Cela faisait bien longtemps que Ragnvald ne sortait plus de la demeure des Arngrim, si ce n'est pour executer un contrat lui-même ou bien pour une réception officielle.
Ne s'était jamais véritablement senti noble et pourtant, devait bien se plier au protocole de temps à autre sous peine de donner raison aux détracteurs de la maison Arngrim.
Ou bien était-il uniquement motivé par le plaisir de déranger les pète-cul qui forment la noblesse Valdorienne ?
Comme à son habitude, donc, il avait passé sa soirée de la veille à se saouler et se battre en compagnie des autres membres de la dynastie.
Ressortait des échanges sans la moindre blessure, quand bien même avait-il été marqué la veille des coups de ses comparses, ses gènes Briserunien rendaient toute blessure parfaitement superficielle.
Avait bu jusqu'à s'évanouir.
Noyer ce sentiment de travail inachevé.
Affalé sur l'un des nombreux canapés du luxueux salon, c'est le regard dans le vide qu'il laissait passer le temps, accablé d'un ennui mortel.
La voix aigue de Bianca, s'accaparant l'ensemble de la pièce et ce peu importe son étendue, vint lui faire reprendre conscience.
S'accrochait à lui, dans une tendresse suffisamment artificielle pour caractériser ses rapports avec les autres.
Et pour cause, ce comportement ne trompait pas.
Elle était d'humeur joueuse.

Sans même qu'il ne daigne lui accorder un regard, Ragnvald affichait une mine boudeuse.
Non pas qu'il déteste la présence de la jeune femme, bien au contraire, il ne partageait tout simplement pas son enjouement présent.
N'avait pas l'intention d'assouvir les envies de Bianca et pourtant, peu importe la force titanesque dont il était le représentant, il savait bien que cette femme ne se pliait pas aux règles de conduite envers lui.
Car elle était Bianca.
Prenait place sur ses genoux sans y être invitée, qu'importe après tout, elle fabriquait ses propres invitations.
Le regard du colosse était déviant, témoignait qu'il n'avait pas envie de s'amuser.
Pas maintenant.
Mais il était bien contraint de s'y adapter.
Bianca pouvait être agaçante.
Mais elle n'en était pas moins sérieuse lorsqu'il s'agissait de s'adresser à lui.
Elle ne lui manquerait pas de respect de cette manière, si ?

Ses bras s'étalaient sur le dos du canapé.
La tête penché en arrière, ses yeux retombaient finalement sur la splendide assassin.

« Je ne suis pas d'humeur, Bianca. »

Poussait un long soupire et ses yeux quittaient la silhouette de Bianca.
Las, il répondait avec un désintérêt qui le caractérisait depuis la disparition d'Antigone Bathory.

« Si c'est pour un contrat, j'suis pas intéressé. Donne ça à l'une des filles. Dahlia a besoin de se dégourdir les jambes. »

N'avait de toute façon pas d'attrait pour les cibles faciles.

Antigone Bathory.
La simple prononciation de ce nom suffisait à éveiller en lui une hargne guerrière, amer, car elle représentait son unique véritable défaite.
Au cours de sa vie, Ragnvald avait perdu des combats.
Peu importe l'importance de ces combats, il n'avait jamais manqué à impressionner.
Terrifier.
Pourtant, existait en ce monde une créature qui n'avait jamais accepté la domination du roi des bêtes, une créature si terrible qu'elle s'était permise de lui être supérieur dans de nombreux affrontements.
Qui s'était permise de l'humilier en s'octroyant tout l'amour de Briserune.
Il avait failli à se débarrasser complètement de son royaume natal.
Et désormais, Antigone Bathory elle aussi renaît de ses cendres.
Cauchemars qui se dressait du voile de la malédiction.
S'il ne pouvait tolérer l'existence de pareille créature, en rire était tout aussi inacceptable.
Malgré son physique imposant, c'est avec une détente et une vitesse impressionnante qu'il bondit du canapé pour arriver jusqu'à Bianca.
Brusquement, il l'enserrait à la gorge.
Savait faire preuve de délicatesse avec elle, même de tendresse.
Mais pas lorsque l'on prononçait son nom.

« Je te l'ai dit, Bianca. Je ne suis pas d'humeur à jouer. »

Son regard s'embrasait, il s'infiltrait dans les yeux de Bianca pour la sonder.
Cette splendide femme était bien des choses.
Mais s'il avait une certitude la concernant, c'est qu'elle ne ferait rien pour le nuire ou bien tourner en dérision ce qu'il considérait comme sa plus terrible chute.
Alors il ne remettait pas en cause ses paroles.
Simplement le ton employé.
Simplement.

