Éveillé à la magie ? Non

Monsieur et Madame Frey ont eu un beau mariage. Mariage arrangé, mais mariage d’amour. Coup de foudre dès la première rencontre.

Monsieur et Madame Frey rêvaient d’une famille, d’une vie qui frôle la perfection. Ils avaient l’argent, le nom, la popularité, il ne leur manquait plus qu’un enfant pour combler le vide que les pièces sonnantes de leur bourse ne pouvaient combler.
Monsieur et Madame Frey n’ont jamais réussi à avoir d’enfant. Les tentatives ont été nombreuses, et les années aussi. Pourtant, la maison était toujours vierge des pas d’un bambin, ce qui plongea le couple dans un désespoir si grand que Monsieur se tourna vers les filles de joies.

Madame A. tenait une maison close. Taverne un peu miteuse qui cachait en son sous-sol des chambres dans lesquels s’allongeaient ses employés, et elle-même souvent. Les boissons ne rapportaient pas, mais les corps plutôt bien.
Madame A., elle, savait se contenter d’une bourse bien remplie, mais elle n’était jamais assez pleine pour elle. Les revenus du sous-sol étaient partagés entre elle et les autres marchands de plaisirs. Maigre salaire. Alors lorsque Monsieur entra dans la taverne, ce ne sont pas les soupirs d’un homme au bord du gouffre qu’elle entendit, mais les dores qui trébuchaient dans sa bourse. Elle savait faire parler les gens, cette dame, et il ne fallut pas longtemps pour faire cracher le morceau à ce monsieur, pour entendre parler de l’infertilité de sa femme, du malheur de ne pas avoir d’enfant. Et Madame A., en échange d’une petite pile de dores, proposa de porter pour lui cet enfant qu’il attendait tant.

Monsieur et Madame Frey rêvaient d’une famille, et ils en rêvaient tant que l’épouse ne vit pas d’inconvénient à ce que son cher et tendre fréquente le lit d’une autre femme pour un moment. Monsieur Frey s’éclipsait le soir pour rencontrer Madame A. Dans sa chambre, Madame Frey noyait son chagrin sous la promesse de cet enfant qu’elle tiendrait dans ses bras un jours. On cacha à la famille, aux amis, l’infertilité, l’adultère, le bâtard à venir, pour conserver l’image du couple parfait, indestructible et respectable. Madame Frey se terra dans sa demeure le plus possible pour ne pas avoir à feindre un ventre arrondi.

Pénélope naquit une année plus tard. Et lorsque le nourrisson fut glissé dans les bras de Madame A., ce ne sont pas les pleurs et les cris qu’elle entendit, mais les dores par centaine qui finiraient par glisser de ses doigts.
Et lorsque Monsieur se rua à la taverne pour ramener l’enfant miracle à la maison, Madame A. parut surprise, annonça qu’il s’agissait d’un quiproquo, qu’elle n’avait jamais parlé de leur laisser l’enfant, qu’elle ne voulait pas s’en séparer. Mais qu’elle voulait bien une pension, parce que c’est coûteux à entretenir, un enfant. Et qu’il ne faudrait pas que le bruit court que le respectable Monsieur Frey avait eu une bâtarde, et que la respectable Madame Frey avait menti sur la grossesse difficile qui la gardait, soit disant, enfermée chez elle.

Mais comme je ne suis pas un monstre, poursuivi Madame A., je te laisserai écrire des lettres à la petite quand elle sera plus grande. Je ne te conseille pas de venir la voir, cependant, cela finirait par éveiller les soupçons.

Résumé: