tourner en rond

Relativement rarement aperçue sans aborder son éternelle mine souriante, la princesse Électre ne semblait que la brandir d'avantage lorsqu'elle se promenait dans le coin. Seul son bien-aimé royaume de Belorge la rendait plus heureuse que Grandvent, Grandvent et ses magnifiques forêts, Grandvent et la Sphère. Au milieu des arbres et des villes ici elle se sentait plus en sécurité qu'ailleurs, entre les forteresses de feuilles et de livres, papier en devenir et papier devenu. Tellement de choses qui ne demandaient qu'à être découvertes, apprises... Le flot de connaissance lui donnait presque le tournis.

La magie était une chose quotidienne, une chose familière car depuis son éveil il y a de cela déjà 16 ans, elle n'avait cessé de l'étudier, de la pratiquer. Oh bien sûr elle ne parviendrait jamais à en saisir toutes les plus infimes subtilités et elle le savait très bien. Jamais elle ne comprendrait la magie de guérison des Grandventeux ni même celle des autres peuples, jamais elle ne pourrait s'élever au niveau de l'un des mages de Sombrelune, mais là n'était pas réellement son soucis. Non, elle considérait en connaître assez sur le sujet. Assez pour se débrouiller toute seule, assez pour s'enorgueillir, assez pour passer à autre chose.

En comparaison les sciences, qui lui étaient secrètes et inconnues par bien des aspects, étaient devenues sa nouvelle fascination. Jamais elle ne manquait une occasion, dès qu'elle venait visiter la région, de passer quelques jours vers la Sphère. Elle se baladait, observait les chercheurs aller et venir, parfois elle se perdait dans la bibliothèque et commençait la lecture d'un volume au hasard, usant de son statut royal pour qu'on la laisse se perdre tranquillement dans les flots de connaissances, les rivières d'encre couchées sur le papier.

Et quel meilleur précepteur que le directeur ? Le statut royal lui donnait cette confiance sans bornes et cette certitude inflexible qu'elle avait toujours droit au meilleur, que c'était le devoir des autres de lui fournir. C'est pour ça que naturellement lorsqu'elle a commencé à avoir ses premières questions, elle n'a pas perdu de temps pour les adresser à Jacques, occupant parfois son temps libre d'interrogations un peu sottes mais sincères. Une soif enfantine de tout connaître qu'il avait su satisfaire avec des promesses d'enseignement.

Évidemment, Électre était à l'heure, appuyée contre un mur près de l'entrée de la salle d'études, chargée de papier et de tartelettes aux fruits.

Pouvant à peine contenir sa joie.

tourner en rond

elle leva vers toi des yeux pleins d'étoiles, voie lactée dans les iris et l'émerveillement en ras de cils. les paupières clignent quelques secondes avant de se refermer dans un air aimable, les lèvres s'étirent et pour toute réponse aux excuses elle n'a qu'un hochement de tête compréhensif. électre prend ta suite avec le pas léger, l'allure tressautante. elle prend garde au tissu de sa robe à chaque pas et jette un rapide coup d'oeil dans la salle avant de poser sur la table ses affaires et son panier. ses doigts s'affairent à préparer de quoi noter et elle inscrit juste dans un coin de la page le nom de cette fleur qui jusqu'alors lui était inconnu.

– c'est fascinant. auriez-vous des illustrations de cette fleur quelque part ? je serais curieuse de voir l'allure d'une plante aussi grande... j'imagine qu'en matière d'arbre, aucun ne rivalise en taille avec celui de la création mais je me demande bien quel serait le plus grand insecte que l'on puisse trouver. une créature répugnante sans aucun doute...

les lèvres se pincent l'espace d'un instant, quelques secondes de battement durant lesquelles elle laisse son esprit voguer allègrement à d'autres idées. la noirceur de ses pupilles dessine le contour de tes mains dans l'espace et les siennes effleurent le papier. la princesse prend une inspiration silencieuse avant de laisser retomber ses épaules en arrière pour se fondre dans le décor et en apprécier les subtilités. peu importe le nombre de fois où elle venait, peu importe la durée de ces sessions, l'endroit finissait toujours par lui manquer.

– oh je me porte à merveilles. et vous très cher ? la discussion que vous aviez devait être fort agréable pour qu'ainsi on s'y perde à laisser le temps filer. j'espère que je n'ai rien interrompu d'important.

et dans ces quelques mots elle soutient ton regard, l'orgueil léger venant pimenter les yeux de défi, comme pour te dire d'oser confier que tu aurais préféré être ailleurs qu'avec elle. comme à son habitude derrière les contours de velours la princesse peinait à cesser de se penser en priorité capitale. elle tapote machinalement le grain de beauté sur sa joue du bout de l'index avant de laisser l'ongle glisser sur la peau. les mains se joignent avant de se séparer presque immédiatement lorsqu'elle détourne son attention de toi pour la reporter sur ce panier dont elle s'était chargée.