« Où est-elle ? Où est Antigone Bathory ? »

Que je la brise comme j'ai brisé Briserune.

Sa réaction était rapide, instinctive.
Bianca était un assassin et de fait, il était on ne peut plus improbable d'arriver à la surprendre.
S'il avait pour lui un physique bien plus avantageux en terme de combattant que celui de la jeune femme, elle n'était pas en reste en ce qui concernait l'astuce.
Et sa prise ne faiblissait pas, avant qu'elle ne se décide à finalement lui infliger douleur et poison.
La substance, probablement de son cru, traçait son chemin en ses veines par le biais de ses griffes.
Et la réaction de son corps ne se faisait pas attendre.
Le bras qui la maintenait s'affaiblissait, incapable de conserver son étreinte sur sa gorge, il relâchait Bianca quand bien même l'évocation d'Antigone Bathory manifestait en lui les ardeurs du combattant.
N'abandonnait pas le combat.
Après tout, Bianca Arngrim n'en était pas un.
Cela faisait bien longtemps qu'il n'éprouvait pour elle que tendresse et respect.

Elle s'écartait de lui.
Et le poison se répandait dans son corps, brûlait sa gorge, éveillait ses cicatrices.
Fier, le géant restait debout, à l'écoute.
Grandvent.
Ses lèvres s'écartaient dans un large sourire et en réaction au poison, coulait d'entre ses lèvres son sang Briserunien.
Manifestation d'une force inarrêtable, il était cette créature qu'aucune invention ne saurait arrêter.
Une colère qu'on ne pouvait contenir.
Immuable.
Lourdement il arrachait l'aiguille planter entre ses côtes, la brisait.
Déposait son regard sur cette personne capable de rester en face de lui sans être brisée.
Peut-être parce qu'elle l'était déjà et qu'il n'existait rien en ce monde, pas même Ragnvald, capable de détruire le marbre dont elle était faite.

Une toux se déclenchait et alors que d'entre ses lèvres s'échappait une nouvelle effusion de sang, sa gorge se déployait pour libérer un rire puissant.
Hilarité presque caricaturale.
Retrouvait les sensations oubliées.

« C'est bien. C'est très bien. Alors, j'irais à Grandvent. »

Le pas lourd, il s'approchait de Bianca.
L'écarlate liquide lui allait si bien.
Fier guerrier.

« Ce soir, j'arrache la tête du corbeau. »

Ingurgite le contenu de la fiole sans même chercher à l'analyser.
Il avait été suffisamment empoisonné par Bianca pour savoir qu'elle ne se déplacait jamais sans les antidotes.
Au moins cette fois, il n'aurait pas à couvrir ses chaussures de baisers pour s'en procurer un.
La blessure à ses côtes n'avait déjà plus la moindre espèce d'importance, si bien qu'elle se refermait d'elle-même.
Avec un tel corps, l'on pouvait se demander de manière légitime comment qui que ce soit pouvait accepter de se retrouver dans un combat en cage contre lui.
Pourtant, Bianca pointait du doigt un élément important de sa stratégie.
Il n'en avait tout simplement aucune.
Evidemment, son plan consistait simplement à hurler le nom d'Antigone Bathory dans tout zephyr jusqu'à ce qu'elle daigne sortir de son terrier pour ensuite gagner la bagarre.
Peut-être pas le plan le plus intelligent, mais ça s'était avéré jusqu'ici plutôt efficace.
Bianca semblait conscient - peut-être même autant que lui - que Antigone Bathory n'était pas un adversaire que l'on pouvait prendre à la légère sous peine d'être défait.
Alors comme à son habitude, elle prenait en charge cet aspect.

« Joan Brianfort ? C'est un des chiens du corbeau, n'est-ce pas ? »

Elle lui offrait sur un plateau la tête de Bathory.
Pourtant, il ne voyait pas où elle voulait en venir.
Il n'était tout simplement pas adepte de provoquer un combat d'une manière détournée.
Ce combat était inévitable et il n'avait nullement l'intention de faire des ronds de jambe pour obtenir ce qu'il lui revenait de droit.

« Tu penses qu'elle serait suffisamment stupide pour venir venger sa mort ? Elle a déjà un paquet de mort à venger. »

Il écoutait.
C'est sans grande surprise que Bianca exposait un plan on ne peut plus efficace afin d'attirer l'attention d'Antigone Bathory.
Plus qu'attirer son attention, sa machination pourrait même la faire sortir de son trou.
Bien que Ragnvald n'affectionnait pas particulièrement d'employer un moyen détourner afin d'obtenir son affrontement avec l'ancienne Reine de Briserune, le manque de manœuvre à disposition le contraignait à suivre le plan élaboré par sa comparse.
Cependant, Bianca exposait à ceci une condition toute particulière.
Joan Brianfort était sa vengeance et elle n'autoriserait personne, pas même lui, à s'approprier le sang du héros déchu.
A cela, Ragnvald répondait simplement par un haussement d'épaules.
Il y avait suffisamment d'action en préparation pour qu'il puisse contenir ses pulsions en face d'un Briserunien.
Quand bien même l'idée d'un affrontement avec un soit disant héros n'était pas pour lui déplaire.
Même si sa victoire apparaissait comme une évidence.

« Cet homme ne m'intéresse pas, il n'était pas un obstacle lors de la destruction de Briserune, il ne sera pas non plus un obstacle dans mon affrontement avec Antigone Bathory. Je ne porte pas d'intérêt à un guerrier déjà brisé. »

Fermement, il attrapait les mains de Bianca.
Autoritaire.

« Mais n'imagine pas une seule seconde que je le laisserait vivre s'il venait à se mettre en travers de mon chemin. Si tu veux l'utiliser, fais en sorte qu'il connaisse sa place. »

Il relâchait finalement ses mains, pour s'éloigner lentement.
Sur son visage se dessinait un sourire carnassier, traduisait son impatience.
Son poing s'écrase contre un mur.
Plusieurs fois.
Frénétiquement.

« Ô Bianca, ma douce Bianca. Tu sais ce qui encore est meilleur que de tuer Briserune ? »

S'arme d'un rire bruyant, alors que la vitesse de ses coups contre le mur s'intensifiait.

« Tuer Briserune une seconde fois. »

Briserune ne mourra jamais.
Car il faudrait que tu meures, toi aussi.
Constat amer.
Il portait en lui ce sang, celui de la patrie qui l'avait reniée, n'avait su reconnaitre en Ragnvald le leader qu'il était.
La force pure, la seule chose capable de dominer le peuple guerrier.
Se devait dorénavant de porter ce blason malgré lui.
Paradoxe qu'était ce sang, tantôt humiliation, tantôt signe de fierté parce que c'est son appartenance au peuple de glace qui faisait de lui cette machine de guerre incontrôlable et indestructible.
Les bienfaits de ces terres qui le rendait suffisamment résistant pour se tenir aux côtés de Bianca, douceur froide aux allures de faucheuse.
Le poison ne pouvait pas venir à bout de Ragnvald.
Pas plus que qui que ce soit sur Valdore.
Si ce n'est son propre égo.

Dans les yeux de sa douce, il observait la folie, l'obsession.
Conscient qu'il était lui aussi habité du même souffle de violence qu'elle.
Cette envie irrépressible d'être ce que l'on n'est pas, de le devenir.
Bianca voulait être forte, crainte.
Ragnvald voulait être adoré, vénéré.
Et ensemble ils infligeraient aux armées de Briserune mille et un tourments.
Lorsqu'elle évoquait une présence aux côtés d'Antigone Bathory, le guerrier s'étonnait un court instant.

« Quelqu'un de suffisamment stupide pour se ranger derrière elle ? Qu'est-ce qu'ils peuvent bien tous avoir avec cette femme... »

N'était-il pas le moins bien placé pour s'exprimer ainsi ?
Lui qui n'était sorti de sa léthargie que dans l'espoir de brise le cou d'Antigone Bathory de ses propres mains.
Son visage était froid, la voix sans émotion.

« Pour la dernière fois, Bianca. Je ne veux que Antigone. Je me moque de ses alliés. De Idriss, de Merlin. C'est elle que je veux. Personne d'autre. Débarrasse-toi des nuisibles. »

Les poings se serrent.
Tremblant d'une excitation sans commune mesure.
Pouvoir traiter la carnasse inerte du corbeau dans la boue était une image saisissante.
Suffisamment pour lui donner l'envie de travers la porte jusqu'à Zephyr, faisait fit des consignes de Bianca.
Le plus difficile ne serait pas de faire venir Bathory sous le toit des Arngrim.
La véritable difficulté réside dans l'aptitude de Ragnvald à contenir ses pulsions de violence.
Frappait le sol de ses pieds, alors qu'il étouffait un rire bruyant, comme le ferait un enfant en pleine euphorie.

« Il n'y a rien qu'elle pourra faire cette fois-ci pour y échapper. Je vais l'humilier dans cette cage, arracher sa colonne vertébrale et l'exposer comme un trophée. »

Son regard se déposait finalement sur Bianca.
Sa douce Bianca.

« J'ai confiance en toi. Je sais que tu parviendras à me l'offrir. En échange, tu auras tout ce que tu veux. »