Comme convenu, ils se rendirent à la capitale d'Ambrive.
Si Antigone semblait hantée par sa défaite aux mains de l'assassin sombre, Le Duc quant à lui ne nourrissait pas la même amertume face à cette déconvenue.
L'échec était un bon professeur, il en était l'exemple presque vivant, et une défaite saurait faire du bien aux ardeurs de la guerrière.
Qui plus est, cela avait eu pour avantage de démontrer au démon qu'elle était bel et bien capable de renoncer à quelque chose d'aussi futile que sa fierté guerrière face à l'inévitable mort qu'aurait entraîné un combat.
L'humiliation imposée par l'attitude du chasseur était peut-être lourde à porter pour Antigone mais, à défaut de la rendre plus forte, cela ne pouvait la rendre que plus manipulable.
C'est donc ravis par cette entrevue rapide avec l'assassin qu'il accompagnait son réceptacle à sa destination, plongé dans un mutisme qui n'exprimait aucun respect vis à vis des sentiments d'Antigone mais bien de l'intérêt qu'il portait à leur rencontre avec le diplomate.

La mémoire vraisemblablement bien moins attaquée par son passage dans le monde blanc que celle du Duc, elle se faufilait dans toutes les rues avec une agilité féline et emmenait rapidement le duo à l'arrière d'une maison suffisamment imposante pour qu'il n'eut pas à se questionner.
Il s'agissait bien de leur destination.
Les faire entrer serait une tâche aisée, particulièrement avec l'effet de surprise.
Communiquait rapidement ses instructions alors que d'un geste de la main, il envoyait les ombres aveugler les gardes en poste.
Antigone paraissait comme quelqu'un de particulièrement efficace pour l'infiltration, suffisamment pour qu'il se demande si elle n'aurait pas mieux fait de vivre sa vie dans l'ombre plutôt que dans la lumière, peut-être n'aurait-elle jamais eu besoin de conclure ce pacte avec lui.
Bien mal placé pour critiquer les bas instincts des humains, il chassait la moquerie imaginé d'un petit mouvement de tête avant de rejoindre sa comparse à l'aide d'un téléportation.

Le Duc observait les richesses de la demeure, envieux.
S'il n'avait pas besoin de repos ou bien de se sustenter, cela ne l'empêchait pas d'avoir envie d'un magnifique banquet et d'une literie confortable.
Peut-être aurait-il mieux fait de se lier à autre chose qu'une reine sans royaume aux envies suicidaires ?
Une fois en présence du Diplomate, le démon restait silencieux.
Ni raillerie, ni manière.
Observateur, il analysait chaque mouvement de leur hôte, curieux.
S'il représentait un allié suffisamment important pour qu'elle daigne s'infiltrer comme un nuisible dans ses appartements, il devait bien se dégager de lui quelque chose d'imposant.
Pourtant, malgré ses mots, l'humain lui semblait vide.
Non pas qu'il était dépourvu d'intelligence, bien au contraire, mais il ne laissait exploser aucun bon sentiment.
N'offrait rien de lui.
Que des mots qu'il contrôlait minutieusement.
S'il ne doutait pas des capacités au combat de son réceptacle, il avait en tout cas la certitude qu'il lui serait impossible de mener la conversation contre le dénommé "Adriel".
En cela, il représentait une menace.
Et le fait même qu'il était impossible pour Le Duc de lire en lui faisait du Diplomate une créature effrayante, aux yeux du démon.
A son regard insistant, l'entité démoniaque répondait par un sourire encore plus large, carnassier.
Il serait peut-être plus prudent de le tuer ici et maintenant.

Il ignorait chaque œillades de Antigone, le visage fixe et le regard ancré sur le Diplomate.
A vrai dire, il n'était pas non plus convaincu que l'attitude de sa comparse l'aide vraiment à s'accorder les faveurs de l'homme.
Adriel ne semblait pas enclin à céder quelque possession que ce soit suite aux flatteries et aux honneurs vaguement attribués.
Mais elle connaissait bien son interlocuteur, bien plus que ce dont il avait été capable d'analyser jusque là.
Le mutisme persistait donc, sans pour autant relâcher son attention.
Selon Le Duc, la personne assise sur le trône de Malronce avait peu d'importance.
Ce n'était qu'un obstacle sans visage, il n'avait d'influence que celle qu'on voulait bien lui accorder, lui qui se dissimulait dans l'ombre par lâcheté.
Loin de critiquer ce modus operandi, il était lui-même client de cette stratégie, n'en restait pas moins que cela ne faisait pas un leader.
Ce qui importait n'était pas les informations sur lui mais sur leur puissance militaire, ses conseillers et l'avis du peuple.
Antigone avait-elle la prétention de connaitre les recoins de l'armée de Malronce comme lors de son règne ?
Peut-être avait-elle raison, quand bien même le démon considérait cela comme une erreur de jugement.

Mais s'il y avait bien chez elle quelque chose d'indéniable c'est le courage dont elle savait faire preuve, quitte à s'asseoir à table avec un être visiblement capable de dissimuler dernière chaque tournure de phrase un piège prompt à retourner la situation à son avantage.
Même la manière qu'il avait d'écarter le démon de leur échange était significatif, il calculait chacun de ses mouvements et la partie d'échec avait commencé au moment même où il avait déposé ses yeux sur eux.
Une forme d'excitation éveillait l'entité, enfin capable de mener une courte joute verbale avec un adversaire aux mots plus perçant que les ronces parcourant Valdore.
C'était donc à son tour de passer à l'action, afin d'assister Antigone dans des négociations qui s'annonçaient déjà en faveur de leur hôte.
Sans jamais le quitter des yeux, le conseiller s’approchait de la table et déposait son index et son majeur sur la base du verre mis en face de la souveraine pour l'en écarter, les yeux à demi-clos, alors qu'il s'exprimait pour la première fois.

« Si ma comparse semble enclin à vous offrir l'honneur d'un homme parfaitement indépendant, je ne crois pas vraiment en la légende d'un homme qu'on ne pourrait pas acheter. La prudence étant de mise, je suis certain que ce vin sera meilleur à la dégustation une fois votre négociation terminée. »

Le Duc n'était pas désireux de découvrir par lui-même la scène de l'empoisonnement d'Antigone.
Antigone représentait l'honneur des guerriers et leur honnêteté et si elle était bien trop pure pour tuer un interlocuteur par ce genre de bassesse, ce n'était malheureusement pas des valeurs partagés de tous.
Sans plus attendre, il reprit.

« Par ailleurs, votre manque de considération envers ma personne éveille quelques soupçons. Antigone Bathory m'ayant fait l'insigne honneur d'introduire ma position auprès de vous, si vous êtes à la hauteur de votre titre de Diplomate, d'aucuns pourraient juger votre attitude envers moi comme... Hostile. »

Il déposait sa main sur l'épaule d'Antigone, laissait s'échapper un rire aussi faux que sa courtoisie à son égard.

« Pardonnez mon intervention, votre majesté. Je ne m'exprime pas dans le but de vous inquiéter. Je suis sûr que ce manquement au protocole de la part de notre hôte est principalement dû à sa surprise de vous revoir après tout ce temps. En cela, je m'excuse pour mes accusations. Après tout, si vous incarnez un parfait diplomate, je ne partage malheureusement pas vos valeurs. »

Une menace à peine camouflée.
Il était sur le qui-vive, de la même manière qu'il l'était face au chasseur.
En un sens, Adriel était aussi dangereux pour lui que pouvait l'être ce dernier

La pertinence de ses propos sonnaient juste et confirmaient l'inquiétude du démon : il n'avait pas affaire à un débutant.
S'il avait véritablement gagné sa place - selon ses dires - en se méfiant de ses adversaires, c'est qu'il avait déjà parcouru un long chemin.
Cela offrait une méfiance presque instinctive et pour le coup vraisemblablement justifiée.
Le Duc s'accordait à dire qu'il s'était lui-même montré hostile dans un premier lieu et acceptait donc de considérer l'humain comme un allié potentiel à la quête de la reine.
Il joignit les mains, l'air moqueur, pour imiter une demande de pardon.
Le Duc percevait avec un peu plus de clarté la personne en face d'eux.

« Comprenez notre méfiance, nous revenons de très loin et avons croisés sur notre chemin un adversaire particulièrement belliqueux. Haha. »

Le Gouffre ?
Alors qu'un air satisfait se dessinait sur son visage, il prit la décision de se mettre un peu plus en retrait afin de se balader dans la pièce.
Observait les meubles, déplaçait des objets à l'aide de sa canne.
L'hôte n'ayant vraisemblablement pas l'intention de le traiter comme un convive, il ne s'imposerait pas quelconque comportement noble à son égard.
Son titre était insignifiant à ses yeux.
Mais pas son intelligence.
Avec un allié de cet acabit, prendre la tête du nouveau seigneur de Malronce n'avait plus rien d'un fantasme.

A travers la pièce, il essayait de voyager dans la psyché de leur interlocuteur.
Encore une fois, cette tentative se soldait par une déception.
Là où il espérait trouver un signe de valorisation, comme un trophée ou la représentation d'une victoire politique, il faisait simplement face à un raffinement aussi vide de toute expression que ce qu'il laissait transparaître sur lui-même à travers ses discours.
Il écoutait attentivement chaque mot et quand bien même le Diplomate faisait des efforts pour mettre en forme ses propos et dévier de certaines informations, il pouvait percevoir qu'il en gardait encore sous le coude.
Comment le lui reprocher ?
L'information est un marché et Adriel se comportait comme le plus aguerri des marchands d'Aubépine.
Pourtant, lorsqu'il évoquait un certain chevalier de Briserune, il découvrait une Antigone différente.
Il n'aurait pas été capable de décrire si cela la remplissait de joie ou amplifiait son ardeur pour le combat - non pas qu'elle eut vraiment besoin de ça - mais l'information était précieuse.
Suffisamment pour qu'il s'étonne que le Diplomate lui offre ceci sans demander quoi que ce soit en retour.
La formulation de sa requête avait-elle été codée pour lui passer spécialement sous le nez ?
Mais la suite de sa tirade rendait le tout bien plus compréhensible.
Il avait lancé une ligne et savait que - l'ancienne - reine allait mordre à l'hameçon.
Espérons simplement qu'elle n'était pas prête à lui échanger n'importe quoi contre l'information la plus importante : l'emplacement de ce fameux chevalier.

Lorsqu'il l'invitait finalement à le rejoindre à la table, Le Duc s'approcha sans pour autant se saisir du verre.
Cette fois-ci, son regard restait fixe sur celui de sa comparse.
Le nom de Nathanael Mayor ne lui était pas inconnu et il lui tardait de pouvoir enfin faire sa rencontre, quand bien même cette derrière se destinait à être on ne peut plus déplaisante pour l'un des deux parties.
Adriel s'impliquait vraisemblablement dans la cause d'Antigone et c'était quelque chose d'étonnant, aux yeux du démon.
Pourquoi se mettrait-il "personnellement" en avant afin d'assister Antigone dans la chute de Nathanael Mayor ?
Il n'avait qu'à la laisser faire et en récolter les privilèges en même temps que tout le monde.

« Ne vous inquiétez pas pour cela, Diplomate. Elle est plus en sécurité maintenant qu'elle ne l'a jamais été. »

Se tournait de nouveau en direction d'Adriel.

Il ne lui était pas nécessaire d'intervenir lors de leurs derniers échanges.
Antigone utilisait son charisme et son ambition pour sceller l'alliance avec le Diplomate et si les intentions de ce dernier n'étaient pas encore tout à fait claires, le déroulement des négociations représentait une belle avancée.
La conquête des territoires prenait en ampleur et ils semblaient, tous les trois, gratifiés d'un nouvel allié de poids.
Répondait aux regards d'Adriel par un large sourire, hypocrite.
Il n'avait aucune confiance en cet homme et quelque chose lui disait que le sentiment était réciproque.
Un soutien matériel était suffisant et Le Duc se plaisant à imaginer que ce soutien était également constitué d'un lit confortable et d'alcool de qualité.
Vivre comme un nomade ne lui allait pas vraiment au teint et s'il pouvait accepter ce mode de vie afin de préserver l'identité de sa comparse, sa patience arrivait bientôt à son terme.

Le démon frappait la sol à l'aide de sa canne et l'espace de quelques secondes, les ombres autour de lui s'agitaient.
Penchait la tête sur le côté, le regard planté sur leur interlocuteur.

« Je me dois de vous rejoindre sur ce point, la paperasse peut vite se montrer oppressive. L'accord ayant été conclu, j'imagine que vous n'avez plus besoin de ma présence ici. N'est-ce pas, Antigone Bathory ? »

S'éloignait sans même lui adresser un regard, sa question était rhétorique.
Qui plus est, elle devait encore finir d'établir les termes de leur contrat et quelque chose lui disait que leur prochaine destination dépendait de la position de ce fameux chevalier.
Le démon s'approchait de la porte de sortie, convaincu que sa comparse obtiendrait bien plus dans l'intimité qu'avec lui dans la pièce.
Entrouvrait la porte.

« Ce fut un plaisir de faire votre rencontre, Diplomate. Je suis sûr que vous avez encore beaucoup à vous dire, tous les deux. Et moi, j'ai encore beaucoup à faire, ici. Que la Maison-Dieu vous garde, heh. »

A peine eut-il passé la porte que la présence du démon avait complètement disparue de la demeure.