quarantaine au moindre accident et un guérisseur dans sa chambre à la moindre seconde.

Un soupir qui s’envole à ces pensées, elle était notamment rassurée du suivi et du professionnalisme dont faisait preuve cet Etham qu’on lui avait recommandé, comme étant l’un des meilleurs. Alors elle avait acquiescé, avec une pointe d’impression sur cette nécessité de trouver le dosage qui pouvait leur correspondre à tous les deux.

« Une erreur de dosage peut être problématique ? Amener des effets indésirables ? »

Même s’ils passeraient tous les trois jours, elle n’avait pas spécialement envie de devoir veiller sur eux à cause d’une erreur de dosage dans les premiers temps. Quand bien même la garde avait reçu des jours de son supérieur pour la mort de son frère, quelques semaines pour remettre ses idées au clair. Il n’avait pas été pris en compte qu’elle devrait s’occuper de ses parents, car on considérait qu’ils étaient sans doute capables de s’occuper d’eux-mêmes. Car Elizabeth n’était pas sans cœur, mais pas non plus dénuée d’arrière-pensée. La mort était quelque chose qu’on acceptait en rejoignant l’armée, bien qu’il soit difficile de s’imaginer que cela puisse frapper les siens d’une manière si fataliste. Plus encore les faits sont en lien avec sa propre existence, mais que sur ce point, on arrive à y passer outre. Au moins dans le fond, dans l’apparence et dans l’esprit. Car le cœur s’assombrira au fils des années à force de feindre l’ignorance. Une violence à l’égard d’un disparu, voilà qu’était sa future réalité.

Puis tandis qu’Elizabeth les remercia, appréciant simplement que l’un ou l’autre serait présent dans les prochains moins pour subvenir aux différents questions ou problèmes dont la garde pouvait faire face. L’espoir toutefois, qui espérait que tout se déroule pour le mieux et que le calme revienne dans la demeure Egan. Et alors qu’elle tente de se sortir de sa chaise pour les accompagner vers la sortie, c’est son corps qui s’alourdit. Une pression soudaine qui la force à rester assise quelques instants supplémentaires, de quoi respirer confortablement pour s’aider de ses bras, cette fois-ci, pour retomber sur ses pieds.

« Je vous remercies pour toutes ces informations. »

Avec une bien grande sincérité, et d’un léger mouvement de tête qui accompagne ses propos.

« Je serais debout à la première heure demain, alors vous pourrez passer dès que vous le désirerez. »

Car son sommeil était bien trop léger, mais ça, c’était depuis des années. Les cauchemars par contre, qui la maintenait parfois éveillé, était une tout autre histoire.