– pour la collation d'aujourd'hui j'ai préparé des tartes aux fruits. nous avons là des poires, des cerises et des pêches. j'espère que la douceur sera à votre goût.

elle se saisit de l'une des pâtisseries pour la poser sur la table du bout des doigts, veillant prudemment à ne pas l'approcher des différents documents vous entourant, afin de préserver leur état. puis elle ne prend qu'un bref instant  pour suçoter sur son auriculaire les quelques grains de sucre couvrant la tarte qui s'y étaient déposés, avant de se saisir de sa plume et de reprendre l'attitude d'une élève attentive.

tourner en rond

à la mention d'insectes aux proportions gigantesques, la princesse électre eut un léger mouvement de recul et un léger air de dégoût transparu sur ses traits. le simple fait d'imaginer de telles créatures, parées d'immenses pattes, innombrables yeux et faisant trembler la terre en grouillant dessus, lui donnait envie de vomir. elle pouvait vivre avec l'idée de côtoyer de petites bêtes - tel était le prix à payer pour se rapprocher autant de la magie de la terre qu'elle le faisait - mais quelques centimètres de plus suffiraient à lui donner des hauts-le-coeur. elle en lâcha même sa plume.

— je... parlons de choses plus ragoûtantes que d'énormes insectes. vous savez, la cuisine est un excellent moyen de se changer l'esprit. il suffit de suivre les recettes pour obtenir quelque chose de délicieux et ça m'aide à me calmer lorsque la vie à la cour devient un peu trop fatigante.

c'était quelques peu présomptueux de sa part. être une princesse lui offrait un quotidien relativement facile à vivre, une quantité minime de tracas et elle se demandait si ce n'était pas déplacé de sa part de vouloir parfois s'évader en sachant qu'elle vivait routine si douce. elle ne pouvait pas non plus s'empêcher de penser à toutes les personnes pour qui cuisiner était une nécessité vitale et non un loisir occasionnel. évidemment tout le monde n'avait pas de cuisiniers comme ceux du palais pour répondre à tous ses désirs et se sustenter.

elle mordit dans l'une des pâtisseries pour camoufler son trouble. il faudrait qu'elle pense à refaire une tournée de distribution de douceurs dans colza, à son retour de grandvent. l'association des fruits était relativement plaisante et électre fut ravie de constater qu'elle avait choisi les bonnes variétés et quantités. la garniture était sucrée mais également un peu acide et le tout contrastait bien avec la douceur de la pâte. après tout, elle avait appris en compagnie des cuisiniers royaux. une telle qualité d'exécution était toute naturelle.

— je trouve qu'en tant que princesse, il est de mon devoir de me tenir au courant des progrès. la place de la sphère à grandvent est non-négligeable et de plus, j'ai comme ma soeur participé à la cérémonie de l'éveil lorsque j'avais 16 ans. n'est-il pas normal que je m'intéresse à la science après tant d'années à avoir baigné dans la magie ?

la princesse marqua une petite pause pour reprendre une bouchée de tarte, prenant bien le temps de mâcher correctement avant de l'avaler. suite à cela elle ne se contenta que d'hausser les épaules. tu avais raison, le rôle de princesse impliquait de nombreuses contraintes et responsabilités. cependant, elle n'avait nulle intentions de laisser son rang dicter les règles qu'elle devrait toujours suivre, le profil de ses fréquentations ou encore la façon dont elle souhaitait occuper son temps. de plus, venir ici n'entachait en rien son image alors elle ne voyait pas de raisons de se priver.

— et puis sans vous mentir, la routine royale devient rapidement ennuyeuse. je trouve votre compagnie fort agréable, est-ce un mal ? je vous en prie, faites-moi le plaisir de goûter. je vous promet qu'il n'y a que des bonnes choses dedans.

et comme pour joindre le geste à la parole elle finit d'engloutir la petite tartelette qu'elle avait entamée avant de joindre les mains, les doigts sagement croisés sur la table. elle n'attendait plus que tu dévores la pâtisserie. ainsi songea-t-elle, si tu l'appréciais, elle pourrait te donner la recette. électre avait toujours eu envie de t'apprendre quelque chose, en retour pour toutes ces heures que tu passais à l'instruire et à répondre à ses diverses questions.